Projet de loi « immigration » : les sénateurs adoptent un texte largement remanié

16.11.2023

Droit public

Après un examen marqué par de profondes réécritures qui ont, parfois contre l'avis du gouvernement, très largement durci le texte, les sénateurs ont adopté, le 14 novembre 2023, un projet de loi encore bien loin de sa forme définitive. Présentation non exhaustive des principaux apports de la chambre haute.

Après plusieurs mois de travaux suspendus, les sénateurs ont finalement procédé, le 14 novembre 2023, au vote solennel du projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ». Ce texte, largement durci par sa majorité de droite et du centre lors de son passage en commission des lois en mars, l'a encore été en séance, parfois contre l’avis du gouvernement, parfois avec son soutien, parfois avec une forme de consentement consistant à s’en remettre à la « sagesse » du Sénat. Ce même gouvernement aura aussi été à l’origine de nombreux amendements, rétablissant parfois des dispositions que la commission avait supprimées.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Remarque : en définitive, le texte passe de 27 à 93 articles. Il va désormais être discuté à l’Assemblée nationale où les oppositions s’annoncent fortes. Il devrait y être débattu en commission des lois dès le 27 novembre, puis dans l’hémicycle du 11 au 22 décembre 2023.

Retour sur les principales modifications adoptées, après 5 jours de débats, par la chambre haute.

Travail des étrangers

Principal point de divergence au sein de la majorité sénatoriale, l’article 3 du projet de loi initial est supprimé et remplacé par un article 4 bis qui prévoit une procédure de régularisation strictement encadrée où la décision finale relève du pouvoir discrétionnaire du préfet.

Aux termes de ce nouvel article, le demandeur devra justifier de l’exercice d’un emploi en tension pendant au moins 12 mois, consécutifs ou non, sur les 24 derniers mois, de l’occupation de cet emploi au moment de la demande et d’une résidence ininterrompue d’au moins 3 ans. La délivrance de la carte de séjour « salarié » ou « travailleur temporaire », valable un an, sera conditionnée à un examen de la réalité et de la nature des activités professionnelles de l’étranger, de son insertion sociale et familiale, de son respect de l’ordre public, de son intégration à la société française, à ses modes de vie et à ses valeurs, et de son respect des principes de la République. La demande pourra être déposée sans l’accord ou l’aval de l’employeur. Après la régularisation, une autorisation de travail pourra être délivrée, sous réserve de la vérification, auprès de l’employeur, de la réalité de l’activité professionnelle.

Remarque : bien que défavorable à la suppression de l’article 3, le ministre de l’intérieur a jugé ce nouvel article « acceptable » et s’en est remis à la sagesse du Sénat. Il a fait ajouter au texte l’exclusion, pour le calcul des périodes travaillées permettant d’accéder à une régularisation, de celles exercées en qualité de demandeur d’asile ou sous couvert d’un titre de séjour « étudiant » ou « travailleur saisonnier ».

Autre disposition supprimée du volet travail (contre l’avis du gouvernement) : l’article 4, qui tendait à donner un accès immédiat au marché du travail aux demandeurs d’asile dont le taux de protection est supérieur à un seuil.

Remarque : supprimé en commission, l’article 2 du projet, qui impose une obligation de formation à la langue française à la charge de l’employeur, a lui été rétabli par le gouvernement, avec l’appui des voix de la gauche. Rétabli également (mais réécrit), l’article 8 qui transforme en « amende administrative » la contribution spéciale à la charge des employeurs ayant illégalement recours à un travailleur étranger.

Conditions d’accès à la nationalité

En matière de nationalité, une série d’amendements a été adoptée, contre l’avis du gouvernement : allongement des délais de mariage et de communauté de vie pour l'accès à la nationalité par mariage (art. 2 ter A), perte du droit du sol en cas de défaut d'assimilation (art. 2 ter B), exclusion du bénéfice de l'acquisition de la nationalité par droit du sol des mineurs condamnés à une peine de 6 mois de prison (art. 2 ter), renforcement des conditions d’acquisition de la nationalité pour les mineurs étrangers nés dans certains territoires ultramarins de parents étrangers (art. 2 ter C), allongement du délai de résidence de 5 à 10 ans pour la naturalisation (art. 2 quater), augmentation du droit de timbre pour le dépôt d'une demande de naturalisation (art. 2 quinquies).

