Mediator : exonération partielle de la responsabilité de l'Etat

10.11.2016

Droit public

Le Conseil d'Etat confirme la responsabilité de l'Etat du fait de la carence fautive de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS devenue ANSM) à retirer l'autorisation de mise sur le marché du mediator à compter de 1999. Il admet, en outre, que l'Etat peut s'exonérer partiellement de sa responsabilité en invoquant la faute du laboratoire.

La Haute juridiction administrative se prononce, par trois arrêts du 9 novembre 2016, sur plusieurs litiges dans lesquels des personnes cherchent à être indemnisées par l’Etat, sur le fondement de la responsabilité pour faute, des préjudices nés de la prise du mediator.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

Découvrir tous les contenus liés

 

Les pourvois sont dirigés contre des arrêts rendus par la cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 2 juill. 2015, n°14PA04138 ; CAA Paris, 31 juill. 2015, n° 14PA04146 et n° 14PA04082). Celle-ci avait confirmé des jugements du tribunal administratif de Paris ayant considéré que la responsabilité de l’Etat pouvait être engagée du fait de la carence fautive de l’AFSSAPS à retirer l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du mediator à compter de juillet 1999 (TA Paris, 7 août 2014, n°1312466 et n°1312386).

Confirmation d’un régime de responsabilité de l’Etat pour faute simple

Dans une première affaire (n° 393904), le Conseil d’Etat confirme qu’eu égard, tant à la nature des pouvoirs conférés par les dispositions du code de la santé publique à l’AFSSAPS, qu’aux buts en vue desquels ces pouvoirs lui ont été attribués, la responsabilité de l’Etat peut être engagée par toute faute commise par l’agence dans l’exercice de sa mission de police des médicaments. Ce régime de responsabilité pour faute simple s'inspire directement de la jurisprudence relative à la condamnation de l'Etat dans l'affaire du " sang contaminé " (CE, ass., 9 avr. 1993).

 

Le tribunal et la cour ont donc eu raison d’écarter un régime de responsabilité fondé sur la faute lourde, comme l’exigeait l’ancienne jurisprudence établie par l'Assemblée du contentieux dans l’affaire du « Stalinon » (CE, ass., 28 juin 1968, n° 67593 et n° 67677).

 

S’agissant de la période durant laquelle la carence fautive de l’AFSSAPS est susceptible d’engager la responsabilité de la puissance publique, la cour avait fait sienne l’analyse du tribunal, considérant que cette période s’étendait du 7 juillet 1999 – date à laquelle la commission nationale de pharmacovigilance a estimé que le rapport entre les bénéfices et les risques présentés par le mediator s’était inversé – au 30 novembre 2009, date à laquelle a pris effet la suspension de l’AMM des spécialités à base de benfluorex. Ces données s’appuyaient largement sur le rapport de la mission d’enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), rendu public le 15 janvier 2011, et où il était clairement écrit que l’AMM du mediator aurait dû être retiré dès 1999.

 

Le Conseil d’Etat valide cette appréciation et rejette ainsi le pourvoi d’une requérante ayant été traitée durant les années 1996-97. La Haute juridiction administrative estime qu’à cette époque, malgré une première enquête de pharmacovigilance, il n’existait pas de certitudes sur les effets indésirables du mediator, bien que son principe actif, le benfluorex, possède une structure voisine de celle des médicaments anorexigènes ayant fait l'objet de restriction puis retirés du marché (cas des spécialités Pondéral et Isoméride, également commercialisées par la société Servier).

Exonération partielle de la responsabilité de l’Etat en raison de la faute des laboratoires Servier

Dans une deuxième affaire (n° 393926), saisi par un pourvoi du ministre de la Santé, le Conseil d’Etat censure la position des juges d’appel. Ces derniers avaient en effet exclu que l’État puisse se prévaloir des agissements fautifs des laboratoires Servier pour s’exonérer partiellement de sa responsabilité, l’Etat étant tenu de réparer intégralement les préjudices qui seraient reconnus être en lien direct avec la faute commise par l’AFSSAPS, à charge pour lui d’exercer une action récursoire devant le juge judiciaire afin de récupérer les sommes engagées pour indemniser les dommages trouvant leur cause première dans les agissements du laboratoire pharmaceutique.

 

Le juge de cassation administrative  considère que si l’Etat ne peut s’exonérer de l’obligation de réparer intégralement les préjudices trouvant directement leur cause dans une faute de ses services, en invoquant les fautes commises par des personnes (publiques ou privées) avec lesquelles il collabore étroitement dans le cadre d’une mission de service public, il n’en va pas de même lorsqu’il invoque la faute d’une personne privée (tel un laboratoire pharmaceutique), qui est seulement soumise à son contrôle ou à celui exercé par une autorité délégataire d’un pouvoir de police et agissant en son nom (telle l’AFSSAPS).

 

Cette solution constitue un strict rappel de la règle gouvernant le régime de la responsabilité administrative délictuelle, suivant laquelle le fait (fautif) du tiers possède un effet exonératoire, partiellement (si la faute a contribué avec celle de la puissance publique à la réalisation du dommage) ou totalement (si la faute du tiers en a été la cause unique).

