Rapport "Justice économique": présentation des principales recommandations

04.03.2021

Gestion d'entreprise

Le rapport de la mission "Justice économique" s'organise autour de deux thématiques "comprendre et admettre" et "traiter et accompagner".

Le rapport de la mission confiée par le Ministre de la justice au Président de la Conférence générale des juges consulaires de France, Monsieur Georges Richelme a récemment été remis. Cette mission avait pour objectif, selon la lettre du Ministre de proposer des recommandations sur « l’articulation des mécanismes de détection (…) et l’accueil et l’accompagnement des entrepreneurs individuels, exploitants agricoles et dirigeants d’entreprises en difficulté par les tribunaux judiciaires et les tribunaux de commerce, en amont de l’ouverture des procédures préventives ou collectives de traitement de ces difficultés, ainsi qu’une fois les procédures ouvertes, jusqu’à leur clôture ».

Répondant à cette demande, le rapport commence par un état des lieux avec une mise en perspective des statistiques pour ensuite émettre des propositions articulées autour de deux thématiques « comprendre et admettre » d’une part, et « traiter et accompagner », d’autre part. Sans nous étendre sur les constats, tout en suivant ce plan et les intitulés retenus par la mission, nous nous attacherons ici à reprendre les principales propositions.

Comprendre et admettre

Bien souvent, les « petits entrepreneurs », y compris les professionnels libéraux, agriculteurs et responsables d’associations sont plus démunis que les grandes entreprises, pour appréhender leur situation économique et leurs difficultés.

Promouvoir la formation des entrepreneurs le plus en amont possible

Il s’agit ici de promouvoir la formation des entrepreneurs lorsqu’ils commencent leur activité. Cette formation qui serait obligatoire, avec des dérogations possibles en fonction de la formation initiale, reprendrait les stages d’initiation à la gestion proposés par les chambres de commerce et les chambres des métiers, en intégrant une présentation des procédures de prévention et collectives. La mission, consciente du fait que cette proposition pourrait ne pas aboutir puisque la loi Pacte (L. n° 2019-486, 22 mai 2019, art.4, I) a supprimé le caractère obligatoire de la formation relative à l’obtention de la carte d’artisan, recommande alors a minima que lors de l’inscription au RCS ou registre du commerce ou des métiers, un document d’information sur la prévention et les procédures collectives soit systématiquement remis aux entrepreneurs.

Favoriser l’accompagnement comptable

Bien souvent, ces petites entreprises n’ont pas recours à un expert comptable, aussi la mission propose-t-elle qu’en « deçà de certains seuils à définir (…) et en contrepartie d’une comptabilité tenue à jour, incluant le dépôt annuel des comptes et un tableau de bord réalisé par un expert comptable ou dans le cadre d’un centre ou d’une association de gestion agréée » - très utilisées dans le monde agricole et des professions libérales – qu’un avantage soit accordé aux entités économiques adhérentes.

La mission relève également que « des propositions ont été faites lors des auditions visant à ce que l’expert comptable puisse saisir le tribunal s’il a observé des signaux inquiétants chez un de ses clients ». Tout en prenant acte de ce que la nature contractuelle de la relation entre le client et l’expert comptable puisse s’opposer à ce que ce dernier ait un devoir d’alerte, elle estime qu’il « serait certainement efficace que l’expert comptable adresse un courrier à son client pour lui signaler ces défaillances; ce courrier serait assorti d’une information type sur les procédures de prévention et les procédures collectives ».

Étendre le rôle des commissaires aux comptes

La mission propose de pérenniser la mesure prévue par l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 qui donne au commissaire aux comptes le devoir d’informer le président du tribunal de commerce ou le président du tribunal judiciaire dès le début de la phase d’alerte (L. n° 2020-596, 20 mai 2020, art. 1er).

Affirmer la mission d’information de certains créanciers.

La mission propose notamment qu’il « soit demandé aux créanciers institutionnels (organismes sociaux et fiscaux) d’informer l’entreprise sur les dispositifs de prévention lorsqu’ils constatent un premier impayé ». Et d’ajouter que cela pourrait se faire par l’envoi d’une note d’information au dirigeant. Et il pourrait en aller de même pour les partenaires financiers lorsqu’ils adressent une lettre de dénonciation, puisqu’ils ont déjà l’obligation d’informer sur la médiation du crédit.

Développer un partenariat « Signaux Faibles » et juridictions

La mission propose un « rapprochement entre le dispositif « Signaux Faibles » et les greffes des tribunaux de commerce ». Il s’agirait donc sous réserve du respect de la confidentialité sur les informations reçues pour les greffiers de transmettre l’information dont ils disposent pour enrichir ces données et de permettre en retour, aux tribunaux d’avoir accès aux signaux venus des organismes publics plus rapidement.