Le gouvernement s’en est par ailleurs remis à la sagesse du Sénat sur le nouvel article 2 bis A (déchéance de nationalité pour les binationaux se rendant coupables d’homicides ou tentatives d’homicides sur des personnes dépositaires de l’autorité publique) et sur l’article 2 bis (manifestation de la volonté pour l'acquisition de la nationalité française).

Remarque : le ministre de l’intérieur a indiqué n’être pas défavorable à l’article 2 bis A « sur le fond » mais estimé qu’il « relève du droit de la nationalité et non du présent texte ». Il estime aussi que l’article 2 bis « n'a rien à faire dans un texte relatif à l'immigration », mais qu’il pourra en être débattu « dans un autre cadre ».

Étrangers malades

Le Sénat a également voté la suppression de l’aide médicale de l’État (AME) et son remplacement par une aide médicale d’urgence (AMU) centrée sur la prise en charge des pathologies les plus graves (article 1 I). Adopté en commission, le dispositif a été ajusté en séance, en alignant ses conditions d’éligibilité (obligation de résidence en France depuis au moins 3 mois, notamment) et de financement sur celles de l’AME.

Remarque : sur cet article à l’avenir incertain, le gouvernement s’en est remis à la sagesse du Sénat « par souci de cohérence », en attendant les conclusions de la mission confiée sur le sujet à MM. Evin et Stefanini.

S’agissant du renforcement des conditions d'accès au titre « étranger malade » (article 1E), le gouvernement s’en est remis à la sagesse du Sénat. Il a par ailleurs clairement soutenu l’article 1F, qui inscrit dans la loi les conditions d'appréciation des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé d'un étranger d'un défaut de prise en charge médicale, l'un des critères pour l'admission au séjour au titre de la procédure « étranger malade ».

Immigration familiale

L’article 1 B, qui renforce les conditions d’accès au regroupement familial, a été amendé en séance. Avec la bénédiction du gouvernement, il prévoit le rehaussement de l’âge minimal dont doivent disposer un étranger et son conjoint (de 18 à 21 ans) ainsi que l’exclusion des aides personnelles au logement des prestations prises en compte pour apprécier les ressources.

Également adoubé par le gouvernement, un amendement aligne les conditions du droit au séjour pour les conjoints de Français sur celles applicables au regroupement familial (art. 1 A). L’article 1 E C prévoit quant à lui l’augmentation de la condition de résidence pour l’octroi d’un titre de séjour « vie privée et familiale » (le gouvernement s’en est ici remis à la sagesse du Sénat).

Remarque : ont encore été adoptés un nouvel article 7 bis (sursis du mariage prononcé par le procureur de la République quand il suspecte un mariage frauduleux), issu d’un amendement LR qui a recueilli l’avis favorable du gouvernement, et un nouvel article 19 bis C, issu d’un amendement du gouvernement, qui resserre les critères de la réunification familiale.

Titres de séjour

Le Sénat a adopté dans une version renforcée l’article 1er (qui, notamment, conditionne l’octroi d’un titre de séjour pluriannuel à une connaissance minimale de la langue française), le niveau de langue requis étant fixé à A2 (niveau exigé pour la carte de résident).

Remarque : concernant les moyens pour obtenir ce niveau, un amendement du groupe communiste a été voté, contre l’avis de la commission mais avec le soutien du gouvernement, pour conditionner la réussite de l’examen au bénéfice de cours gratuits.

Proposé par la commission, le nouvel article 1EB a recueilli l’avis favorable du gouvernement, sous réserve d’être « peaufiné » en cours de navette. Il prévoit l’élargissement des conditions de refus de délivrance ou de renouvellement et de retrait d’une carte de séjour temporaire (CST) ou pluriannuelle (CSP), même délivrée pour motif familial, et le retrait ou le refus de délivrance ou de renouvellement de ces titres en cas de crimes et délits contre une personne titulaire d’un mandat électif, dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public.

Plusieurs amendements à l’article 13 (qui conditionne le droit au séjour au respect des « principes de la République ») ont par ailleurs été adoptés, contre l’avis du gouvernement, proposant par exemple de substituer à la compétence discrétionnaire du préfet une compétence liée pour refuser ou retirer un titre de séjour pour non-respect du contrat d’engagement aux principes de la République ou de rendre le critère du trouble à l’ordre public facultatif. De même, ont été adoptés, toujours contre l’avis du gouvernement :

  • l‘article 7 ter, qui modifie les critères d’attribution d’un titre de séjour pour les jeunes majeurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance avant l’âge de 16 ans ;

  • l’article 1 G A, qui prévoit le dépôt d’une caution pour l’obtention d’un premier titre de séjour « étudiant » ;

  • l’article 1 H A, qui prévoit une majoration des droits universitaires pour les étudiants extracommunautaires (pour le ministre de l’intérieur, il « relève du projet de loi de finances » et sera « censuré par le Conseil constitutionnel »).