 

Il en résulte que l’existence d’une faute commise par les laboratoires Servier est de nature à exonérer partiellement, voire totalement, la responsabilité de la puissance publique. Dans ces circonstances, il incombe à l’Etat d’indemniser les préjudices résultant de sa propre faute – consistant à ne pas avoir fait cesser un risque lié au maintien de l’AMM d’un médicament dont les effets nocifs sont devenus prépondérants au regard des bénéfices escomptés par les patients – à charge pour ces derniers de rechercher à engager la responsabilité civile des laboratoires Servier devant le juge judiciaire.

 
Le dossier a été renvoyé à la cour administrative d’appel de Paris pour être rejugé au fond. Cette dernière va devoir implicitement, mais nécessairement, statuer sur la responsabilité du laboratoire pharmaceutique (qui n’est toutefois pas partie à l’instance), afin de faire le départ entre les fautes du contrôleur et du contrôlé.
 
N’ayant pas accès au rapport d’expertise remis dans le cadre de l’instruction, couverte par le secret, actuellement en cours au pôle de santé publique du TGI de Paris, et sachant qu’un procès correctionnel n’est pas attendu avant 2018, la cour administrative risque de se retrouver dans une situation délicate, situation qu’elle avait précisément voulu éviter en appliquant le principe (appliqué en droit civil) de la responsabilité in solidum des co-auteurs du dommage.
Reconnaissance d’un préjudice d’anxiété en l’absence d’une maladie grave avérée
Dans une troisième affaire (n° 393108), le Conseil d’Etat annule un arrêt rendu par la cour administrative le 2 juillet 2015. En l’occurrence, la juridiction d’appel avait été amenée à débouter plusieurs victimes ayant demandé l’indemnisation de leur préjudice d’anxiété, principalement lié à la crainte de développer une hypertension artérielle pulmonaire dans l’avenir.
 
La jurisprudence administrative a récemment admis la possibilité d’indemniser un préjudice d’anxiété à l’occasion d’un litige relatif à une contamination post-transfusionnelle par le virus de l’hépatite C (CE, 27 mai 2015, n° 371697). Le préjudice moral résultant pour la victime de la conscience d’être atteinte d’une maladie grave peut ainsi être pris en compte, alors même que la victime a été traitée puis guérie, ce qui présuppose néanmoins qu’elle ait été effectivement contaminée.
 
Cassant l’arrêt de la cour administrative d’appel pour avoir insuffisamment motivé sa décision de rejet – en se bornant à relever qu’en l’absence de toute hypertension artérielle pulmonaire diagnostiquée, la requérante ne pouvait se prévaloir des inquiétudes qu’elle avait pu nourrir en raison du risque d’apparition d’une telle maladie et dans la mesure où il n’était pas établi que ces inquiétudes pouvaient être légitimement éprouvées – la Haute assemblée décide de régler l’affaire au fond et de consacrer une extension de sa jurisprudence.
 
Le Conseil d’Etat estime ainsi que, même en l’absence d’une affection avérée (les requérants ne souffrant d’aucune pathologie), le préjudice moral tiré de l’anxiété éprouvée par un patient face au risque de développer une maladie grave est susceptible d’être indemnisé. Pour ouvrir droit à réparation, un tel préjudice doit toutefois présenter un caractère direct et certain, ce que le juge doit apprécier en tenant compte d’éléments objectifs (telles la gravité des pathologies risquant de se développer et la probabilité qu’elles se développent) et subjectifs (les circonstances particulières affectant la situation du patient, telle une insuffisance ou un défaut d’information sur son état).
 
Statuant au fond, le Conseil d’Etat considère, en l’espèce, que le préjudice d’anxiété n’était pas direct et certain, dès lors que la requérante ne faisait valoir aucune circonstance particulière et que le risque de développer une hypertension pulmonaire grave était très faible, celui de développer une valvulopathie restant également faible et diminuant rapidement dans les mois qui suivent l’arrêt d’une exposition au benfluorex.
 
Pour audacieuse qu’elle soit, la consécration d’un préjudice spécifique d’anxiété dans l’affaire du Mediator pourrait donc rester purement théorique.
 
On rappellera que le juge des référés du TGI de Nanterre avait admis que l’exposition au risque, même faible, de développer une valvulopathie ou une hypertension artérielle pulmonaire peut provoquer une angoisse constitutive d’un préjudice réparable chez les patients ayant pris du mediator (TGI Nanterre, 28 janv. 2016, n° 15/01743 et n° 15/01586).
 
Ces ordonnances ont toutefois été infirmées, non pas en raison de la nature du préjudice allégué, mais parce que le laboratoire avait invoqué une cause d’exonération, fondée sur le risque de développement (C. civ., art. 1245-10, al. 5), de nature à constituer une contestation sérieuse de l’obligation de réparation qui lui incombe, au sens de l’article 809 du code de procédure civile (CA Versailles, 27 oct. 2016, n° 16/03382 et n°16/03018).
 
 
Jérôme Peigné, Professeur à l'université Paris Descartes
Vous aimerez aussi

Nos engagements