Prothèses PIP : l'Etat responsable

07.02.2019

Droit public

Le principe d'une responsabilité de l'État est reconnu pour la première fois dans l'affaire des prothèses PIP.

Le tribunal administratif de Montreuil était saisi d’une requête visant à obtenir la condamnation de l’Etat à verser des dommages-intérêts à une victime de prothèses mammaires PIP, en réparation des préjudices subis en raison de la faute commise par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (l’AFSSAPS devenue l’ANSM depuis 2012) dans l’exercice de sa mission de police.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Par un jugement du 29 janvier 2019, le tribunal administratif vient de rejeter sa requête faute de préjudice direct et certain, tout en reconnaissant que l’Etat est responsable du fait de la carence fautive de l’ex-AFSSAPS à prendre les mesures de contrôle et de police nécessaires entre avril et décembre 2009.

La patiente s’était fait implanter des prothèses PIP à visée esthétique en avril 2005. A la suite d’une inspection révélant que le gel de silicone utilisé pour la fabrication de ces implants mammaires n’était pas conforme, le directeur général de l’AFSSAPS avait décidé de suspendre leur mise sur le marché, leur distribution, leur exportation et leur utilisation par une décision du 29 mars 2010. La patiente avait fait l’objet d’une explantation des prothèses litigieuses le mois suivant.

Une carence fautive de l’agence de sécurité sanitaire de nature à engager la responsabilité de l’Etat

Pour retenir la responsabilité de l’Etat, les juges de première instance se sont fondés sur le régime de la faute simple. Ce dernier avait servi de fondement dans l’affaire du Mediator, le Conseil d’Etat ayant confirmé que la carence fautive de l’AFSSAPS à suspendre la mise sur le marché du médicament défectueux est de nature à engager la responsabilité de l’Etat (CE, 9 nov. 2016, n° 393904, RDSS 2016, p. 1160, note Peigné, AJDA 2017, p. 426, note Brimo, JCP G 16 janv. 2017, n° 58, note Rotoullié, Dr. adm., janv. 2017, comm. n° 3, note Lantero).

Une différence existe toutefois entre la police des médicaments et celle des dispositifs médicaux, puisque les premiers font l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l’agence, alors que les dispositifs médicaux relèvent d’une procédure de certification (marquage CE) conduite par un organisme notifié indépendant.

Dans l’affaire PIP, la Cour de cassation a d’ailleurs estimé que la responsabilité civile de l’organisme certificateur (Tüv Rheinland) pouvait être engagée, eu égard à l’obligation de vigilance à laquelle il était tenu dans le cadre de sa mission (Cass. 1re civ., 10 oct. 2018, n° 16-19430, n° 15-26093, n° 15-26388, n° 15-26115, n° 15-28531, n° 17-14401, JCP G, 26 nov. 2018, n° 1235, note Bacache, RDSS 2018, p. 1105, obs. Peigné).

En tant qu’autorité de surveillance du marché, l’agence n’en demeure pas moins investie d’un pouvoir de police et de contrôle à l’égard des dispositifs médicaux, notamment lorsque ceux-ci présentent un risque ou un danger pour la santé humaine (C. santé publ., art. L. 5312-1).

En l’occurrence, le tribunal administratif a considéré qu’à la date à laquelle la patiente s’est fait implanter les prothèses PIP (2005), l’agence ne disposait pas des informations suffisantes pour soupçonner le caractère frauduleux de celles-ci, aucune faute ne pouvant, dès lors, être retenue à son encontre dans l’exercice de sa mission de contrôle, de même qu’aucune méconnaissance du principe de précaution.

En revanche, compte tenu des données de matériovigilance reçues au cours de l’année 2008 et du délai raisonnable pour les traiter, le tribunal a estimé que l’AFSSAPS était en mesure de connaître les risques liés aux prothèses PIP à compter d’avril 2009, les premières décisions n’ayant étant prises qu’à partir du 18 décembre 2009 pour aboutir à la suspension de leur mise sur le marché le 29 mars 2010.

En dépit de l’absence de remontées d’informations de la part de l’organisme notifié ou de la dissimulation intentionnelle du caractère frauduleux du silicone utilisé par la société PIP, les juges de première instance ont ainsi estimé que la responsabilité de l’Etat devait être retenue sur la période s’étendant d’avril à décembre 2009, en raison de la carence fautive de l’AFSSAPS à intervenir pour faire cesser tout risque pour la santé des personnes porteuses de ces implants.

Une demande indemnitaire rejetée à défaut d’un préjudice direct et certain en relation avec la faute retenue

La requérante se prévalait de préjudices fonctionnels temporaires et permanents, de préjudice moraux, ainsi qu’un préjudice d’anxiété, résultant de l’implantation des prothèses litigieuses en 2005 et de leur explantation en 2010. Le tribunal administratif a toutefois rejeté sa demande indemnitaire au motif que les préjudices invoqués ne découlaient pas de manière directe et certaine de la carence fautive de l’agence à intervenir entre avril et décembre 2009, la victime n’apportant aucun élément de nature à établir qu’elle aurait souffert de douleurs séquellaires liées au maintien des implants au cours de cette période.

Au moment où l’ANSM procède à une consultation publique sur la place et l’utilisation des implants mammaires texturés en chirurgie esthétique ou reconstructrice et sachant que les premières plaintes viennent d’être déposées pour tromperie et blessures involontaires par des victimes porteuses de ces prothèses, ce jugement ne devrait pas laisser indifférentes les autorités sanitaires. 

Remarque : le jugement du tribunal administratif de Montreuil est le premier à établir le principe d’une responsabilité de l’Etat dans l’affaire des prothèses PIP. Il contredit une jurisprudence précédente établie par le tribunal administratif de Toulon, suivant laquelle la responsabilité de l’Etat ne pouvait pas être retenue, aucun élément ne permettant de conclure qu’à la date d’implantation des prothèses (2006), l’agence disposait des informations évoquant une utilisation ou un risque d’utilisation d’un composant non conforme à la réglementation des dispositifs médicaux (TA Toulon, 22 oct. 2015, n° 1302231, JCP A, 30 nov. 2015, n° 2353, comm. Vioujas). Ce jugement a été confirmé en appel, la cour administrative ayant confirmé que l’AFSSAPS n’avait commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat en ne suspendant la mise sur le marché des prothèses PIP qu’à compter du 29 mars 2010 (CAA Marseille, 18 janv. 2018, n° 15MA04919).

 

Jérôme Peigné, Professeur à l'université Paris Descartes
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