Dans cette optique, il serait utile que « Signaux Faibles » obtienne les données concernant les entités de moins de 10 salariés afin d’appréhender ces entrepreneurs qui n’ont pas recours aux mesures de prévention et puisse disposer de l’information sur les incidents de paiement fiscaux afin que ceux-ci soient répercutés plus rapidement aux tribunaux.

Traiter et accompagner

La mission a également émis toute une série de recommandations prenant en compte « l’intérêt des entrepreneurs, dirigeants de sociétés, entrepreneurs individuels, commerçants, artisans, agriculteurs, membres des professions libérales qui ont besoin de trouver des dispositifs protecteurs, l’information et l’accompagnement nécessaire pour y accéder ».

Fléchage vers les dispositifs judiciaires lorsque les difficultés sont avérées

La mission s’interroge sur la possibilité d’imposer à certains créanciers institutionnels d’informer le président du tribunal qui pourrait alors convoquer l’entreprise pour lui proposer l’ouverture d’un mandat ad hoc avant toute assignation en cessation des paiements, ce qui « permettrait une négociation préalable avec l’entrepreneur assisté alors par le mandataire et pourrait permettre d’éviter dans bien des cas, l’ouverture d’une procédure collective ».

Cette proposition n’est pas sans rappeler l’obligation de recourir à une conciliation avant de bénéficier d’une sauvegarde accélérée ou encore de recourir à un règlement amiable en matière agricole avant une assignation en procédure collective.

Développement des procédures de prévention au sein des tribunaux judiciaires

Il est également proposé de « renforcer l’offre de prévention judiciaire pour les agriculteurs, les associations et les professions libérales, ce qui implique de développer ces dispositifs au sein des tribunaux judiciaires en favorisant la mise en place de juges spécialisés au sein de ces juridictions ». A cet effet, la mission propose d’utiliser les textes existants pour répartir le contentieux des procédures collectives « auprès d’un nombre plus restreint de tribunaux » ou encore d’envisager de désigner un juge de la prévention par département.

Ce juge délégué serait chargé du suivi des procédures amiables et « contribuerait au développement d’un partenariat avec les greffes du tribunal de commerce pour transmission au tribunal judiciaire spécialisé de la liste des entreprises relevant du tribunal judiciaire et enregistrées au greffe du tribunal de commerce (sociétés civiles par exemple) susceptibles de connaitre des difficultés et ce afin de pouvoir développer la prévention détection ».

Renforcer l’attractivité des procédures amiables

A cet effet, la mission propose un certain nombre de mesures. Il s’agirait de pérenniser les dispositions de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 relatives à la suspension de l’exécution des poursuites par le créancier pendant le temps de la conciliation et au doublement de la durée de la conciliation. Il est également proposé d’encadrer, en particulier dans les procédures collectives, à l’occasion de la négociation d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation, l’octroi de garanties supplémentaires aux créanciers privilégiés par la loi mais aussi d’étendre aux cautions personnes physiques l’interruption ou l’interdiction de toute action contre le débiteur pendant la durée de l’exécution de l’accord de conciliation homologué par le tribunal.

Il est également proposé d’étudier la possibilité de transformer certaines créances en obligations remboursables assorties d’intérêts annuels dans le cadre d’un accord de conciliation homologué et sous certaines conditions. Serait ainsi créée « une dette à moyen terme assimilée à de quasi-fonds propres » ce qui « renforcerait sa capacité d’endettement favorisant ainsi le rebond de l’entreprise ». Cette mesure pourrait être étendue aux procédures collectives dans le cadre des plans de continuation.

Concernant plus particulièrement le monde agricole, la mission propose dans le cadre d’un accord de règlement amiable, « la modification, de la durée des échéanciers de paiement des dettes dues à la MSA au titre des cotisations » actuellement fixée à 3 ans, ce qui s’avère le plus souvent insuffisant afin d’éviter que le débiteur se trouve contraint de s’orienter vers une procédure collective pour accéder à un étalement d’une durée supérieure.

Les informations relatives à l’homologation des protocoles de conciliation sont aujourd’hui publiées au BODACC de manière identique à celle des procédures collectives, aussi la mission propose-t-elle de créer des catégories séparées.

Faciliter l’accès aux procédures amiables en agissant sur leur charge financière.

La question du coût des procédures amiables est une question essentielle et elle fait, d’ores et déjà, l’objet de règles. La mission s’est toutefois penchée sur cette question et « a pris acte de l’engagement des représentants de la profession des administrateurs et mandataires judiciaires (AJMJ) de faire des propositions à ce sujet ». Mais il est aussi apparu à la mission qu’il existe de nombreux dispositifs de financement des frais des procédures préventives, aussi recommande-t-elle que ces informations « soient relayées auprès des entreprises par l’ensemble des dispositifs en déclinant les territoires dans lesquelles elles existent ».