En revanche, le gouvernement :

  • a accueilli favorablement les aménagements à la possibilité introduite par l’article 13 de refus de renouvellement ou de retrait de la carte de résident en cas de menace grave pour l’ordre public ;

  • a lui-même amendé l’article 13 pour prévoir le retrait du titre de séjour du bénéficiaire d’une protection internationale résidant régulièrement en France depuis plus de 5 ans et qui a vu sa protection retirée parce qu’il est retourné volontairement dans son pays ;

  • s’en est remis à la sagesse du Sénat sur le nouvel article 1 bis selon lequel il ne pourrait plus être procédé à plus de trois renouvellements consécutifs d’une CST pour un même motif ;

  • a soutenu le nouvel article 15 bis (porté par la gauche sénatoriale), qui prévoit l’octroi d'une CST aux victimes au moment du dépôt de plainte contre des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine.

Asile

L’article 19, qui prévoit la création, dans 10 départements, de pôles territoriaux « France asile » où les demandeurs d’asile pourraient notamment introduire leur demande auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), a fait l’objet de plusieurs amendements. Avec l’avis favorable du gouvernement, a ainsi été proposée la suppression, dans le cadre de l’expérimentation, du délai entre l'enregistrement de la demande d'asile et son introduction auprès de l'Ofpra.

En outre, après avoir consacré la possibilité de compléter une demande d’asile de tout élément ou pièce utile jusqu'à l’entretien personnel (qui ne pourrait intervenir avant un délai de 21 jours à compter de l'introduction de la demande), la commission a, en séance, proposé la création d’une dérogation à ce délai afin de permettre à l'Ofpra de convoquer le demandeur d'asile dans un délai plus bref, en cas d'urgence.

Le gouvernement a, de son côté, fait adopter ou soutenus des amendements :

  • prévoyant la possibilité de mener les entretiens individuels par un moyen de communication audiovisuelle dans le cadre de l'expérimentation ;

  • prévoyant l’information du demandeur de la possibilité d'être assisté d’un avocat ou d’un représentant d’association lors de son entretien ;

  • permettant à l’Ofpra, après un examen de sa situation personnelle, de prendre une décision d’irrecevabilité lorsque le demandeur ne bénéficie pas du statut de réfugié mais d’une protection équivalente effective dans un État tiers, sous réserve qu’il y soit bien réadmissible ;

  • imposant à l’Office de clôturer le dossier si le demandeur l'informe du retrait de sa demande. Il prévoit également la clôture d’une demande d’asile lorsque le demandeur a abandonné son lieu d’hébergement ou n’a pas respecté le contrôle administratif auquel il était astreint, sauf motif légitime (art. 19 bis A) ;

  • instaurant une procédure d’éviction du lieu d’hébergement des demandeurs d’asile des personnes nouvellement reconnues réfugiées (aujourd’hui limitée aux personnes déboutées) (art. 19 quater).

Enfin, le gouvernement ne s’est pas opposé au nouvel article 19 bis B, qui impose l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) et la fin de la prise en charge des soins au titre de la protection universelle maladie lorsque l’étranger est définitivement débouté de sa demande d’asile.

Assignation à résidence et rétention administrative

Plusieurs amendements ont en vain proposé d’étendre l’article 12 du projet initial, qui prévoit la fin de la possibilité de placer les mineurs de moins de 16 ans en rétention administrative, à tous les mineurs, aux femmes enceintes, aux familles avec enfants, même dans les locaux de rétention administrative.

Remarque : le ministre de l’intérieur a annoncé qu’il proposera de « rétablir » ces amendements à l'Assemblée nationale. Il a en revanche fait adopter un amendement à l’article 27 pour reporter l'entrée en vigueur de l’interdiction à Mayotte au 1er janvier 2027.

Au-delà, plusieurs nouvelles dispositions ont été adoptées au cours des débats, dont certaines issues d’amendements du gouvernement, telles que :

  • la création d’un régime d’assignation à résidence ou de placement en rétention du demandeur d’asile présentant une menace à l’ordre public ou un risque de fuite (art. 12 bis A) ;

  • l’allongement de la durée de l'autorisation à se maintenir provisoirement sur le territoire sous le régime de l'assignation à résidence des étrangers en cas d'impossibilité de le quitter (12 bis B) ;

  • la réduction du délai entre deux placements en rétention en cas de circonstance nouvelle de fait ou de droit (art. 12 bis C).

