Refonte des codes de déontologie : feu l'interdiction de la publicité

17.01.2021

Droit public

Six décrets du 22 décembre 2020 modifient les codes de déontologie des professions de santé organisées en ordre professionnel, en leurs dispositions relatives à la communication professionnelle.

Ces décrets étaient très attendus depuis les arrêts du Conseil d’Etat du 6 novembre 2019 ayant censuré les dispositions interdisant aux médecins et aux chirurgiens-dentistes de recourir à tous procédés publicitaires (CE, 6 nov. 2019, n° 416948 et 420225), au regard de la jurisprudence communautaire : « l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale (…) qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires (…) » (CJUE, 4 mai 2017, aff. C-339/15).
L’Autorité de la Concurrence, saisie par la Société Groupon, avait également considéré dans deux décisions du 15 janvier 2019 (n° 19-D-01 et 19-D-02) concernant les chirurgiens-dentistes et les médecins que la réglementation actuelle interdisant toute pratique publicitaire était contraire au droit communautaire.
Comme l’a souligné le Conseil d’Etat dans les arrêts précités, la suite logique de ces décisions était l’abrogation des règles déontologiques interdisant de manière générale et absolue toute publicité, tout en définissant les conditions d’une utilisation de procédés publicitaires compatibles avec les exigences de protection de la santé publique et les autres règles professionnelles, notamment la dignité des professions médicales, leur indépendance et leur honneur, la confraternité entre praticiens, le secret professionnel et la confiance des malades envers les médecins.
Un premier essai s’est avéré infructueux, l’Autorité de la concurrence ayant, par son avis n° 19-A-18 du 31 décembre 2019, invité les ordres professionnels à revoir leur copie. Elle a en effet estimé que les projets de décrets soumis restreignaient encore de façon injustifiée la possibilité pour les praticiens de communiquer des informations au public et que les textes différaient trop d’une profession à l’autre.
Près d’un an plus tard, les six codes de déontologie sont enfin modifiés, pour aboutir à des versions quasi-identiques.
Les codes de déontologie des chirurgiens-dentistes (décret n° 2020-1658), des pédicures-podologues (décret n° 2020-1659), des infirmiers (décret n° 2020-1660), des sages-femmes (décret n° 2020-1661), des médecins (décret n° 2020-1662) et des masseurs-kinésithérapeutes (décret n° 2020-1663) se voient en effet tous amputés de leurs dispositions interdisant péremptoirement tous procédés publicitaires.
Cependant, simultanément, la communication professionnelle des praticiens est étroitement encadrée, sous toutes ses formes, afin de  protéger la santé publique et de rendre les procédés publicitaires compatibles avec les règles professionnelles préexistantes.
Les informations concernant le praticien lui-même
Les membres des professions concernées sont désormais libres de communiquer au public, par tout moyen, y compris sur un site internet, des informations de nature à contribuer au libre choix du praticien par le patient, relatives notamment à leurs compétences et pratiques professionnelles, à leur parcours professionnel et aux conditions de leur exercice.
Cette communication doit toutefois respecter les dispositions en vigueur et les obligations déontologiques préexistantes.
Elle doit être « loyale et honnête ».
Elle ne doit pas faire appel à des témoignages de tiers, ce qui renvoie en particulier aux témoignages de patients parfois visibles sur les sites internet.
Elle ne doit pas non plus reposer sur des comparaisons avec des confrères ou établissements.
Elle ne doit pas inciter à un recours inutile à des actes de prévention ou de soins.
Enfin, elle ne doit pas porter  atteinte à la dignité de la profession, ni induire le public en erreur.
En d’autres termes, l’information délivrée concernant le praticien lui-même doit se borner aux éléments de nature à faciliter le libre choix par le patient (compétences, pratiques, parcours professionnel et conditions d’exercice). Elle doit être parfaitement objective, respectueuse du secret médical, loyale vis-à-vis des confrères et compatible avec la dignité de la profession.
