Psychiatrie sans consentement : une jurisprudence rétroactive pour une condamnation in solidum

18.07.2019

Droit public

Une commune dont le maire a pris en 2009 un arrêté provisoire d'hospitalisation d'office en urgence est condamnée in solidum avec l'établissement d'accueil à indemniser l'intégralité du préjudice subi par la personne ayant subi cette mesure sur une durée de 28 jours alors même que l'illégalité de la procédure employée par le maire résulte d'une décision du Conseil constitutionnel de 2011 et que l'arrêté d'hospitalisation pris par le maire ne produisait effet que pour 48 h.

Un cas relativement complexe, mais tout à fait intéressant, a été tranché, le 26 juin 2019, par la Cour de cassation en matière d’indemnisation d’une personne ayant subi une mesure d’hospitalisation psychiatrique sans consentement. Une femme fait l’objet, en mai 2009, d’un arrêté d’hospitalisation d’office (les faits se déroulent avant la loi de 2011 qui a remplacé cette procédure par celle de l’admission en soins sur décision du représentant de l’Etat) temporaire sur décision du maire en raison de troubles mentaux attestés par la « notoriété publique », comme l’autorisait à l’époque l’article L. 3213-2 du code de la santé publique alors en vigueur. Cette décision provisoire d’hospitalisation n’est pas confirmée par le préfet. La personne demeure cependant à l’hôpital, le directeur d’établissement d’accueil ayant pris une décision d’admission en hospitalisation libre. Elle y reste près d’un mois avant de quitter l’établissement. Le 6 octobre 2011, le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution la mention autorisant, dans l’article L.3213-2, l’hospitalisation en raison de troubles mentaux attestés par la notoriété publique (Cons. const. 6 oct. 2011, n° 2011-174 QPC). Il considère que, en raison du caractère flou d’une telle formule, « les dispositions de cet article n'assurent pas qu'une telle mesure [de soins psychiatriques sans consentement] est réservée aux cas dans lesquels elle est adaptée, nécessaire et proportionnée à l'état du malade ainsi qu'à la sûreté des personnes ou la préservation de l'ordre public ». A la suite de cette décision, la personne saisit un tribunal administratif qui, en 2013, déclare illégal l’arrêté municipal d’hospitalisation d’office en conséquence de la décision du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2011 déclarant inconstitutionnelle la disposition contestée. Cette juridiction déclare également illégale la décision subséquente d’hospitalisation libre en considérant que la personne n’a ni présenté de demande d’hospitalisation libre ni exprimé régulièrement son consentement à une telle mesure, consentement qu’elle n’est de toute façon apparemment pas réellement en état de donner. Nantie de cette décision, la personne se présente devant le juge judiciaire pour obtenir indemnisation de ces privations de liberté. En cause d’appel, la cour de Versailles lui donne raison en condamnant in solidum la commune et l’établissement d’accueil à indemniser cette personne du préjudice résultant de la totalité de son hospitalisation, tant pour la durée accomplie sous le régime de l’hospitalisation d’office que pour celle effectuée sous le régime de l’hospitalisation libre. La commune forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation en contestant l’arrêt sous deux angles.
Les effets pour le passé des décisions d’abrogation par QPC
En premier lieu, la commune reproche à l’arrêt d’appel de l’avoir condamnée à indemnisation alors même que son maire a fait emploi d’un cas d’hospitalisation qui est légal à la date où il y a eu recours. En somme, la commune estime que le juge aurait dû tenir compte de la situation juridique telle qu’elle existait à l’époque des faits et qu’il n’y aurait donc faute, au sens du droit administratif comme de l’article 1240 du code civil, à recourir à un cas légal d’hospitalisation dont l’inconstitutionnalité n’a pas encore été déclarée au moment des faits. Elle ajoute que, si une responsabilité est à rechercher, c’est celle de l’Etat pour avoir laissé perdurer une législation inconstitutionnelle et non celle de la commune pour en avoir fait application. Cette dernière estime enfin que, qui plus est, quand bien même la procédure que son maire a employée a été déclarée inconstitutionnelle, l’état mental du patient nécessitant des soins n’est pas contestable.
 
A tous ces arguments, la Cour de cassation répond seulement que « l'annulation d’un arrêté de placement d'office par le tribunal administratif oblige l’auteur de l’acte à indemniser la personne dont l'atteinte à la liberté individuelle résultant de l'hospitalisation d'office se trouve privée de tout fondement légal, quel que soit le bien-fondé d’une telle hospitalisation » et que, l’instance relative à l’indemnisation de la personne ayant fait l’objet de la mesure de soin étant postérieure à la décision du Conseil constitutionnel, la condamnation de la commune à indemnisation s’imposait légalement.
 
