MAE : remettre un réfugié à son pays d'origine, devenu membre de l'Union européenne, c'est possible

13.09.2016

Droit public

Pour la Cour de cassation, un mandat d'arrêt européen peut être exécuté même si le statut de réfugié a été octroyé à la personne visée, ressortissant d'un État devenu membre de l'Union europ��enne entre la date d'octroi du statut et la date de délivrance du mandat.

Dans un arrêt du 12 juillet 2016, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre une décision de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris qui ordonnait la remise du requérant en exécution d’un mandat d’arrêt européen (MAE) émis par la Roumanie à l’encontre d’un de ses ressortissants roumain ayant obtenu le statut de réfugié en Suède « à une date où la Roumanie n’était pas membre encore de l’Union européenne ».
 
Reprenant et validant les motifs retenus par les juges du fond, la Cour considère notamment, dans un attendu de principe, que « l’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ainsi que du Protocole du 31 janvier 1967, par un État membre de l’Union européenne, au bénéfice d’un ressortissant d’un État devenu membre de l’Union européenne entre la date d’octroi dudit statut et la date de délivrance du mandat d’arrêt européen dont l’exécution est sollicitée, ne constitue pas, en tant que tel, un obstacle à l’exécution de ce dernier ».
Remarque : en l’espèce, la remise avait été demandée par la Roumanie suite à la condamnation de l’intéressé pour l’infraction de « rapports sexuels avec une mineure de 18 ans par personne ayant autorité et accompagnés de dons ou promesses d’argent ou d’autres avantages », pour avoir, « en mettant à profit sa fonction de professeur de yoga et leader spirituel du Mouvement d’intégration spirituelle dans l’absolu (MISA) et en offrant de l’argent ou des dons à [une mineure], âgée alors de plus de quinze ans obtenu de celles-ci des relations sexuelles consenties ». Le requérant soutenait quant à lui avoir été condamné en raison de ses opinions politiques.
Absence de prise en compte de la Convention de Genève par la décision-cadre du 13 juin 2002
Premier argument de la chambre de l’instruction validé par la Cour de cassation : la décision de la Suède d’accorder à l’intéressé le statut de réfugié à une date où la Roumanie n’était pas membre encore de l’Union européenne, « n’a pas pour effet d’imposer à la chambre de l’instruction de refuser la remise [...] aux autorités judiciaires roumaines, au titre des dispositions de la Convention de Genève sur les réfugiés ».
 
En effet, pour les juges, « un tel refus contreviendrait à l’interdiction, mise à la charge de l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution, de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen pour un autre motif que ceux exhaustivement énumérés de non-exécution obligatoire prévus à l’article 3 de la décision-cadre ou de non-exécution facultative prévus aux articles 4 et 4 bis de cette même décision-cadre et dont la liste est reprise aux articles 695-22, 695-23 et 695-24 du code de procédure pénale ».
 
Autrement dit, la décision-cadre du 13 juin 2002 ne prévoyant pas que le statut de réfugié obtenu en application de la Convention de Genève oblige ou permet à l’autorité saisie de ne pas exécuter le mandat d’arrêt européen, cette absence d’exécution contreviendrait aux règles européennes.
Remarque : on relèvera toutefois que, si les articles 3 et 4 et 4 bis de la décision-cadre 2002/584/JAI, prévoient respectivement des motifs de non-exécution « obligatoire » et « facultative » du mandat d’arrêt européen, ils ne précisent à aucun moment que ces listes présentent un caractère exhaustif. De même les articles 695-22, 695-23 et 695-24 du code de procédure pénale précisent seulement que l’exé­cution d’un mandat d’arrêt européen « est » ou « peut-être » refusée dans les cas énumérés.
Préservation de l’uniformité du standard de protection des droits fondamentaux et de l’effectivité de la décision-cadre
Examinant le troisième moyen de cassation, la chambre criminelle valide également le motif selon lequel un refus d’exécution du MAE fondé sur le seul fait que la personne remise pouvait se prévaloir du statut de réfugié aboutirait « à remettre en cause, au sein de l’espace judiciaire européen, l’uniformité du standard de protection des droits fondamentaux défini par cette décision-cadre, à porter atteinte aux principes de confiance, à compromettre l’effectivité de ladite décision-cadre ».
 
En effet, s’appuyant sur la jurisprudence la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), la chambre de l’instruction rappelle que la décision-cadre tend « par l’instauration d’un nouveau système simplifié et plus efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres ».
 
A ce titre, elle estime que le « principe de reconnaissance mutuelle » qui sous-tend le système repose sur « la confiance réciproque entre les États membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux, reconnus au niveau de l’Union, en particulier, dans la Charte » des droits fondamentaux. Elle poursuit en considérant que, dans le domaine régi par la décision-cadre, le principe de reconnaissance mutuelle, « pierre angulaire �� de la coopération judiciaire en matière pénale, trouve son application à l’article 1er, § 2, de la décision-cadre, conformément auquel les États membres « sont en principe tenus de donner suite à un mandat d’arrêt européen ».
 
Fort de ces constats, la chambre de l’instruction juge que l’autorité saisie ne peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen que dans les cas, « exhaustivement énumérés », de non-exécution « obligatoire » ou « facultative » prévus aux articles 3, 4 et 4 bis de la décision-cadre, (parmi lesquels ne figure donc pas la reconnaissance du statut de réfugié), sauf « à porter atteinte aux principes de confiance, à compromettre l’effectivité de la décision-cadre ».
Remarque : le système décrit par la chambre de l’accusation pourrait certainement s’approcher de la logique du Protocole n° 24 au traité sur l’Union européenne sur le droit d’asile pour les ressortissants des états membres de l’Union européenne (dit « Pro­tocole Aznar »), selon lequel, « vu le niveau de protection des droits fondamentaux et des libertés fondamentales dans les États membres de l’Union européenne, ceux-ci sont considérés comme constituant des pays d’origine sûrs les uns vis-à-vis des autres pour toutes les questions juridiques et pratiques liées aux affaires d’asile ». Toutefois, l’hypothèse visée par le protocole (le demandeur de protection internationale est ressortissant d’un État effectivement et actuellement membre de l’Union européenne) n’est pas celle de l’espèce sur laquelle la Cour de cassation était appelée à se prononcer, puisque l’intéressé était réfugié (et non demandeur d’asile) et que l’État dont il avait la nationalité n’était pas membre de l’Union quand cette qualité lui a été reconnue.
Examen limité des craintes du requérant
La chambre de l’instruction se livre ensuite, dans le cadre décrit, à un examen limité des craintes du requérant. Examen validé par la Cour de cassation, qui juge qu’elle n’a méconnu aucun des textes visés au moyen (et notamment l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme), dès lors :
 
- qu’elle « s’est assurée de ce que les droits de la défense de l’intéressé ont été respectés lors du déroulement de son procès en Roumanie » ;
 
- qu’elle a considéré, que le requérant n’avait pas (en raison du peu de preuves versées au dossier) démontré l’existence de « défaillances systémiques ou généralisées, touchant soit certains groupes de personnes, soit certains centres de détention en ce qui concerne les conditions de détention dans l’État membre d’émission, de nature à faire exception au régime général d’automaticité des remises du mandat d’arrêt européen en raison d’une insuffisance de la protection des droits fondamentaux dans ce dernier ».
Le choix de la primauté du droit pénal européen sur les dispositions de la Convention de Genève
En définitive, en validant le choix de la chambre de l’instruction de ne pas intégrer la reconnaissance du statut de réfugié parmi les motifs de non-exécution obligatoire du mandat d’arrêt européen et en refusant de donner une valeur supérieure aux décisions prises en application de la Convention de Genève, la chambre criminelle de la Cour de cassation paraît ignorer le sens et la portée de la protection internationale.
 
En effet, si, au regard des faits tels que présentés devant les juges du fond, elle pouvait douter de la continuité des risques encourus par l’intéressé suite à l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne, il paraît étonnant qu’elle puisse ainsi écarter le statut de réfugié, et par conséquent le principe de non-refoulement énoncé à l’article 33 de la Convention de Genève de 1951 (considéré comme ayant valeur de jus cogens). En faisant prévaloir le droit de l’Union sur ce principe, la chambre criminelle applique une hiérarchie des normes de droit international critiquable, tout en refusant de saisir la CJUE d’une question préjudicielle dont la réponse aurait ici pu être éclairante, comme cela lui était demandé par le requérant.
Remarque : on rappellera en outre qu’il n’appartient en principe pas à la juridiction judiciaire de se prononcer sur la qualité de réfugié, ni de retirer cette qualité à une personne à qui elle a été attribuée par l’Ofpra (Office française de protection des réfugiés et apatrides) ou la CNDA (Cour nationale du droit d’asile), ou, a fortiori, par les autorités d’un État membre de l’Union européenne, le contentieux de l’asile relevant de la compétence exclusive de la juridiction administrative.
Même si la jurisprudence ainsi inaugurée n’a certainement pas vocation à s’appliquer à un grand nombre de cas, elle est regrettable tant par sa fragilité juridique que par le peu de souci dont elle témoigne pour le respect des droits des réfugiés. Car, si rien ne s’oppose à l’extradition d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire vers son pays d’origine, au motif, justement, qu’il « n’a pas le statut de réfugié » (Cass. crim., 8 avr. 2015, n° 15-80.603) et qu’un réfugié ressortissant de l’Union européenne peut également remis aux autorités de son pays dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen, que reste-t-il de l’effectivité de la protection internationale ?

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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François Julien-Laferrière, Professeur émérite de droit public, Université Paris-Sud
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