La loyauté vis-à-vis des confrères passe également par l’interdiction faite aux membres des professions concernées d'obtenir contre paiement ou par tout autre moyen un référencement numérique faisant apparaître de manière prioritaire l'information les concernant dans les résultats d'une recherche effectuée sur l'internet.
Le code de déontologie des médecins interdit en outre l'usurpation de titres, l'usage de titres non autorisés par le conseil national ainsi que tous les procédés destinés à tromper le public sur la valeur des titres du médecin (C. santé publ, art. R. 4127-30-1 nouv.). Chacun doit donc veiller à ne mentionner que ses qualifications reconnues par l’Ordre des médecins et à ne pas induire de confusion entre, par exemple, une spécialité et un diplôme complémentaire ou une orientation particulière.
Les praticiens originaires d'autres États membres de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen et auxquels un accès partiel à l'exercice de la profession a été accordé sont tenus, lorsqu'ils présentent leur activité au public, notamment sur un site internet, de l'informer de la liste des actes qu'ils sont habilités à pratiquer. De même, dans le cadre de leur exercice, ces praticiens doivent informer clairement et préalablement les patients et les autres destinataires de leurs services des actes qu'ils sont habilités à pratiquer.
Les informations diffusées à des fins éducatives ou sanitaires
Outre les informations concernant le praticien lui-même, sont également réglementées les informations diffusées, y compris sur internet, à des fins éducatives ou sanitaires pour le public ou les professionnels de santé.
Elles doivent être scientifiquement étayées, avoir trait à la discipline de leur auteur ou à des enjeux de santé publique. Elles doivent être formulées avec prudence et mesure, en respectant les obligations déontologiques, et des hypothèses non encore confirmées ne doivent pas être présentées comme des données acquises.
Il s’agit ici essentiellement de protéger la santé publique.
De même, lorsque le praticien participe à une action d'information du public à caractère éducatif, scientifique ou sanitaire, quel qu'en soit le moyen de diffusion, il ne doit faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public.
Il ne doit pas viser à tirer profit de son intervention dans le cadre de son activité professionnelle, ni à en faire bénéficier des organismes au sein desquels il exerce ou auxquels il prête son concours, ni à promouvoir une cause qui ne soit pas d'intérêt général.
L’information concernant les honoraires
L’information concernant le praticien diffusée sur internet doit inclure une information sur les honoraires pratiqués par celui-ci, les modes de paiement acceptés et les obligations posées par la loi pour permettre l'accès de toute personne à la prévention ou aux soins sans discrimination.
Cette information doit être claire, honnête, précise et non comparative.
Ces obligations viennent bien sûr s’ajouter aux dispositions préexistantes imposant l’information préalable des patients sur les honoraires, le respect du tact et de la mesure…
La réglementation des supports traditionnels d’information : plaques, ordonnances et annuaires à usage du public
Comme auparavant, les informations pouvant figurer sur les plaques professionnelles, sur les ordonnances et dans les annuaires à usage du public sont limitativement énumérées. Quelques modifications sont cependant introduites et, surtout, ces dispositions sont unifiées.
Désormais, le praticien peut faire figurer sur une plaque à son lieu d'exercice ses nom, prénoms, numéro de téléphone, jours et heures de consultation, sa situation vis-à-vis des organismes d'assurance-maladie et sa spécialité ou qualification ou autorisation d’exercice.
Il peut également mentionner ses titres, diplômes et fonctions, à condition qu’ils soient reconnus par le conseil national de l'ordre.
Une plaque peut être apposée à l'entrée de l'immeuble et une autre à la porte du cabinet. Lorsque la disposition des lieux l'impose, une signalisation intermédiaire peut être prévue.
Ces indications doivent être présentées avec discrétion. Le praticien doit tenir compte des recommandations émises par le conseil national de l'ordre relatives aux plaques professionnelles et à tout autre élément de signalétique des cabinets.