Concernant plus particulièrement le règlement amiable agricole, les textes ne prévoient pas expressément que les honoraires soient à la charge totale ou partielle du débiteur. La mission estime nécessaire que ce point soit clarifié afin d’harmoniser les pratiques et favoriser ainsi le recours à cette procédure à l’initiative de l’exploitant.

La mission est également revenue sur l’assurance santé entreprise, qui ne semble cependant pas avoir connu de succès depuis sa création il y a une dizaine d’années, aussi la mission recommande de « relancer ce projet en l’intégrant aux assurances de protection juridique déjà souscrites par les entreprises ».

Concernant la prise en charge des frais de conseils par l’entreprise dans le cas d’une procédure de prévention, la mission souhaite que la règle énoncée par l’article L. 611-16 du code de commerce qui laisse à la charge de l’entreprise une quote-part des honoraires du conseil auquel le créancier peut faire appel, soit rappelée aux présidents de tribunaux afin qu’ils en assurent la stricte application et que soient aussi précisés les types de conseils concernés par le texte.

Accompagner

Selon les auteurs de la mission, l’accompagnement en amont des procédures judicaires peut être effectué dans le cadre des dispositifs évoqués précédemment mais aussi par les associations et syndicats professionnels, les ordres des professions libérales. Elle relève que, « depuis quelques années interviennent des associations plus spécialisées dans l’aide psychologique aux entrepreneurs et aussi dans l’accompagnement du rebond (APESA, Amarok, SOS Entrepreneurs, 60 000 rebonds ...) ». Concernant plus particulièrement les agriculteurs, la mission a constaté que les dispositifs qui leur sont dédiées sont rares et peu visibles pour conclure que « le rôle des syndicats et des associations (FNSEA, Solidarité Paysans (...) est donc essentiel dans l’accompagnement ».

Pour le reste, la mission propose en particulier de « réserver dans les tribunaux des espaces d’accueil et d’information pour les associations agréées et reconnues afin que l’entrepreneur (débiteur) puisse trouver une assistance sur place ». En outre, elle propose d’autoriser l’agriculteur à être accompagné devant le tribunal par un expert comptable spécialisé ou un représentant de la chambre d’agriculture ou d’une association, dans le cas du règlement amiable mais aussi des audiences de procédures collectives.

Constatant que malgré la forte implication des tribunaux de commerce, « dans nombre d’entre eux, le bilan de la prévention est nul (pas d’entretiens, pas d’ouvertures de mandat ad hoc ou de conciliation) », la mission propose d’instituer dans chacun d’entre eux une cellule de prévention. Le ou les juges qui la composent seraient identifiés tandis que cette organisation serait portée à l’ordonnance de roulement annuelle du tribunal.

Il s’agirait enfin de favoriser une information directe des entrepreneurs en installant des points d’informations dédiés, hors les tribunaux, en recourant, outre aux avocats, à des juges consulaires honoraires qui « interviendraient (sous un statut à définir) au sein des Maisons de justice et du droit, des Points d’accès au droit, dans les Maisons France Service en cours de nouvelle dénomination et labellisation Points Justice ». Ils dispenseraient les informations sur les dispositifs de prévention mis en œuvre par les juridictions consulaires et judiciaires.

Communiquer et informer

La mission constate que le nombre de dispositifs visant à aider les entreprises en difficulté entraîne un vrai problème de lisibilité et de compréhension pour leurs utilisateurs « qui nuit à l’efficacité même d’une politique de traitement des difficultés des entreprises ». Elle recommande en conséquence qu’un effort de cohérence soit engagé par les pouvoirs publics pour y remédier et à tout le moins que « le portail Justice ait une rubrique spécifique aux difficultés des entreprises avec les documents Cerfa à jour et aide à la détermination du tribunal compétent ».

Il s’agirait de mettre à disposition des utilisateurs des informations issues de ces dispositifs rassemblés sur une plateforme centrale « Difficultés des entreprises ». Pour les auteurs de la mission, elle devrait adopter les principes d’une « architecture « du choix » permettant d’orienter l’utilisateur en fonction de son statut dans la direction souhaitée, en phase avec ses attentes et ses besoins ».  Ils précisent que la création de cette plateforme nationale, « serait aussi l’occasion d’engager une réflexion sur les compétences respectives des différents acteurs qui interviennent dans l’accompagnement des entreprises en difficultés (services de l’État et organismes sociaux, institutions financières et publiques, organismes consulaires mais aussi les régions qui lors de leur audition par la commission ont mis en avant leur rôle de chefs de file du développement économique sur leurs territoires) ».

Enfin, la mission ajoute que la création d’un tel outil n’a d’intérêt que s’il est facilement utilisable et il doit donc « être largement connu de tous. Une campagne d’information grand public serait donc indispensable lors de sa mise en place ».

En conclusion, un rapport très riche qui va de la formation à l’information, en passant notamment par l’amélioration de la prévention.

Philippe Roussel Galle, Conseiller scientifique

Nos engagements