Quel statut juridique pour les traitements symptomatiques du rhume : médicament ou dispositif médical ?

26.01.2023

Droit public

Pour la Cour de justice, lorsque le mode d’action principal d’un produit n’est pas scientifiquement constaté, ce produit ne peut répondre ni à la définition de dispositif médical, ni à celle de médicament par fonction, à charge pour les juridictions nationales de vérifier s’il peut néanmoins être regardé comme un médicament par présentation.

Après avoir été interrogée sur l’articulation des statuts de produit cosmétique et de médicament (CJUE 13 oct. 2022, aff. C-616/20, M2Beauté Cosmetics), la Cour de justice de l’Union européenne était cette fois-ci saisie de questions préjudicielles portant sur le point de savoir si des gouttes nasales et des sprays destinés au traitement symptomatique du rhume doivent être regardés comme des médicaments ou des dispositifs médicaux.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Elle a considéré que lorsque le mode d’action principal d’un produit n’est pas scientifiquement constaté, ce produit ne peut répondre ni à la définition du dispositif médical, ni à celle du médicament par fonction. Il appartient toutefois aux juridictions nationales de vérifier si le produit peut être regardé comme un médicament par présentation, étant précisé que la règle, selon laquelle en cas de doute sur la qualification des produits le statut juridique du médicament s’impose, trouve non seulement à s’appliquer aux produits répondant à la définition de médicament par fonction, mais également à ceux définis au regard de leur présentation.

Une qualification de dispositif médical écartée par l’autorité sanitaire et les juridictions administratives du fond

Les deux affaires jointes par la juridiction de renvoi portaient sur des produits commercialisés en Allemagne et destinés au traitement symptomatique du rhume. Dans la première affaire, il s’agissait de gouttes indiquées en cas d’irritations de la muqueuse nasale dues à une rhinite virale, le produit agissant comme une espèce de film protecteur favorisant la régénération de la muqueuse. Ayant dans un premier temps essuyé un refus d’autorisation en tant que médicament compte tenu d’une efficacité thérapeutique insuffisamment démontrée, le distributeur a finalement commercialisé son produit en tant que dispositif médical (de classe I, c’est-à-dire auto-certifié). L’autorité fédérale en charge de la police des produits de santé, le Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte (BfArM), a indiqué que le produit concerné devait être soumis à une autorisation de mise sur le marché (AMM) en tant que médicament, dans la mesure où il répondait à la fois à la définition de médicament par fonction (au regard de son mode d’action pharmacologique), et à celle de médicament par présentation (compte tenu des indications mentionnées dans la notice du produit).

Dans la seconde affaire, le produit était composé d’un extrait végétal (contenant des saponines) destiné au nettoyage et au drainage des cavités nasales encombrées par les mucosités et les sécrétions, permettant ainsi une réduction des symptômes liés à la congestion nasale. Commercialisé en tant que dispositif médical, il aurait dû être autorisé en tant que médicament selon le BfArM. Pour ce dernier, le mode d’action du produit implique une action pharmacologique des molécules végétales qui le composent – les saponines sont des molécules appartenant à la famille chimique des terpènes et possèdent des propriétés détergentes – et non une action physique, ce qui en fait un médicament par fonction, soumis à AMM, et non un dispositif médical, soumis à une simple procédure de certification (marquage CE).

Dans les deux cas, les décisions du BfArM ont été validées par les juridictions administratives du fond, les recours des sociétés exploitant les produits en cause ayant été rejetés. C’est à l’occasion des pourvois en cassation devant la Cour administrative fédérale allemande (Bundesverwaltungsgericht) que des difficultés ont été soulevées s’agissant de l’articulation des statuts de médicament et de dispositif médical, justifiant le renvoi de questions préjudicielles à la Cour de justice.

Des définitions mutuellement exclusives au regard du mode d’action principal des produits

Si les médicaments et les dispositifs médicaux partagent une finalité analogue (finalité médicale), ils diffèrent en revanche par leur mode d’action. En effet, à la différence des médicaments, le mode d’action des dispositifs médicaux n’est pas principalement de nature chimique ou biologique – en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique –, mais de nature physique, généralement mécanique (le cas échéant associé à une source électrique ou électronique), voire numérique (l’action d’un logiciel ne consistant pas à produire une action directe sur le corps humain, mais à collecter et à traiter une information médicale le concernant).

L’article 1er de la directive 2001/83/CE modifiée définit le médicament comme « toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ; ou toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical » (C. santé publ., art. art. L. 5111-1).