S’agissant des masseurs-kinésithérapeutes, l’obligation de ne faire figurer sur les vitrines que les mentions autorisées est supprimée.
Sur les ordonnances et autres documents professionnels, peuvent figurer :
« 1° Les nom, prénoms, adresse professionnelle postale et électronique, numéro de téléphone et numéro d'identification au répertoire partagé des professionnels intervenant dans le système de santé ;
« 2° La situation vis-à-vis des organismes d'assurance-maladie ;
« 3° La spécialité au titre de laquelle le praticien est inscrit au tableau ou sa qualification ;
« 4° Son adhésion à une association agréée prévue à l'article 371M du code général des impôts.
Le praticien peut également mentionner ses titres, diplômes et fonctions lorsqu'ils ont été reconnus par le conseil national de l'ordre, ses distinctions honorifiques reconnues par la République française, ainsi que toute autre indication en tenant compte des recommandations émises en la matière par le conseil national.
Dans les annuaires à usage du public, quel qu'en soit le support, les informations qu’un praticien peut faire figurer sont les suivantes :
1° Ses nom, prénoms et adresse professionnelle, les modalités pour le joindre, les jours et heures de consultation ;
2° Sa situation vis-à-vis des organismes d'assurance maladie ;
3° La spécialité au titre de laquelle il est inscrit au tableau ou la qualification qui lui a été reconnue conformément au règlement de qualification, ou son titre de formation ou autorisation d’exercer ;
4° Ses titres, diplômes et fonctions reconnus par le conseil national de l'ordre et ses distinctions honorifiques reconnues par la République française.
Il peut également mentionner d'autres informations utiles à l'information du public en tenant compte des recommandations émises en la matière par le conseil national de l'ordre.
L’information du public lors de l’installation d’un praticien
Aux termes des nouvelles dispositions, lors de son installation ou d'une modification de son exercice, le praticien peut publier sur tout support des annonces en tenant compte des recommandations émises par le conseil national de l'ordre.
Il appartient ainsi aux ordres professionnels d’encadrer le contenu de ces annonces.
La place des ordres professionnels dans la communication des praticiens
De façon générale, les six décrets ménagent aux ordres professionnels un rôle non négligeable dans la communication des praticiens inscrits à leur tableau.
La diffusion d’informations sur certains supports tels que les sites internet n’est pas soumise à l’avis de l’ordre professionnel. En revanche, il est prévu à plusieurs reprises dans chacun des décrets que les praticiens doivent respecter les recommandations de leur ordre professionnel en la matière.
Le premier ministre délivre ainsi une sorte de blanc-seing aux ordres professionnels, dans les limites des dispositions impératives des décrets. Cela devrait notamment permettre d’adapter les nouvelles règles aux spécificités de chaque profession.
Les dispositions spécifiques aux masseurs-kinésithérapeutes
Au-delà des règles relatives à la communication, le code de déontologie des masseurs-kinésithérapeutes connaît plusieurs modifications, sans lien avec la diffusion d’informations auprès du public. Il s’agit, pour la plupart, d’opérer des mises à jour ou des clarifications sur d’autres thèmes.
Ainsi, la notion de formation continue est remplacée par celle de développement professionnel continu, tout en insistant sur son caractère obligatoire (C. santé publ., art. R. 4321-62).
Des précisions sont apportées à l’article R. 4321-76 concernant les certificats et attestations, avec l’introduction d’un devoir de neutralité et d’objectivité.
La notion de données « actuelles » de la science est remplacée par celle de données « acquises » à l’article R. 4321-80, suivant en cela la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 6 juin 2000, n° 98-19.295).
L'interdiction faite au masseur-kinésithérapeute de révéler au patient des informations que le médecin lui cache pour des raisons légitimes appréciées en conscience est fort logiquement supprimée (C. santé publ., art. R. 4321-83) puisque depuis 2012, les médecins ne peuvent plus s’adonner au « pieux mensonge » (C. santé publ., art. R. 4127-35). 
