Le contentieux s’accumule autour de la filiation des enfants élevés par des couples de femmes. La loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, qui a ouvert aux femmes seules ou en couple la possibilité de recourir à une PMA avec donneur, a instauré un dispositif particulier qui exige un consentement préalable devant notaire (C. civ., art. 342-10, al. 1), à l’occasion duquel le couple de femmes reconnaît conjointement l’enfant (C. civ., art. 342-11, al. 1). La filiation est alors établie à l’égard de la femme qui accouche par l’indication de son nom dans l’acte de naissance de l’enfant (C. civ., art. 325). A l’égard de l’autre femme, la filiation est établie par la reconnaissance conjointe (C. civ., art. 342-11, al. 2).
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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Les dispositions transitoires et leurs limites
La loi a prévu une disposition transitoire de façon à ouvrir la possibilité de reconnaissance conjointe aux couples de femmes ayant eu recours à l’étranger à une PMA avant la publication de la loi. Ce dispositif figure à l’article 6, IV, alinéa 1er du la loi du 2 août 2021 dont la Cour de cassation rappelle les termes dans le présent arrêt : « Lorsqu'un couple de femmes a eu recours à une assistance médicale à la procréation à l'étranger avant la publication de la présente loi, il peut faire, devant le notaire, une reconnaissance conjointe de l'enfant dont la filiation n'est établie qu'à l'égard de la femme qui a accouché. Cette reconnaissance établit la filiation à l'égard de l'autre femme ». Le dispositif était ouvert pour une durée de trois ans à compter de la publication de la loi ; il a pris fin le 3 août 2024.
Il est apparu rapidement que cette option serait insuffisante à répondre à certaines situations, en particulier celle dans laquelle la mère biologique inscrite dans l’acte de naissance de l’enfant, refuse d’effectuer la reconnaissance conjointe. La loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption (art. 9) a prévu une solution complémentaire mais également transitoire (trois ans à compter de la promulgation de la loi, soit jusqu’au 21 février 2025) pour permettre « à titre exceptionnel » à la femme qui n’a pas accouché de demander à adopter l’enfant. Les conditions sont strictes : preuve d’un projet parental commun, PMA réalisée à l’étranger avant la publication de la loi du 2 août 2021, refus de reconnaissance conjointe contraire à l’intérêt de l’enfant (la Cour de cassation a précisé la façon dont il fallait comprendre cette condition, Civ. 1re, 23 mai 2024, n° 22-20.069, Bull. dic. bioéthique, n° 359, obs. J.-J. Lemouland ; Dr. fam. 2024, comm. 88, note V. Egéa ; D. 2024, p. 1510, note M. Mesnil ; RJPF sept. 2024-292/14, obs. A. Gouëzel ; AJ fam. 2024, p. 464, obs. L. Brunet ; cela n’exige pas que l’adoption soit nécessaire pour protéger l’enfant d’un danger ; il suffit qu’en dépit du refus, sans motif légitime, de la femme qui a accouché de procéder à la reconnaissante conjointe, l’adoption soit conforme à l'intérêt de l'enfant, souverainement apprécié par le juge). Peu importe dans ce cas que le couple soit séparé et que la durée d’accueil prévue par l’article 345 du code civil de soit pas remplie.
A l’évidence, ce dispositif transitoire et exceptionnel ne répond pas non plus à toutes les situations, comme permet de le vérifier la présente espèce (v. aussi pour le cas où le processus d’AMP a été commencé avant l’entrée en vigueur de la loi mais a été finalisé après, Rép. min. n° 2097 : JO Sénat Q, 2 mars 2023, p. 1588). Après avoir fait une « déclaration de vie commune » (décembre 2012), une femme (Mme N) et un homme ont consenti à une assistance médicale à la procréation par insémination artificielle avec sperme du conjoint (janvier 2013). Un enfant est né le 30 octobre 2013 et a été inscrit à l’état civil sous le nom de Mme N. Le 17 octobre 2013, Mme N s’est mariée avec une autre femme (Mme B). Cette dernière, invoquant l’existence d’un projet parental commun, a demandé (en juillet 2020) que le refus de son épouse de donner son consentement à l’adoption de l’enfant soit déclaré abusif et que l’adoption soit prononcée. Un tribunal judiciaire a prononcé l'adoption plénière, jugement infirmée en appel. Par mémoire spécial, à l’occasion de son pourvoi en cassation, Mme B a formulé deux QPC : l’une sur les dispositions transitoires, l’autre sur le refus de consentir à l’adoption.
Première QPC sur les dispositions transitoires
La première QPC vise les dispositions combinées des articles 6 de la loi du 2 août 2021 et 9 de la loi du 21 février 2022, en ce qu’elles excluent la possibilité pour la femme qui n’a pas accouché de demander à adopter l’enfant, si l’assistance médicale à la procréation n’a pas été réalisée à l’étranger avant la publication de la loi du 2 août 2021. La question posée est de savoir si ces dispositions méconnaissent l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, le droit à une vie familiale normale de l'enfant et de son parent d'intention, la liberté de mettre fin aux liens du mariage ainsi que le principe d'égalité devant la loi.
