À la fin de l’année 2014, un jeune homme découvre qu’il est atteint d’un cancer et procède, immédiatement après le diagnostic, au dépôt de ses gamètes au sein d’un CECOS, exprimant le souhait de « d’avoir une descendance, y compris en cas de décès » (CEDH, 12 nov. 2019, n° 23038/19, §3). Il décède à 23 ans, en janvier 2017. Sa mère souhaite la restitution de ses gamètes conservés pour les exporter dans l’espoir d’une utilisation postérieure lui permettant de devenir grand-mère et de respecter la volonté de son fils. À la suite du refus, par l’AP-HP, de transmettre à l’Agence de la biomédecine la demande d’exportation des gamètes vers un autre État, la requérante épuise les voies de recours devant les juridictions administratives et saisit la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement du droit au respect de la vie privée et familiale.
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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En raison du caractère non transférable des droits familiaux et de l’absence de « droit de fonder une famille » ainsi que de « droit à une descendance pour des grands-parents », la requête est déclarée irrecevable par la Cour européenne (CEDH, 12 nov. 2019 précitée). La requérante poursuit alors son combat devant les juridictions judiciaires en invoquant désormais le droit de propriété proclamé à l’article 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention européenne des droits de l’homme en vertu duquel « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ». Le refus de la restitution des gamètes par l’administration étant, selon la requérante, constitutif d’une voie de fait, la Cour de cassation serait compétente pour reconnaître l’inconventionalité des limites ainsi posées à l’exercice de son droit de propriété.
Saisie de cet unique moyen, la Cour rappelle les critères permettant d’établir une voie de fait, donc la compétence du juge judiciaire. Celle-ci n’est constituée « que dans la mesure où l’administration, soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative » (TC, 17 juin 2013, n° 3911, Bergoend c/ ERDF Annecy Léman, souligné par l’avis de l’avocat général sous la décision). La Cour rejette le pourvoi, déclare non fondée la voie de fait et confirme ainsi l’irrecevabilité du recours devant les juridictions judiciaires. La même solution avait été antérieurement retenue par la Cour d'appel de Toulouse devant laquelle le même moyen avait été soulevé (CA, Toulouse, 20 juin 2016, n° 15/00676). Le refus de restituer les gamètes du défunt à la requérante n’est pas une atteinte au droit de propriété au sens de l’article 1er du 1er protocole à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales car ce texte a un sens économique et patrimonial et ne constitue pas davantage une atteinte à la liberté individuelle.
L’absence d’atteinte au droit de propriété
Un héritage absent sur les gamètes conservés
La veuve invoquait un droit de propriété sur les gamètes déposés. Celle-ci en aurait hérité au décès de son fils, pour ce bien comme pour tout autre. Or, si l’existence d’une chose, dans le commerce juridique, n’est pas contestable, le fait d’invoquer le droit de propriété de l’héritière en la matière l’est bien davantage. Certaines veuves ont en effet déjà tenté de se prévaloir de leur statut d’héritières de ces gamètes conservés, ce que les juges judiciaires ont constamment refusé. Les dispositions applicables précisent que l’assistance médicale à la procréation (AMP) bénéficie aux personnes « vivantes » (C. santé publ., art. L. 2141-2) et qu’« il est mis fin à la conservation des gamètes en cas de décès de la personne » (C. santé publ., art. R. 2141-17, antérieurement R. 2141-18), ces dispositions font obstacle à leur transmission successorale (TGI Rennes, 15 nov. 2009, n° 09/00588 confirmé par CA Rennes, 22 juin 2010 n° 09/07289). La Cour européenne a également de son côté indirectement pris position sur la question, estimant que « le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment il souhaite devenir parent […] relève de la catégorie des droits non transférables » (CEDH, 12 nov. 2019, n° 23038/19, §16). En l’espèce, la Cour d’appel avait donc pu à son tour avancer que « cette décision ne porte aucune atteinte à son droit de propriété, dès lors que celui-ci est inexistant » (CA Paris, 6 avril 2021, n° 20/16702). La mère du défunt n’en est donc pas propriétaire, mais la personne à l’origine du recueil aurait-elle pu invoquer l’inconventionalité des dispositions visées en tant qu’elles porteraient atteinte à son droit de propriété ?