Les masseurs-kinésithérapeutes doivent désormais alerter les autorités publiques lorsqu'ils discernent qu'un mineur est victime de sévices ou de privations quel que soit l’âge de celui-ci : le seuil d’âge à quinze ans est supprimé (C. santé publ., art. R. 4321-90). Là encore, il s’agit d’une mise en conformité avec un texte à valeur législative : l’article 226-14 du code pénal.
À l’article R. 4321-107, sont modifiées les conditions du remplacement : le masseur-kinésithérapeute doit désormais toujours informer le conseil départemental de l’ordre au tableau duquel il est inscrit préalablement à tout remplacement, même en situation d'urgence. Il doit cesser toute activité de soins pendant la durée du remplacement, sauf autorisation du conseil départemental de l’ordre.
L'article R. 4321-114, relatif aux conditions matérielles d'exercice, que ce soit au sein du local professionnel ou au domicile du patient, est remanié. Les obligations des masseurs-kinésithérapeutes ne sont pas substantiellement modifiées mais il est introduit la possibilité pour le conseil départemental de l’Ordre de contrôler si les conditions exigées sont remplies.
Les dispositions de l'article R. 4321-119 sur la délivrance de documents dont la production est prescrite par la législation sont étendues aux certificats et attestations. Ils doivent donc être rédigés lisiblement, en français, datés, signés de leur auteur et permettre l’identification de ce dernier.
À plusieurs reprises, il est rappelé les dispositions de l’article L. 4113-9 sur la communication des contrats à l’Ordre. Désormais, les contrat-types sont édictés par le seul Conseil national et non par un accord entre le Conseil national et les organismes ressortissant au droit privé signataires des contrats (C. santé publ., art. R. 4321-127).
L’article R. 4321-129 précise qu'un masseur-kinésithérapeute peut avoir un exercice exclusif à domicile. Dans ce cas, son adresse d'inscription à l'Ordre est son adresse personnelle.
Le masseur-kinésithérapeute qui a remplacé un confrère pendant au moins 3 mois ne doit pas s'installer pendant 2 ans dans un endroit où il puisse entrer en concurrence directe avec celui-ci mais aussi avec les masseurs-kinésithérapeutes qui exercent avec lui, et non plus seulement ses associés. Cette limitation semble donc bénéficier aussi aux collaborateurs libéraux du masseur-kinésithérapeute remplacé.
L’article R. 4321-131 prévoit expressément la possibilité de conclure un contrat de collaboration libérale (qui existait déjà) ou d'assistanat libéral. Cette notion d'assistanat libéral n'est pas définie. Il n'est pas précisé si ce sont deux notions identiques ou non. Les modalités stipulées par le contrat doivent être revues tous les 4 ans, autrement dit la durée de la collaboration ou de l'assistanat peut désormais excéder 4 années (ce qui n'était pas le cas auparavant) mais le contrat doit être renégocié.
À l’article R. 4321-132, il est introduit une précision concernant la tenue du cabinet d’un confrère : elle ne peut concerner qu'un masseur-kinésithérapeute en incapacité définitive totale (et non partielle) d'exercice.
Enfin, il est créé un article R. 4321-136-1, interdisant les clauses de rendement dans les contrats de travail des masseurs-kinésithérapeutes, afin de préserver leur indépendance et la qualité des soins.
Si l’on excepte ces dispositions spécifiques aux masseurs-kinésithérapeutes, les modifications opérées par les six décrets sont très similaires et vont assurément dans le sens défini par la Cour de justice de l’Union européenne et, à sa suite, par le Conseil d’Etat : l’interdiction générale et absolue de la publicité est levée mais la communication auprès du public est strictement encadrée de manière à préserver la santé publique, les autres principes déontologiques et la dignité de chaque profession. Des affiches vantant les mérites d’un professionnel de santé ne fleuriront pas demain sur le mobilier urbain.

 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

Découvrir tous les contenus liés

 

 

 

 

 

Maïalen Contis, Docteur en droit, avocat au barreau de Toulouse
Vous aimerez aussi

Nos engagements