Lorsque son action en réparation fondée sur le régime de responsabilité du fait des produits défectueux est prescrite, la victime de lésions cardiaques, dont l’imputabilité au Mediator a été reconnue, peut engager une action sur le fondement de l’article 1240 du code civil, à charge pour elle d’établir que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur.
La Cour de cassation était saisie d’un pourvoi dirigé contre un arrêt de la cour d’appel de Versailles ayant rejeté la demande indemnitaire d’une femme atteinte de lésions cardiaques, dont l’imputabilité à un traitement par Mediator a été reconnue par le collège d’experts de l’ONIAM. La juridiction du fond a estimé que son action en réparation, fondée sur le régime de responsabilité du fait des produits défectueux visé aux articles 1245 et suivants du code civil, étant prescrite, elle ne pouvait davantage agir sur le fondement de l’article 1240 du code civil, dès lors que la faute reprochée au fabricant du Mediator n'était pas distincte du défaut de sécurité du médicament, la victime ne pouvant substituer au régime de la responsabilité du fait des produits défectueux celui de la responsabilité délictuelle pour faute (CA Versailles, 7 juill. 2022, RG n° 21/06054).
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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Par une décision du 15 novembre 2023, la Cour de cassation annule cet arrêt pour violation de la loi, au visa des articles 1240 et 1245-17 du code civil. Ce dernier article, qui transpose l’article 13 de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985, prévoit que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité, le producteur d’un produit défectueux restant responsable des conséquences de sa faute.
Dans un arrêt de principe déjà ancien, la Cour de justice a précisé que la référence aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle doit être interprétée de la manière suivante : le régime de responsabilité sans faute mis en place par la directive 85/374/CEE, qui permet à la victime de demander réparation dès lors qu’elle rapporte la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage, n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute (CJCE, 25 avr. 2002, aff. C-183/00, González Sánchez).
La Cour de cassation en a déduit que lorsque la victime d’un médicament défectueux ne peut plus rechercher la responsabilité du fabricant sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, en l’occurrence parce que le délai de l’action en réparation est prescrit – celui-ci est de trois ans (C. civ., art. 1245-16) alors que le délai de prescription applicable aux actions fondées sur la réparation d’un préjudice corporel résultant d’une faute est de dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé (C. civ., art. 2226) – elle peut toujours introduire une action sur le fondement de l'article 1240 du code civil. Il lui appartient toutefois d’établir que son dommage résulte d'une faute commise par le producteur.
Pour rejeter le recours fondé sur la responsabilité délictuelle, la cour d’appel de Versailles avait estimé que la faute reprochée au laboratoire pharmaceutique n’est pas distincte du défaut de sécurité du médicament. La Cour de cassation a censuré ce raisonnement et indiqué en quoi une telle faute, distincte du défaut, peut consister.
La responsabilité du fait des produits défectueux consacre une objectivation de la responsabilité du producteur, ce dernier étant responsable non pas en raison de son comportement, fautif ou négligent, mais en raison du défaut de sécurité du produit qu’il met à disposition sur le marché. La responsabilité subjective du producteur n’en a pas pour autant disparu, dès lors que le comportement de celui-ci implique une faute ou une négligence.
Dans son arrêt du 15 novembre 2023, la Cour de cassation précise en quoi le comportement fautif du fabricant du Mediator peut consister : il s’agit du maintien en circulation du produit dont il connaissait le défaut de sécurité ou encore du manquement à son devoir de vigilance quant aux risques présentés par le médicament.
Il appartiendra à la cour d’appel de Paris, désignée comme cour de renvoi, d’apprécier souverainement si, à la date des faits – la demanderesse s’est vu prescrire du Mediator de 2006 à 2008 –, le fabricant du Mediator (dont la substance active est le benflurorex) a commis une telle faute.
On se bornera à rappeler que, pour le juge pénal, les laboratoires Servier connaissaient la nocivité du métabolite actif du benfluorex (la norfenfluramine), responsable d’atteintes valvulopathiques et de cas d’hypertension artérielle pulmonaire, dès le développement du Mediator, ces risques étant clairement avérés à partir de 1995, circonstances qui ont donné lieu à la condamnation, en première instance, de six sociétés du groupe Servier pour tromperie aggravée (TJ Paris, 31e ch., 29 mars 2021 : le jugement ayant été frappé d’appel).
Pour sa part, le Conseil d’Etat a annulé un arrêt ayant refusé que l’État puisse se prévaloir du comportement fautif du laboratoire exploitant le Mediator pour s’exonérer partiellement ou totalement de sa responsabilité (CE, 9 nov. 2016, n° 393902). La cour administrative de renvoi a estimé que les agissements fautifs des laboratoires Servier étaient de nature à exonérer l’État, pour la période s’étalant du 7 juillet 1999 – date de la séance de la commission nationale de pharmacovigilance à laquelle l’inversion du rapport bénéfices sur risques du médicament a été évoquée – au 30 novembre 2009 – date à laquelle l’AMM du Mediator a été suspendue – à hauteur de 70 % quant à la réparation des conséquences dommageables liées à la prise du médicament (CAA Paris, 4 août 2017, n° 16PA00157).
Remarque : par trois décisions strictement analogues, la Cour de cassation a annulé, le même jour et pour les mêmes motifs, trois autres arrêts de la cour d’appel de Versailles ayant débouté des victimes du Mediator de leur demande indemnitaire.
Jérôme Peigné, Professeur à l'Université Paris Cité (Institut Droit et santé)