Prothèses PIP : pas de faute de l'ex-AFSSAPS dans l'évaluation globale des risques

19.11.2020

Droit public

La responsabilité de l'État en raison d'une carence fautive de l'ex-AFSSAPS dans sa mission de matériovigilance est écartée dans l'affaire des prothèses PIP.

Le Conseil d’État était saisi de deux pourvois introduits contre un jugement du tribunal administratif de Besançon et un autre du tribunal administratif de Marseille, tous deux ayant statué en premier et dernier ressort sur des actions indemnitaires visant à condamner l’État en raison de la carence fautive de l’ex-AFSSAPS – devenue l’ANSM – dans la surveillance des prothèses mammaires PIP (le montant des indemnités demandées, étant inférieur à 10 000 euros, explique la compétence directe du Conseil d’État en tant que juge de cassation).
Ayant retenu la responsabilité de l’État du fait d’un manque de diligence de l’agence dans l’exercice de son pouvoir de police sanitaire, le premier jugement a été annulé pour une qualification juridique erronée des faits. Ayant rejeté la demande indemnitaire d’une victime de préjudices résultant de l’implantation et de l’explantation de prothèses PIP, le second jugement a été confirmé.
Un régime de mise sur le marché distinct de celui du médicament
Le Conseil d’État a d’abord tenu à rappeler le cadre juridique commun à ces deux affaires. Les implants mammaires sont des dispositifs médicaux relevant du régime de mise sur le marché défini par la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993. Ce régime prévoit une procédure d’évaluation des dispositifs par un organisme notifié, chargé de délivrer un certificat garantissant la conformité du dispositif aux exigences essentielles de sécurité et de performance prévues par la directive.
Il s’agit là d’une différence significative avec le secteur des médicaments, puisque ces derniers sont soumis à une procédure d’autorisation de mise sur le marché accordée par une autorité sanitaire nationale (l’ANSM en France) ou européenne (la Commission européenne lorsque la procédure est centralisée).
Loin d’être anodines, ces précisions liminaires visent à souligner qu’il existe une dualité de compétences des autorités intervenant dans le contrôle des dispositifs médicaux : les organismes notifiés sont chargés du contrôle a priori de la mise sur le marché des dispositifs à l’occasion de la procédure de certification, alors que les autorités de surveillance du marché exercent un contrôle a posteriori par le biais du système de matériovigilance.
Un régime de responsabilité administrative fondé sur la faute simple
Si l’implication des organismes notifiés dans la procédure de mise sur le marché des dispositifs médicaux est de nature à relativiser la responsabilité des autorités sanitaires – elle serait ainsi susceptible d’exonérer partiellement l’État de sa responsabilité si cette dernière était retenue – il n’en reste pas moins que le fondement sur lequel peut être engagée la responsabilité de l’État du fait d’une défaillance de l’agence dans sa mission de matériovigilance est celui de la faute simple, comme en matière de médicament (CE, 9 nov. 2016, n° 393904 : affaire Mediator ; TA Montreuil, 2 juill. 2020, n° 1704275 : affaire Dépakine).
D’une manière très classique, ce régime de responsabilité a été déterminé au regard des pouvoirs de police conférés par la loi à l’agence, cette dernière agissant au nom de l’État (C. santé publ., art. L. 5322-2), et des buts en vue desquels ces pouvoirs lui ont été attribués. La responsabilité de l’État peut ainsi être engagée par toute faute commise par l’agence dans l’exercice de ces attributions à l’égard des dispositifs médicaux, dès lors qu’il en résulte un préjudice direct et certain.
Le caractère certain du préjudice n’exclut toutefois pas que puisse être réparé un préjudice d’anxiété, ce dernier étant régulièrement invoqué par les victimes dans les litiges relatifs aux prothèses défectueuses dans l’attente de leur explantation.
Reste à apprécier, au préalable, si l’inaction de l’agence – la suspension de la mise sur le marché des prothèses PIP ayant été décidée le 29 mars 2010 – est constitutive d’une faute dans les deux cas d’espèce, sachant que l’appréciation d’un fait négatif ou d’une abstention est toujours difficile à établir.
Le contrôle de la qualification juridique des faits : l’absence de carence fautive de l’agence
Dans l’affaire jugée par le tribunal administratif de Besançon, l’implantation des prothèses PIP liées à une reconstruction mammaire avait eu lieu le 30 novembre 2009, leur explantation ayant été effectuée le 2 mai 2011. Dans l’affaire jugée par le tribunal administratif de Marseille, la pose des implants avait été réalisée en février 2006 et leur explantation en mai 2011.
Le Conseil d’État a estimé qu’en déduisant que l’AFSSAPS ne disposait pas, en 2006, des informations suffisantes de nature à éveiller le soupçon d’un danger ou d’une absence de conformité des implants PIP aux spécifications techniques au regard desquelles leur certification a été obtenue et en jugeant que l’agence n’avait ainsi pas commis de faute, le tribunal marseillais a exactement qualifié les faits, le rejet de l’action indemnitaire étant donc confirmé.
En revanche, le juge de cassation n’a pas été convaincu par l’analyse des faits retenue par le tribunal bisontin, ce dernier ayant jugé que le délai séparant le moment où l’agence avait eu connaissance d’une forte augmentation du nombre de signalements de matériovigilance concernant les implants PIP (en octobre et novembre 2009), et celui où elle avait sollicité de la société les éléments nécessaires pour procéder à une évaluation (le 18 décembre 2009), manifestait un manque de diligence de l’AFSSAPS dans l’exercice de son pouvoir de police sanitaire, de nature à constituer une faute.
Suivant les conclusions du rapporteur public, la Haute juridiction administrative a procédé à une appréciation séquentielle différente de l’activité de matériovigilance de l’agence sur la période en cause (fin de l’année 2009), considérant qu’aucune faute ne pouvait lui être reprochée dans l’évaluation globale des risques liées aux prothèses mammaires, l’agence ayant fait preuve d’une diligence normale dans le traitement des informations et des alertes qui lui étaient transmises durant cette période à propos des implants litigieux.
Sachant que la décision de l’agence suspendant la mise sur le marché des prothèses PIP date du 29 mars 2010 et compte tenu des délais normalement requis pour mettre en œuvre une telle procédure (respect du principe du contradictoire), on peut penser qu’il sera, en pratique, très difficile pour les victimes d’engager la responsabilité de l’État dans l’affaire des prothèses PIP.
Cela signifie que les jugements ayant retenu une responsabilité de l’État au cours de l’année 2009 (TA Montreuil, 29 janv. 2019, n° 1800068), voire pour une implantation datant de janvier 2010 (TA Orléans, 9 mai 2019, n° 1703560), ont de grande chance d’être annulés.
C’est dire aussi tout l’intérêt que présentera, pour les victimes, l’arrêt de la cour d’appel de Paris, statuant en tant que cour de renvoi (Cass. 1re civ., 10 oct. 2018, n° 16-19.430 ; Cass. 1re civ., 10 oct. 2018, n° 15-26.093 ; Cass. 1re civ., 10 oct. 2018, n° 17-14.401) sur la responsabilité civile de l’organisme notifié ayant certifié les prothèses PIP et dont le principe n’a pas été exclu par la Cour de justice (CJUE, 16 févr. 2017, aff. C-219/15),

 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Jérôme Peigné, Professeur à l'université de Paris (Institut droit et santé)
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