Procédures administratives et contentieuses en droit des étrangers : réforme en vue

12.10.2020

Droit public

A l'issue d'une mission confiée par le premier ministre, le Conseil d'État propose une réforme des procédures administratives et contentieuses du droit des étrangers afin d'améliorer l'action administrative, de simplifier le procès et de rendre du sens et de la cohérence à l'action du juge.

C’était une évidence pour tous, encore fallait-il l’écrire : la procédure administrative et contentieuse concernant le droit des étrangers est « d’une rare complexité », obscure, inefficace, parfois même inutile et préjudiciable aussi bien aux droits des étrangers qu'à l’action administrative et au fonctionnement des juridictions administratives. C’est pourquoi, dans un rapport rendu public à la fin du mois de septembre, le Conseil d’État formule vingt propositions, aux allures de projet de loi, pour une remise à plat des procédures administratives et contentieuses concernant le droit des étrangers.
Remarque : à travers son rapport, le Conseil d’État prend acte d’une autre évidence : les décisions défavorables de l’administration, ou de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), sont, pour leur écrasante majorité, soumises au contrôle du juge, rien n’ayant jusqu’au présent permis de décourager les justiciables d’exercer les recours que la loi leur reconnaît, même dans des conditions dégradées.
Pour les rapporteurs, le triple enjeu, humain, administratif et juridique qui ressort de ce contentieux impose ainsi, tout à la fois, que :
- l’administration repense son fonctionnement afin de mieux traiter les demandes et sa manière d’y répondre, tant sur la forme que sur le fond ;
- le juge puisse statuer dans de meilleures conditions, aussi bien en termes de procédure que sur le fond, sur un contentieux dont il conviendrait de réduire le volume.
Deux grands axes se dégagent par conséquent des propositions du rapport : améliorer l’action administrative d'une part, afin d’augmenter la qualité de ses décisions et d’en diminuer le volume, et simplifier l’accès au juge et la procédure, d’autre part.
Améliorer l’action administrative
Premier constat du rapport : l’engorgement des tribunaux n’est que le reflet de l’incapacité de l’administration à traiter les demandes qui lui sont adressées et des modalités d’exercice de sa compétence.
Ne pas générer de contentieux au moment de l’enregistrement et de l’instruction de la demande
Aussi, le Conseil d’État recommande d’abord de mettre un terme aux contentieux qui concernent l’accès au guichet et à celui des refus implicites.
Pour ce faire, outre l’amélioration des systèmes informatiques, il recommande d’abord d’allonger la durée de validité des documents provisoires de séjour (17e proposition).
Le rapport souligne également qu’une grande partie du contentieux trouve son origine dans l’inertie de l’administration. Une inertie qui conduit à des décisions implicites qui, après la mise en œuvre du mécanisme de la demande de communication des motifs, sont censurées pour défaut de motivation.
L’administration doit donc impérativement instruire les demandes dans le délai prescrit par la loi afin de prévenir la mise en œuvre de ces mécanismes (19e proposition).
Généraliser un examen exhaustif et transversal au regard de l’ensemble des règles relatives au séjour
Pour prévenir le nombre toujours croissant de demandes de titres de séjour introduites par les étrangers, le groupe de travail estime qu’il est nécessaire de mettre fin aux demandes itératives présentées pour des motifs ou sur des fondements différents. Pour cela, il prescrit :
- de revenir sur la règle de l’examen de la situation administrative de l’étranger au seul regard de l’objet de la demande, telle que consacrée par un avis du Conseil d’État du 28 novembre 2007 (CE, avis, 28 nov. 2007, n° 307036) ;
- d’imposer à l’administration un examen exhaustif et transversal au regard de l’ensemble des règles relatives au séjour, afin de fixer de manière claire et définitive la situation de l’intéressé (5e proposition).
Remarque : cette possibilité a déjà été reconnue par le Conseil d’État (CE, 6 déc. 2013, n° 362324) et est mise en œuvre par certaines préfectures.
Pour que ce système prévienne les demandes répétées tout en garantissant les droits des étrangers, le Conseil d’État recommande donc que :
- les demandeurs aient l’obligation de présenter, à l’appui de leurs demandes, tous les éléments concernant leur situation personnelle et familiale ;
- toute demande ultérieure soit fondée sur des faits ou éléments nouveaux. Autrement dit, aucune nouvelle demande ne serait examinée en l’absence de faits ou d’éléments nouveaux (6e proposition).