La Cour de cassation refuse de renvoyer la question au Conseil constitutionnel. Elle observe que les textes visés ne s’appliquent pas dans le cas d’espèce et que d’ailleurs, ils n’ont pas été invoqués au soutien de la demande d’adoption. L’enfant est issu d’un PMA pratiquée en France au sein d’un couple hétérosexuel, conformément à la loi « avec toutes les conséquences qui en découlent en matière de filiation ». La filiation de l’enfant est établie à l’égard de sa mère. Rien n’exclut qu’elle le soit ultérieurement à l’égard de son père biologique, par reconnaissance ou recherche en justice. Pour rappel, l’article 342-13 du code civil prévoit que « celui qui, après avoir consenti à l'assistance médicale à la procréation, ne reconnaît pas l'enfant qui en est issu engage sa responsabilité envers la mère et envers l'enfant » (al. 1) et que « sa paternité est judiciairement déclarée » (al. 2) (si une action en recherche est exercée, sans avoir à rapporter la preuve de cette paternité).
Peu importe autrement dit, la face cachée que laissait deviner une PMA de complaisance et l’utilisation du cadre légal pour réaliser un projet qui, à l’époque n’était pas permis par la loi, à savoir le projet parental d’un couple de femmes fondé sur une PMA. Cette situation comme d’autres, n’entre pas dans les prévisions du dispositif transitoire élaboré par les lois du 2 août 2021 et du 21 février 2022. Et il n’appartient ni à la Cour de cassation ni au Conseil constitutionnel de se substituer à la loi. Il appartiendra éventuellement à la Cour européenne des droits de l'homme de dire si les différences de traitement qui en résultent sont justifiées ou si la loi aurait dû envisager la régularisation sans limite et sans délai de certaines ou de toutes les situations illégales qui ont pu se constituer antérieurement ou qui pourraient se constituer à l’avenir en marge des conditions actuelles qui encadrent la PMA au profit d’un couple de femmes. En effet, même si elle a accordé un satisfecit au droit français en jugeant que les règles applicables aux relations entre un enfant et l'ancienne compagne de sa mère biologique répondaient aux exigences du droit au respect de la vie privée et familiale, la Cour européenne des droits de l'homme a dans le même temps adressé un avertissement sur la difficulté sérieuse que pourrait poser l'éviction du régime transitoire de reconnaissance conjointe à l'égard des enfants qui ne sont pas issus d'une AMP antérieure à l'étranger (CEDH, 24 mars 2022, C.E. et autres c. France, nos 29775/18 et 29693/19, D. actualité 21 avr. 2022, obs. J.-J. Lemouland, D. 2022, p. 1342, note H. Fulchiron).
Seconde QPC sur le refus de consentir à l’adoption
La seconde QPC visait l’article 348-6 du code civil (dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 1er janvier 2023 ; devenu l’art. 348-7 mod. par Ord. n° 2022-1292 du 5 octobre 2022) qui prévoit que « Lorsque les parents refusent de consentir à l'adoption de leur enfant dont ils se sont désintéressés au risque d'en compromettre la santé ou la moralité, le tribunal peut prononcer l'adoption s'il estime ce refus abusif ». La question posée est de savoir si ce texte « en ce qu'il impose, même en présence d'un projet parental commun au sein d'un couple de femmes…de démontrer que la mère biologique s'est désintéressée de l'enfant au risque d'en compromettre la santé ou la moralité, et en ce qu'il a donc pour conséquence, sauf cas exceptionnels de désintérêt effectif de la mère biologique, d'interdire la reconnaissance juridique d'un lien de filiation entre l'enfant et sa mère d'intention… » ne méconnait pas la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, le droit à une vie familiale normale de l'enfant et de son parent d'intention, ainsi que le droit au respect de la vie privée de l'enfant et de son parent d'intention.
La Cour de cassation refuse également de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel. Elle estime, même si elle est effectivement applicable au litige qui concerne une demande d’adoption formulée malgré le refus opposé par la mère biologique, qu’elle ne présente pas un caractère sérieux. La Cour observe que « l’exigence du consentement des parents d’origine à l’adoption de leurs enfants mineur…constitue un principe essentiel de l’adoption ». « Qu’il ne peut y être dérogé dans l’intérêt de l’enfant, que si les parents d’origine ont failli à leur responsabilité de parent ». L’article 348-6 du code civil qui permet au tribunal de prononcer l’adoption malgré un refus de consentement, s’il estime que ce refus est abusif, est un texte de portée générale. La condition qu’il prévoit de désintérêt à l’égard de l’enfant « au risque d’en compromettre la santé ou la moralité » n’est pas contraire aux exigences constitutionnelles de respect de la vie privée, ni au droit de mener une vie familiale normale, « pas plus qu’il ne déroge au primat de l’intérêt supérieur de l’enfant ». Et d’ajouter qu’au contraire ce texte vise à préserver l’intérêt de l’enfant « dès lors qu’il garantit le droit de l’enfant au respect de ses liens avec sa famille d’origine et qu’il suppose une appréciation au cas par cas de la situation des différentes personnes concernées ». Ces précisions sur le sens et la portée de l’article 348-6 ancien du code civil sont bienvenues, pour répondre aux interprétations très imaginatives de certaines juridictions de fond.
