Pouvoir d'annulation d'une décision d'admission en soins sans consentement illégale : le Conseil d'État renvoie au Tribunal des conflits

30.09.2019

Droit public

Dans le récurrent problème de la demande d'annulation d'une décision de soins psychiatriques sans consentement pour laquelle le juge judiciaire, au travers de la Cour de cassation, puis quatre juridictions administratives du premier et du second degré se sont déclarées incompétentes, le Conseil d'État décide de renvoyer la question au Tribunal des conflits.

Depuis 2016, les juridictions judiciaires et administratives charrient une question lancinante qu’elles ne parviennent pour le moment pas à régler : quelle ordre juridictionnel, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2011 ayant réformé les soins psychiatriques sans consentement, est compétent pour statuer sur l’annulation d’une décision administrative d’admission en soins psychiatriques sans consentement illégale ? Avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2013, de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique issu de la loi de 2011, la question ne se posait pas : le juge administratif, qui statuait alors sur ce type de contentieux, était l’instance juridictionnelle à saisir naturellement. Depuis le 1er janvier 2013, l’article L. 3216-1, alinéa 1er, semble interdire cette voie puisque ce texte dispose que « la régularité des décisions administratives [en matière d’admission en soins psychiatriques sans consentement] ne peut être contestée que devant le juge judiciaire ».
 
Serait-ce alors au juge judiciaire de prononcer cette annulation à présent ? Par deux fois, en 2016 (Cass. 1re civ., 11 mai 2016, no 15-16.233) puis en 2018 (Cass. 1re civ., 25 janv. 2018, no 17-40.066), la Cour de cassation avait été amenée à se prononcer sur cette question. Dans la première de ces deux décisions, elle avait dénié formellement au juge judiciaire ce pouvoir, en considérant que, par principe, celui-ci n’a pas le pouvoir d’annuler un acte administratif illégal, quand bien même il s’agirait d’un acte d’admission en soins psychiatriques sans consentement. Dans la seconde elle avait  réitéré sa position en ajoutant que si le justiciable entendait malgré tout obtenir la suppression rétroactive de l’acte administratif contesté, il lui incombait plutôt d’en demander le retrait, sur le fondement de l’article L. 242-4 du code des relations entre le public et l’administration, à l’autorité administrative auteure de la décision.
Les deux ordres juridictionnels se renvoient la balle
A la suite de ces décisions rendues par le juge judiciaire, un contentieux du même ordre se nouait devant le juge administratif. Dans un premier temps, des juridictions de première instance (TA Toulouse, ord., 12 avr. 2018) puis de seconde instance (CAA Bordeaux, ord., 22 mai 2018), saisies d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir d’une décision d’admission en soins psychiatriques sans consentement, rejetaient cette demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître en se fondant sur l’alinéa 1er de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique.
 
En guise de seconde tentative et en application de la suggestion de la Cour de cassation de 2018, la personne demandait alors au directeur de l’établissement d’accueil de retirer la décision d’admission en soins psychiatriques sans consentement. Celui-ci refusait de satisfaire à cette demande de retrait et la personne saisissait donc logiquement le tribunal administratif de Toulouse d’une demande d’annulation de cette décision de rejet de la demande de retrait. Par une ordonnance du 25 octobre 2018, le président de la 2ème chambre de cette juridiction rejetait cette requête pour incompétence de la juridiction administrative, décision confirmée en seconde instance par la cour administrative d’appel de Bordeaux le 31 décembre 2018. Ces deux décisions se fondaient à nouveau sur l’article L 3216-1, alinéa 1 du code de la santé publique.
 
La personne formait alors un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. Se fondant à nouveau sur l’article L. 3216-1, et considérant cette situation apparemment inextricable dans laquelle les deux ordres juridictionnels refusent d’examiner la requête pourtant légitime d’une personne ayant fait l’objet d’une décision d’admission en soins qu’il estime illégale, le Conseil d’Etat vient de statuer, dans une décision du 24 juillet 2019, que « la question de savoir si le juge administratif ou le juge judiciaire peut connaître d’une action tendant à l’anéantissement rétroactif d’une mesure d’admission en soins psychiatriques sans consentement présente à juger une question de compétence justifiant d’en saisir, en vertu de l’article 35 du décret du 27 février 2015, le Tribunal des conflits ».
Une compétence qui devrait logiquement échoir au juge judiciaire
On ne peut que se réjouir que le Tribunal des conflits soit appelé à mettre un terme à cet imbroglio juridictionnel que l’on devra certainement imputer, pour l’essentiel, au refus obstiné de la Cour de cassation de tirer les inévitables conséquences d’un texte pourtant explicite : si, comme le prévoit clairement l’article L. 3216-1, alinéa 1, du code de la santé publique résultant de la loi du 5 juillet 2011, la régularité des décisions administratives en matière d’admission en soins psychiatriques sans consentement ne peut être contestée que devant le juge judiciaire, et que l’on considère qu’il est du droit le plus essentiel du justiciable d’obtenir la suppression pour le futur comme pour le passé d’une décision administrative d’admission en soins illégale, le juge doté du pouvoir de prononcer l’annulation de l’acte administratif ne peut être que le juge judiciaire. Cette solution s’impose également pour des raisons de clarté de la répartition du contentieux : l’article L. 3216-1, dans sa version issue de la loi de 2011, visait à mettre un terme à la complexité du système ancien qui obligeait la personne à saisir successivement deux juges différents pour obtenir un plein rétablissement de ses droits. On ne comprendrait pas qu’on réintroduise ainsi entre les deux ordres juridictionnels, de manière presque artificielle, une nouvelle redondance du contentieux. Bref, il importe que la Cour de cassation, sur ce sujet précis des soins psychiatriques, renonce aux pudeurs qu’elle entretient habituellement vis-à-vis du pouvoir d’annulation d’un acte administratif illégal.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
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