Ce cas complexe soulève diverses questions, notamment concernant les effets pour le passé de jurisprudences nouvelles. La Cour de cassation s’efforce de nos jours, au nom du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la CEDH, d’atténuer la rétroactivité de ses changements de jurisprudence (par ex., v. Cass. 1re civ., 21 mars 2018, n° 16-28412). En somme, il faudrait, pour bien juger un cas, tenir compte du droit applicable lors des faits, y inclus sa dimension prétorienne. C’est en substance ce que soutiet la commune. La Cour de cassation n’y donne pas suite et cela n’est pas sans appeler des remarques. En effet, une décision de QPC n’a pas pour effet d’annuler une loi mais seulement de l’abroger. En d’autres termes, une telle décision du Conseil constitutionnel supprime pour le futur la disposition déclarée inconstitutionnelle mais pas pour le passé. Dès lors, il paraît assez contestable d’avoir déclaré illégale une mesure d’hospitalisation prise sur la base d’une législation qui, au moment des faits et jusqu’à la date d’intervention de la décision d’abrogation par QPC, était incontestablement en vigueur dans le droit positif. En somme, la faute imputée à la commune paraît effectivement fort contestable. Mais cette erreur semble plutôt imputable au tribunal administratif qu’à la Cour de cassation puisque c’est lui, et non le juge judiciaire, qui, en 2013, a prononcé l’illégalité de la mesure d’hospitalisation. Or, une fois cette illégalité prononcée par le juge administratif, la Cour de cassation est enfermée par sa propre jurisprudence qui impose une indemnisation automatique de toute personne dont la mesure de soins a été déclarée illégale, qu’elle qu’en soit la raison et même purement formelle et alors même que la mesure serait médicalement justifiée (Cass. 1re civ., 31 mars 2010, no 09-11.803 ; Cass. 1re civ., 23 juin 2010, no 09-66.026 ; Cass. 1re civ., 26 janv. 2011, no 09-14.905 ; Cass. 1re civ., 5 déc. 2012, no 11-24.527). C’est d’ailleurs ce seul argument que la Cour de cassation met en avant pour justifier sa solution, esquivant ainsi toutes les autres critiques portées par la commune à l’encontre de la décision l’ayant condamnée. On ne peut sans doute pas accabler la première chambre civile d’avoir tiré de telles conséquences de la décision d’un tribunal administratif qu’elle n’avait pas pour compétence de réformer mais on peut regretter qu’elle n’ait pas poussé plus loin l’analyse d’une telle situation qui soulève incontestablement d’importants problèmes de sécurité juridique.
Une équivalence des conditions pour une condamnation in solidum
Dans un second moyen, la commune reproche à l’arrêt d’appel de l’avoir condamnée in solidum avec l’établissement d’accueil à indemniser les réparations liées à la totalité de la durée de son séjour hospitalier. Elle estime que, le maire n’ayant pris qu’un arrêté d’hospitalisation valable 48 h, il ne pouvait être question de lui imputer la réparation de la totalité de la durée de l’hospitalisation dont l’essentiel ne procède pas de l’arrêté du maire mais de la décision d’admission en hospitalisation libre prise par le directeur de l’établissement d’accueil. Le pourvoi formule ainsi l’argument : « seuls peuvent être condamnés in solidum les coauteurs d’une faute présentant un lien causal indivisible avec l’entier préjudice subi par la victime ». A cela, la Cour de cassation répond que, « ayant constaté que l’arrêté municipal provisoire d'hospitalisation d'office était à l’origine de l’hospitalisation irrégulière qui s’était prolongée sans décision administrative, de sorte que la commune […] et [l’établissement d’accueil] avaient chacun concouru à l'internement d'office de [la patiente] pendant vingt-huit jours, la cour d'appel a pu en déduire qu’ils étaient co-responsables du préjudice subi et les condamner in solidum à le réparer ». La Cour de cassation procède ici à une application implicite de la théorie de l’équivalence des conditions en considérant que chacune des fautes, qu’il s’agisse de celle de la commune (dès lors qu’on la considèrerait comme acquise, cf. supra) ou de celle de l’établissement d’accueil, entre en concurrence pour réaliser un même fait dommageable consistant en une privation de liberté illégale d’une durée d’un mois. En somme, si le maire n’avait pas pris l’arrêté municipal d’hospitalisation, la personne qui en était la cible n’aurait pas été amenée dans l’établissement d’accueil et le directeur de celui-ci n’aurait donc jamais pris de décision d’admission en hospitalisation libre. Il est alors logique de prononcer une condamnation de la commune in solidum pour la totalité du dommage. Une telle solution n’est guère éloignée de celles qui, en matière de responsabilité médicale, mettent à la charge de l’auteur d’un fait dommageable originel causant diverses lésions à une victime et amenant à son hospitalisation, la charge de l’entière réparation de dommages hospitaliers subséquents comme une infection nosocomiale.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
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