Soutenu par le gouvernement, un amendement à l’article 14 C, prévoit pour sa part que les frais d'assignation à résidence des étrangers faisant l'objet d'une décision d'expulsion, d'une peine d'interdiction du territoire français (ITF) ou d'une interdiction administrative du territoire sont à la charge de ceux-ci.

Remarque : on signalera encore les aménagements apportés par le gouvernement à l’article 23 bis à travers deux amendements, qui, pour l’un, autorise la visite domiciliaire aux fins de récupération du passeport de l’étranger assigné à résidence et, pour l’autre, augmente à 4 jours (au lieu de 48 heures) la durée de la première phase de rétention.

Éloignement

Avec le soutien du gouvernement, un amendement institue, à l’article 18 bis, en complément de l’article 18 (qui porte à 5 ans la durée d'interdiction de retour – IRTF), un nouveau motif de refus de visa lorsque l’étranger en cas de non-respect des modalités d’exécution de l’OQTF prononcée depuis moins de 5 ans.

Un autre amendement, porté par le gouvernement, créé un article 10 bis qui prévoit, en cas de refus de délai de départ volontaire, de porter à 10 ans la durée maximale de l’IRTF lorsque le comportement de l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public. L’interdiction serait réexaminée au bout de 5 ans.

On signalera encore l’adoption (contre l’avis du gouvernement) d’un amendement à l’article 21, prévoyant le passage de deux à trois ans du délai maximal d’une OQTF permettant l’assignation à résidence ou le placement en rétention.

Plusieurs amendements, proposés ou soutenus par le gouvernement, visent par ailleurs a encore simplifier l’éloignement de certains étrangers, au-delà de ce que prévoyait l’article 9 du projet initial, notamment à travers la levée des protections :

  • contre l’expulsion en cas de violation des principes de la République ;

  • contre l'expulsion et l'ITF en cas de violences sur ascendant ou sur des personnes élues ou exerçant certaines fonctions.

En outre, malgré l’avis défavorable du gouvernement, des amendements de la commission ont été adoptés, qui proposent :

  • de réduire le quantum de peine encourue permettant la levée des protections dont bénéficient certaines catégories d’étrangers contre l’expulsion ou l’ITF ;

  • d’autoriser le prononcé d’une peine complémentaire d’ITF à l’encontre de tout étranger coupable d’un crime ou d’un délit passible de plus de 3 ans d’emprisonnement.

Enfin, toujours contre l’avis du gouvernement (la modification n’étant pas en phase avec la jurisprudence du Conseil d’État), un amendement à l’article 10 supprime les protections absolues contre les OQTF pour les étrangers en situation irrégulière ayant développé des liens particuliers avec la France et propose de confier à l’administration la responsabilité d’apprécier seule, au cas par cas, les atteintes à la vie privée et familiale qui découleraient de l’OQTF.

Amendements divers

De nombreux amendements ont encore été adoptés en séance. Certains l’ont été à l’initiative du gouvernement ou en ayant recueilli un avis favorable de sa part, comme, par exemple :

  • à l’article 1A, qui impose notamment la tenue d’un débat annuel au Parlement sur les orientations de la politique d'immigration et la détermination de quotas pour l’immigration économique ;

  • à l’article 1 L, qui crée un délit de séjour irrégulier puni d’une peine d’amende et exclusif de privation de liberté, seulement poursuivi à la suite d’une procédure de retenue administrative ;

  • à l’article 19 ter A, qui, sauf circonstances exceptionnelles, exclut les étrangers en situation irrégulière du dispositif d'hébergement d'urgence.

Sur d’autres amendements le gouvernement a préféré s’en remettre à la « sagesse » du Sénat, comme, par exemple, s’agissant :

  • de l’article 1 J, qui exclut les étrangers en situation irrégulière des réductions accordée dans les transports ;

  • de l’article 1 N, qui conditionne l’ouverture des droits aux prestations sociales (allocations familiales, prestation de compensation du handicap, aide personnalisée au logement, droit au logement opposable) à 5 ans de résidence stable et régulière ;

  • de l’article 14 D, qui inscrit dans la loi que l’aide au retour ne peut être attribuée qu’une seule fois.

Olivier Songoro, Dictionnaire permanent droit des étrangers
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