À l’époque des faits, la définition du dispositif médical résultait de la directive 93/42/CEE modifiée et s’entendait de « tout instrument, appareil, équipement, logiciel, matière ou autre article, utilisé seul ou en association, y compris le logiciel destiné par le fabricant à être utilisé spécifiquement à des fins diagnostique et/ou thérapeutique, et nécessaire au bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l’homme à des fins de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie, de diagnostic, de contrôle, de traitement, d’atténuation ou de compensation d’une blessure ou d’un handicap, d’étude ou de remplacement ou modification de l’anatomie ou d’un processus physiologique, de maîtrise de la conception, et dont l’action principale voulue dans ou sur le corps humain n’est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens ». Cette définition a été reprise, avec quelques modifications, par le règlement (UE) 2017/745 qui régit dorénavant la mise sur le marché des dispositifs médicaux (C. santé publ., art. L. 5211-1).

Le problème soulevé par la Cour administrative fédérale concernait le critère distinctif que constitue le mode d’action pharmacologique, notamment lorsque ce mécanisme d’action n’est pas connu avec une certitude scientifique. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interrogeait également sur l’applicabilité de la règle dite « supplétoire », établie à l’article 2 de la directive 2001/83/CE modifiée, en vertu de laquelle, en cas de doute, lorsqu’un produit est susceptible de répondre, eu égard à l’ensemble de ses caractéristiques, à la fois à la définition du médicament et à la définition d’un autre produit réglementé par le droit de l’Union, il est soumis au régime juridique du médicament.

La question portait plus précisément sur le point de savoir si cette règle est applicable uniquement à un médicament défini au regard de sa fonction ou si elle concerne également un médicament caractérisé au regard de sa présentation.

Une qualification de médicament par présentation autonome et applicable en cas de doute sur le mode d’action

Dans l’esprit de la cour fédérale allemande, il n’était pas certain que la règle d’application prioritaire du statut juridique du médicament trouve à s’appliquer lorsque le produit en cause relève de la seule qualification de médicament par présentation.

La Cour de justice a examiné cette question en premier, dans la mesure où sa jurisprudence antérieure avait estimé que la règle supplétoire ne s’applique pas à un produit dont la qualité de médicament par fonction n’a pas été scientifiquement établie, eu égard à l’ensemble de ses caractéristiques, sans toutefois pouvoir être exclue (CJCE, 15 janv. 2009, aff. C-140/07, Hecht).

La Cour est venue préciser que si la règle d’application prioritaire du statut juridique de médicament n’est pas applicable lorsque le produit ne répond pas à la définition de médicament par fonction, faute d’une caractérisation scientifique positive de son mode d’action, elle trouve néanmoins à s’appliquer lorsque le produit présente les caractéristiques d’un médicament par présentation.

Cette précision s’imposait d’autant plus en l’espèce que l’absence de certitude scientifique quant au mode d’action principal des produits concernés ne permettait pas, selon la Cour, de les qualifier de médicament par fonction ou de dispositif médical.

En effet, un produit ne peut être qualifié de dispositif médical que si l’action principale voulue par le fabricant n’est pas obtenue par des moyens pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques (CJUE, 3 oct. 2013, C‑109/12, Laboratoires Lyocentre), la démonstration de cette exigence négative incombant au fabricant.

En l’absence de certitude scientifique permettant d’établir que l’action principale du produit n’est pas obtenue par de tels moyens, et dans la mesure où il subsiste un doute sur le mode d’action principal, la directive 93/42/CEE ne permet pas de qualifier un produit de dispositif médical, dès lors que le mode d’action de tout dispositif médical doit nécessairement être autre que pharmacologique, immunologique ou métabolique.

En l’occurrence, on ne sait pas vraiment si les produits en cause agissent en se comportant comme une simple barrière physique protégeant la muqueuse nasale ou s‘ils exercent une action sur les constituants cellulaires de la muqueuse. Le fait que soit évoqué un effet « physico-chimique » pour ses produits montre d’ailleurs à quel point il est difficile de distinguer la nature exacte du mode d’action, alors que les textes imposent une alternative entre action pharmacologique (chimique ou biologique) et action physique (mécanique, osmotique, calorique…) pour différencier un dispositif médical et un médicament.