L’absence d’invocabilité de l’article 1er protocole 1
Certes, les éléments et produits du corps humain, une fois détachés, sont des choses qui circulent, donc dans le commerce juridique. C’est ce qui les distingue des « choses hors du commerce » qui sont des biens, susceptibles de conventions, mais dont le propriétaire ne peut se départir (cf. Saleilles R., Le domaine public à Rome et son application en matière artistique, L. Larose et Forcel Libraires-Editeurs, 1889, p. 94 et Paul F., Les choses qui sont dans le commerce au sens de l’article 1128 du code civil, Paris, LGDJ, 2002, p. 28, 38, 70, 76-77, 139, etc.). Dans ou hors du commerce, ces choses ont un propriétaire, mais l’existence d’une propriété est généralement niée en raison des importantes limitations dont elle fait l’objet. Les lois de bioéthique ont ainsi organisé le régime des éléments et produits du corps humain en évitant soigneusement de préciser à quel titre s’exerçaient les droits sur ceux-ci puisque l’article 16-1 c. civ. dispose que « Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial » et déclare nulles les conventions ayant pour effet de leur conférer une telle valeur (C. civ., art. 16-5). Si propriété il y a, elle est soumise à un régime spécifique la faisant échapper aux logiques classiques de marché. C’est ainsi sans se prononcer sur l’existence d’une telle propriété que la Cour européenne, en réduisant le droit de propriété proclamé à l’article 1er du Premier protocole additionnel à la convention à une dimension « économique et patrimoniale », avait écarté son invocabilité. Aussi « les embryons humains ne sauraient être réduits à des "biens" au sens de cette disposition » (CEDH, 27 août 2015, n° 46470/11, Parrillo c/ Italie, § 215). En vertu de cette jurisprudence, rappelée, et à son interprétation également retenue par A. Bretonneau dans ses conclusions (sous CE, Ass., 31 mai 2016, n° 396848 ; Lebon n°3/2017, p. 217), la Cour de cassation décide que « des gamètes humains ne constituent pas des biens au sens de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne des droits de l'homme ». Le comportement de l’administration n’a donc pas conduit l’extinction du droit de propriété au sens de cet article puisqu’elle n’était, à ces deux titres, pas constituée.
L’absence d’atteinte à la liberté individuelle
Une atteinte à la vie privée discutée
Si la Cour rappelle que « seule la personne peut en disposer », il s’agit moins de l’affirmation positive d’une libre disposition que d’un rappel, négatif, que d’autres ne peuvent y prétendre. La question fait néanmoins l’objet d’un contentieux dont la complexité a été récemment renforcée. Si après une première admission (TGI Créteil, 1er août 1984, JCP G, II, 1984, 20321), les juges avaient refusé la restitution à la veuve des paillettes de sperme (TGI, Toulouse, 26 mars 1991, JCP, 1992, 21807) et des embryons (TGI Rennes, 30 juin 1993, JCP, 1993, II, 22250 ; CA, Toulouse, 18 avr. 1994, JCP, G, 1995, II, 22472 confirmé sur ce point par Cass. 1re civ., 9 janv. 1996, n° 94-15.998), la question se pose désormais avec une particulière acuité dans le contentieux des autorisations d’exportations de gamètes. Le Conseil d’État a pu accéder à cette demande dans sa fameuse décision du 31 mai 2016 précitée, à la suite d’un contrôle de conventionalité concret particulièrement circonstancié. Si la règle demeure et qu’elle n’était qu’exceptionnellement écartée, au moins une autre décision dans le même sens a suivi (TA Rennes, ord. réf., 11 oct. 2016, n° 1604451), avant la confirmation de rejets dans d’autres espèces (CE, 13 juin 2018, n° 421333 et, pour l’affaire commentée, CE, 4 déc. 2018, n° 425446). