La Cour de cassation confirme que le chirurgien ayant implanté un dispositif médical défectueux n'est pas responsable de plein droit.
La Cour de cassation était saisie d’un pourvoi principal introduit par un fabricant de prothèses contre un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 4 octobre 2018, l’ayant déclaré entièrement responsable du préjudice subi par un patient victime de la rupture de sa prothèse de hanche. Un pourvoi incident a également été introduit par la victime, la cour d’appel n’ayant pas retenu, en l’absence de faute, la responsabilité du chirurgien ayant implanté la prothèse défectueuse.
Le régime de responsabilité du fait des produits défectueux applicable au fabricant mais pas au chirurgien
Les moyens soulevés à l’appui des pourvois ont tous été écartés, la Cour de cassation confirmant, dans un arrêt du 26 février 2020, que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux s’applique de plein droit au fabricant d’une prothèse défectueuse, mais pas au chirurgien l’ayant implantée, ce dernier ne pouvant être déclaré civilement responsable qu’en présence d’une faute de sa part.
En l’occurrence, l’expertise avait révélé que la rupture de la prothèse à l’origine de la chute du demandeur n’était imputable ni à l’état ou au comportement du patient, ni à une erreur dans le choix et la pose de la prothèse par le chirurgien, mais provenait de la rupture de la tige fémorale qui ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre. Le défaut de la prothèse ayant été établi, ainsi que le lien de causalité entre celui-ci et le préjudice subi par la victime, la responsabilité civile du fabricant est donc engagée de plein droit au regard des articles 1245 et suivants du code civil.
Divergence de jurisprudence entre ordres juridictionnels
Le pourvoi incident de la victime présentait plus d’intérêt, puisqu’il met en exergue la divergence de jurisprudence existant actuellement entre la Cour de cassation et le Conseil d’Etat.
On sait en effet que ce dernier, à la suite d’une question préjudicielle renvoyée à la Cour de justice (
CJUE, 21 déc. 2011, aff. C-495/10, CHU de Besançon), a réaffirmé que le service public hospitalier est responsable, même en l’absence de faute, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu’il utilise, sans préjudice des actions susceptibles d’être exercées à l’encontre du producteur (
CE, 12 mars 2012, n° 327449).
La Section du contentieux a par la suite estimé que l’interprétation donnée par la Cour de justice à la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 ne faisait pas obstacle à l’application de cette jurisprudence lorsqu’il s’agit de l’implantation d’une prothèse défectueuse au sein d’un service hospitalier (
CE, 25 juill. 2013, n° 339922).
Or, c’est une solution inverse qui a été retenue par la Cour de cassation. Alors que la Première chambre civile avait imposé au professionnel de santé une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne le matériel médical qu’il utilise pour l’exécution d’un acte d’investigation ou de soins (Cass. 1re civ., 9 nov. 1999, n° 98-10.010), elle a en effet procédé à un spectaculaire revirement à la suite de l’arrêt de la Cour de justice.
Dès lors que la directive 85/374/CEE n’a pas vocation à harmoniser de manière exhaustive le domaine de la responsabilité du fait des produits défectueux au-delà des points qu’elle réglemente, la Haute juridiction judiciaire a considéré qu’un prestataire de services de soins, tel un chirurgien ayant implanté une prothèse défectueuse, ne saurait être assimilé à un distributeur de produits de santé, ses prestations visant essentiellement à faire bénéficier les patients des traitements et techniques les plus appropriés à l’amélioration de leur état (Cass. 1re civ., 12 juill. 2012, n° 11-17.510). Hormis le cas où il est lui-même producteur, un médecin ne peut donc voir sa responsabilité civile recherchée que sur le fondement du droit commun, en l’occurrence la faute, lorsqu’il a recours aux produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l’exercice de son art ou à l’accomplissement d’un acte médical.
La Cour de cassation a eu l’occasion de confirmer cette jurisprudence, à l’occasion d’un contentieux visant la vaccination effectuée par un médecin au moyen d’un vaccin contre l’hépatite B suspecté d’être à l’origine d’une leucodystrophie, le demandeur devant nécessairement prouver que son dommage est imputable à une faute du praticien (Cass. 1re civ., 14 nov. 2018, n° 17-27.980).
En rejetant le pourvoi incident du demandeur ayant subi un préjudice causé par une prothèse défectueuse, au motif qu’en l’absence de faute, la responsabilité du chirurgien l’ayant implantée ne saurait être engagée de plein droit, l’arrêt rendu le 26 février 2020 maintient la divergence de jurisprudence existant entre les deux ordres juridictionnels à propos de l’interprétation des dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique.
Ces dispositions prévoient que les professionnels et les établissements de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute, « hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé ».
Pour la Cour de cassation, le régime de responsabilité applicable à l’implantation d’une prothèse défectueuse est principalement lié à un acte médical, le produit étant secondaire : c’est donc le régime de la responsabilité pour faute qui doit primer. Pour le Conseil d’Etat, il y a lieu de faire prévaloir le régime de responsabilité applicable aux produits de santé et de conférer toute sa portée à l’exception que constitue la responsabilité sans faute encourue par un établissement de santé au sein duquel est utilisé ou implanté un produit défectueux.
Comme on le voit, la distinction entre l’acte et le produit, qui structure une partie du droit de la santé, peut s’avérer parfois conflictuelle.
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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Jérôme Peigné, Professeur à l'université de Paris (Institut droit et santé)