Remarque : on peut déjà pressentir un nouveau contentieux propre aux décisions de refus d’examen des demandes de titre de séjour en raison de l’absence de faits ou d’éléments nouveaux et portant précisément sur la qualification des éléments rapportés à l’appui des demandes.
Accélérer la prise des OQTF des personnes déboutées par la CNDA
Autre proposition concernant les personnes déboutées par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) alors que le droit au maintien sur le territoire leur a été refusé, l’obligation de quitter le territoire (OQTF) pourrait désormais être adoptée dès le jour de la signature de l’ordonnance, mais elle ne serait exécutoire qu’après sa notification (16e proposition).
Augmenter les ressources de fonctionnement de la Commission de recours contre les refus de visa
Enfin, alors qu’en 2018, la Commission de recours contre les décisions de refus de visas a été saisie de 37 016 recours, elle affichait un taux de rejet implicite à hauteur de 50 %, ce qui signifie que la moitié des recours n’est pas instruite, faute de moyens. Le Conseil d’État réclame donc plus de ressources pour le fonctionnement de l’institution (dont on rappellera qu’il ne s’agit pas d’une juridiction mais d’une commission administrative).
Rendre l’action juridictionnelle plus efficace
Afin de « remédier à la complexité des procédures juridictionnelles et à leur inadaptation », le Conseil d’État estime qu’il convient également d’engager une réforme des procédures contentieuses.
Simplifier les procédures existantes
Sur la question de l’action juridictionnelle, deux propositions du groupe de travail devraient avoir un effet particulièrement structurant puisqu’il s’agit de :
- ne prévoir que trois procédures en lieu et place de la douzaine de procédures existant actuellement dans le cadre du contentieux du droit des étrangers (1re proposition) ;
- lier le degré d’urgence aux exigences réelles de célérité de l’action administrative (2e proposition).
Seraient ainsi créées :
- une procédure « ordinaire », « sans urgence marquée » et proche du droit commun procédural pour les décisions relatives à l’entrée et au séjour, non assorties de mesures de contrainte. Le délai de recours devant la formation collégiale du tribunal administratif serait d’un mois (et non de trente jours afin de simplifier le décompte), le délai de jugement de six mois ;
- une procédure d’urgence en cas de mesure de contrainte (rétention, assignation à résidence, maintien en zone d’attente) sur le modèle fixé par l’article L. 512-1, III du Ceseda : quarante-huit heures pour saisir le juge, quatre-vingt-seize heures pour juger ;
- une procédure d’urgence adaptée aux exigences de célérité imposées à l’administration (procédures « Dublin » et contentieux des conditions matérielles d’accueil), qui n'imposent pas une décision à très court terme. Le délai de recours serait de sept jours et le délai de jugement, à juge unique, de quinze jours.
Remarque : les contentieux de l’expulsion, des remises Schengen sans mesure de surveillance, ou des refus d’entrée sur le territoire, hors demandes d’asile, resteraient dans le giron du droit commun.
Fluidifier les relations entre les ordres de juridiction
Le juge des libertés et de la détention (JLD) étant partie prenante à la procédure en cas de placement en rétention, le Conseil d’État préconise également deux mesures permettant de fluidifier les interactions avec le juge administratif en :
- faisant courir le délai au terme duquel le JLD doit avoir statué à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision de placement en rétention, quel que soit le jour auquel l’administration l’a saisi (soit un délai maximal de quatre-vingt-seize heures suivant le début du placement) (8e proposition) ;
- améliorant la communication entre les juridictions judiciaires (JLD) et administratives, afin que les secondes ne soient pas seulement informées du sens de la décision des premières mais aussi, en amont, des dates d’audience, de manière à ce que les greffes des tribunaux administratifs puissent adapter l’enrôlement en conséquence (9e proposition).
Remarque : bien que cela ne soit pas évoqué dans le rapport, il semble nécessaire que le même régime s’applique aux cours d’appel, qui, sauf prorogation légale de délai, statuent au plus tard soixante-douze heures après la notification de l’ordonnance du JLD lorsqu’elles infirment les ordonnances de prolongation de rétention et, partant, ordonnent la remise en liberté.
Harmoniser l’office du juge
Pour le Conseil d’État, il convient aussi :
- de mettre fin à la compétence exclusive du tribunal en ce qui concerne le contentieux de l’annulation des décisions relatives au séjour (désormais prises sur les seuls fondements des 3°, 5°, 7° et 8° de l’article L. 511-1 du Ceseda) ;