Dès avant la loi du 2 août 2021, lorsque la reconnaissance conjointe n’existait pas, les couples de femmes ayant un projet parental ont tenté d’utiliser la voie de l’adoption pour créer un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention. Cette voie leur a longtemps été fermée, jusqu’à ce que la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 autorise le mariage entre personnes de même sexe et leur ouvre en même temps la possibilité d’adopter. On note dans la présente affaire que le mariage entre les deux femmes est intervenu peu après la loi l’autorisant et peu de temps avant la naissance de l’enfant. La voie de l’adoption a été pendant quelque temps en discussion à l’égard des enfants issus d’une AMP pratiquée à l’étranger, mais la Cour de cassation a finalement émis l’avis que cela ne faisait pas obstacle au prononcé de l’adoption, par l’épouse de la mère, de l’enfant né de cette procréation, « dès lors que les conditions légales de l’adoption sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de l’enfant » (Cass. avis, 22 sept. 2014, n° 15010 P ; Cass. avis, 22 sept. 2014, n° 15011 ; D. 2014, p. 2031, note A.-M. Leroyer ; JCP 2014, 1004, note J. Hauser, ; AJ Famille 2014, p. 555, obs. F. Chénedé ; Dr. famille 2014, comm. 160, note C. Neirinck ; RJPF 2014-11/24, obs. R. Garé).
Le débat s’est alors recentré sur le respect des conditions de l’adoption (communauté de vie du couple, C. civ., art. 345-1., art. 370 nouv. ; consentement de la mère biologique, C. civ., art. 348-1 ; appréciation d’un éventuel refus de sa part, C. civ., art. 348-6., art. 348-7 nouv. ; absence de rétractation dans un délai de deux mois, C. civ., art. 348-3, al. 3, art. 348-5 nouv., avec les questions procédurales subséquentes qui peuvent venir se greffer en cas de procédure de divorce en cours, Civ. 1re, 11 mai 2023, RJPF 2023/7-8, obs. J. Boisson) et l’appréciation de son prononcé au regard de l’intérêt de l’enfant (C. civ., art. 353, al.1 et art. 353-1 nouv.). La jurisprudence est fournie. On y retrouve un partage d’opinions entre ceux qui estiment que l’intérêt de l’enfant d’avoir deux parents prédomine (Civ. 1re, 3 nov. 2021, n° 20-16.745, AJ fam. 2022, p. 43, obs. F. Berdeaux, RTD civ. 2022, p. 107, obs A.-M. Leroyer) et ceux qui considèrent que son intérêt est plutôt de ne pas être otage d’une procédure qui le dépasse (CA Caen, 14 déc. 2023, n° 22/01676, Dr. fam. 2024, comm. 30, note C. Siffrein-Blanc) dans des circonstances le plus souvent où un consentement à l’adoption a été donné et non rétracté dans le délai de deux mois. L’appréciation de l’intérêt de l’enfant par les juges du fond est souveraine, rappelle avec constance la Cour de cassation. Mais elle entend rester garante du respect des conditions posées par la loi.
Au rang de ces conditions figure le consentement de la mère biologique, dont il convient de souligner l’importance en raison des effets que produit l’adoption. Il était prévisible que viendrait la tentation d’essayer de contourner cette condition et de mettre en cause son refus au nom des droits fondamentaux. Le présent arrêt y répond par un rappel opportun des principes de droit commun qui gouvernent l’adoption, en replaçant dans ce cadre l’exigence de consentement du ou des parents à l’adoption de leur enfant et les circonstances exceptionnelles qui peuvent autoriser le juge à passer outre à un refus. Cela suppose non seulement que le refus soit jugé abusif, mais également que le ou les parents se soient désintéressés de l’enfant « au risque d’en compromettre la santé ou la moralité » (Civ. 1re, 18 nov. 1997, Dr. fam. 1998, n° 20, note P. Murat). Les juges du fond ont semblé parfois prendre quelques libertés avec la lettre du texte (TGI Lille, 14 oct. 2019, AJ fam. 2020, p. 248, obs. F. Berdeaux ; TJ Pontoise, 24 nov. 2020, AJ fam. 2021, p. 182, obs. L. Brunet). Pourtant, l’exigence du consentement des parents à l’adoption autant que l’appréciation de leur refus tracent une ligne de crête étroite dans le droit de l’adoption, en considération précisément de l’intérêt de l’enfant (ici âgé de 11 ans et auquel un administrateur ad hoc a dû être désigné pour la circonstance). Il est permis d’espérer que le cadre mis en place désormais pour sécuriser la filiation de l’enfant issu d’une PMA au profit d’un couple de femmes, permettra d’éviter pour peu qu’il soit respecté, les tentatives de détournement des conditions de l’adoption.