Pour sa part, la notion de médicament par fonction doit s’apprécier principalement au regard des propriétés pharmacologiques des substances qui entrent dans la composition du produit (CJCE, 9 juin 2005, aff. C-211/03, HLH Warenvertriebs ; CJCE, 30 avr. 2009, aff. C-27/08, Bios Naturprodukt). L’interprétation de cette définition est forcément objective puisqu’elle s’attache aux propriétés intrinsèques du produit, telles qu’elles ont été scientifiquement établies (CJCE, 15 nov. 2007, aff. C-319/05, Commission c/ Allemagne ; CJUE, 13 oct. 2022, aff. C-616/20, M2Beauté Cosmetics). À défaut de pouvoir constater scientifiquement le mode d’action principal des produits destinés au traitement symptomatique du rhume, la Cour a conclu qu’ils ne pouvaient pas être regardés comme des médicaments par fonction.

À l’inverse de la définition par fonction, l’interprétation de la définition par présentation est en revanche plus subjective (en un sens « moins scientifique »). Elle ne s’analyse pas du point de vue intrinsèque du produit, mais du point de vue extrinsèque du consommateur. La définition par présentation vise à inclure non seulement les médicaments qui ont un effet préventif ou curatif avéré, mais également les produits qui ne seraient pas suffisamment efficaces, ou qui n’auraient pas l’effet que les consommateurs seraient en droit d’attendre eu égard à leur présentation (CJCE, 30 nov. 1983, aff. C-227/82, Van Bennekom). Le problème ici n’est pas de savoir comment et si le produit agit sur le corps humain, il est d’apprécier ce que son promoteur suggère ou affirme de lui.

Poursuivant une finalité de santé publique, la définition par présentation est destinée à lutter contre le charlatanisme et à produire des conséquences juridiques pour les personnes qui profitent de la crédulité des consommateurs, en vantant les mérites de produits prétendument actifs sur une pathologie. Cette finalité explique que la jurisprudence de la Cour de justice invite les juges nationaux à interpréter la notion de médicament par présentation dans un sens extensif.

Pour le juge de l’Union, un produit est présenté « comme possédant » des propriétés curatives ou préventives (toute la potentialité juridique de la définition résidant dans l’adverbe comme), non seulement lorsqu’il est décrit ou recommandé expressément comme tel, le cas échéant au moyen d’un étiquetage, d’une notice ou d’informations l’accompagnant, mais également chaque fois qu’il apparaît, même de manière implicite, aux yeux d’un consommateur moyennement avisé, que le produit devrait, eu égard à sa présentation, avoir l’effet décrit (CJCE, 30 nov. 1983, aff. C-227/82, Van Bennekom). Qu’elle soit explicite ou implicite, la définition par présentation s’apprécie in concreto, selon un faisceau d’indices privilégiant la perception d’un standard subjectif, le consommateur moyennement avisé (CJCE, 21 mars 1991, aff. C-369/88, Delattre ; CJCE, 15 nov. 2007, aff. C‑319/05, Commission c/ Allemagne).

Dans son arrêt du 19 janvier 2023, la Cour rappelle qu’il convient de tenir compte de l’attitude du consommateur moyennement avisé auquel « la forme donnée à un produit pourrait inspirer une confiance particulière, du type de celle qu’inspirent normalement les médicaments compte tenu des garanties qui entourent leur fabrication comme leur commercialisation ». Si la forme extérieure du produit est de nature à constituer un indice sérieux en faveur de sa qualification en tant que médicament par présentation, cette forme doit s’entendre non seulement de celle du produit lui-même (la forme galénique), mais aussi de son conditionnement extérieur, qui peut tendre à le faire ressembler à un médicament pour des raisons de politique commerciale (la notion de présentation implicite conduisant en un sens à celle de « médicament par impression »).

En l’espèce, plusieurs éléments rapportés par la juridiction de renvoi semblent susceptibles de constituer un tel faisceau d’indices : la présentation des produits en cause mentionnait des propriétés curatives ou de nature à atténuer une maladie (rhinite), elle faisait également référence à des interactions médicamenteuses et à des effets indésirables, ainsi qu’à une distribution exclusive en pharmacie.

Il appartiendra à la juridiction allemande de vérifier si l’ensemble de ces indices est de nature à faire apparaître les produits concernés, aux yeux d’un consommateur moyennement avisé, comme ayant les propriétés d’un médicament par présentation et d’en tirer toutes les conséquences quant au régime juridique applicable à leur commercialisation.

Jérôme Peigné, Professeur à l'Université Paris Cité (Institut Droit et santé)
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