- de permettre au magistrat désigné d’annuler tout refus de séjour qui constituerait la base légale d’une OQTF (en effet, comme le souligne le rapport, ce magistrat en apprécie toujours la légalité s’il est saisi de conclusions en ce sens, par voie d’exception).
Il est ainsi proposé une unification du traitement des recours dirigés à la fois contre l’OQTF et le séjour (3e proposition). Le magistrat désigné deviendrait dès lors compétent pour répondre aux conclusions d’annulation dirigées contre le refus de séjour et pourrait alors déployer l’ensemble des pouvoirs dont il dispose (injonction, astreinte) pour donner force à ses décisions sur ce point (7e proposition).
Remarque : à ce jour, le magistrat désigné qui annule une OQTF ne peut qu’enjoindre au réexamen de la situation et non à la délivrance d’un titre de séjour.
Améliorer le principe du contradictoire
Le groupe de travail estime que le juge doit être éclairé par toutes les parties, en toutes circonstances et quelle que soit la procédure. A ce titre, il juge nécessaire la généralisation des productions en procédure écrite et la représentation du préfet en procédure d’urgence (20e proposition).
Il est également nécessaire que l’administration réponde aux moyens soulevés. Ainsi, alors que, dans le contentieux des titres de séjour pour soin, les éléments dont disposent l’Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) sont couverts par le secret médical, il serait souhaitable que l'Office puisse être mis en cause dans les procédures afin qu’il soit en mesure de présenter des observations sans que soit opposé le secret, dès lors que le requérant a lui-même décidé d’éclairer le juge, par ses conclusions, sur la nature de la pathologie dont il est affecté (14e proposition).
Remarque : le fait que le secret médical s’oppose à ce que le préfet ait connaissance des éléments détenus par l’Ofii et à ce que ce dernier puisse les communiquer au juge conduit en effet à une situation paradoxale, le requérant devant quant à lui dévoiler l’ensemble des éléments sur lesquels il se fonde pour critiquer l’avis médical et la décision qui s’en suit.
En ce qui concerne particulièrement les étrangers détenus, l’administration devrait également veiller à s’assurer de leur extraction pour qu’ils puissent être présents aux audiences (13e proposition).
Faire évoluer les contentieux de l’asile
Afin de réduire le nombre et la multiplicité des recours et de désengorger tant les tribunaux administratifs que les cours administratives d’appel, le groupe de travail envisage plusieurs solutions radicales :
- supprimer le double degré de juridiction pour les procédures « Dublin » dès lors que, compte tenu des délais imposés pour l’exécution des transferts et du fait que l’instance d’appel ne proroge pas ce délai, les cours constatent par un non-lieu à statuer dans une grande partie des cas (la responsabilité ayant été transférée aux autorités françaises en cours de procédure) (4e proposition) ;
Remarque : les auteurs du rapport recommandent également un meilleur partage d’information entre l’Ofii et l’administration afin de mieux répondre au contentieux fondé sur les transferts de responsabilité, lorsque la fuite opposée par la seconde ne peut être qu’établi par le premier (18e proposition).
- réformer le système de l’aide juridictionnelle devant la CNDA avec une attribution de plein droit (ce qui simplifiera l’instruction des demandes, dès lors qu’elle est, de fait, systématiquement accordée, sauf lorsque le délai est forclos) et un effet interruptif (et non plus suspensif) de la demande (15e proposition) ;
- retirer le contentieux de l’irrecevabilité des demandes d’asile en rétention de la compétence de la CNDA (10e proposition).
Remarque : c’est le Conseil d’État qui a interprété les dispositions de l’article L. 731-2 du Ceseda comme confiant à la CNDA cette compétence (CE, 23 déc. 2016, n° 403971).
Enfin, le Conseil d’État met sur la sellette la procédure de sursis à exécution des procédures d’éloignement en cas de demande d’asile (C. étrangers, art. L. 743-3, L. 743-4 et L. 571-4), innovation complexe de la loi du 10 septembre 2018. Il s’interroge de fait sur sa véritable utilité, notamment lorsque l’étranger n’est pas placé en rétention ou assigné à résidence, et que, dans ce cas (qui constitue une hypothèse fréquente selon le rapport), le juge administratif doit statuer sur la demande de sursis à exécution après que la CNDA a rendu sa décision (11e proposition).

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Christophe Pouly, avocat
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