Refus de passeport : l'administration qui conteste la nationalité française doit avoir saisi le procureur de la République

18.01.2022

Droit public

Pour le juge des référés du Conseil d'État, le refus de délivrance d'un passeport au titulaire d'un certificat de nationalité française dont la possession n'a pas été contestée judiciairement porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir.

Par une ordonnance du 23 décembre 2021, le juge des référés du Conseil d’État ordonne à la préfète de la Haute-Vienne de délivrer un passeport à un enfant issu d’un couple mixte, dont le père est français, ce qui lui était refusé par l’administration au motif qu’il existait un soupçon de reconnaissance de paternité frauduleuse.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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En effet, pour le juge, l’administration ne peut contester la nationalité française d’une personne en possession d’un certificat de nationalité française que si elle a diligenté les procédures propres à établir la fraude qu’elle soutient, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire en cause.

En l’espèce, une mère de nationalité camerounaise avait sollicité la délivrance d’un passeport français pour son enfant dont le père était de nationalité française. Elle avait alors essuyé trois refus successifs, entre sa première demande, le 27 janvier 2017, et la dernière le 3 mars 2020, dont le dernier avait été déféré à la censure du tribunal administratif. Durant l’instance, elle avait, en vain, saisi le président du tribunal administratif de Limoges d’une requête en référé-liberté, dont l’ordonnance est déférée au Conseil d’État.

Un refus de passeport fondé sur un faisceau d’indice de fraude...

Pour justifier ses refus successifs, la préfète relevait un ensemble d’éléments qui, selon elle, constituait un faisceau d’indices de fraude, notamment en ce que le père, auteur d’une reconnaissance prénatale :

  • n’avait reconnu l’enfant qu’après que sa mère l’eut fait ;

  • avait également déclaré deux autres enfants de mères différentes en 2013 à des dates rapprochées, puis deux autres en 2014 et 2018 ;

  • n’avait jamais eu de communauté de vie avec la mère de l'enfant ;

  • n’avait pourvu ni à l’entretien ni à l’éducation de celui-ci.

Remarque : le juge souligne que ces deux derniers motifs, « invoqués comme éléments de contexte à l'appui du soupçon de fraude », seraient par eux-mêmes inopérants au soutien de la contestation de sa nationalité.

... sanctionné pour défaut de saisine du procureur de la République

Pour faire droit à la demande de la requérante, le juge des référés du Conseil d’État prend d’abord soin de viser l’ensemble des dispositions du code de procédure civile qui prévoient notamment que :

  • seules les juridictions civiles sont compétentes pour trancher une question de nationalité ;

  • la possession d’un certificat de nationalité française constitue une preuve de la nationalité française et qu'il revient à celui qui la conteste de la renverser ;

  • si l’administration soupçonne qu’une personne a obtenu frauduleusement la nationalité française, il lui appartient d’en informer le procureur de la République, « qui est tenu d’agir », selon l’article 1044, « si une exception de nationalité est soulevée devant une juridiction ».

Par des motifs concis mais très clairs, le juge relève ensuite qu’en quatre ans, entre la première demande et le troisième et dernier refus, toujours fondés sur la fraude, l’administration n’a jamais saisi le procureur de la République.

Remarque : la préfète a attendu le lendemain de l’audience de référé pour le faire, sans doute après que la teneur des débats lui a fait comprendre les conséquences de cette négligence.

Ainsi, l’administration n’est fondée à contester la nationalité française d’une personne que si elle démontre avoir diligenté les procédures propres à établir ce qu’elle soutient. A défaut de quoi, le refus de délivrance de passeport porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir de l’enfant.

Christophe Pouly, avocat
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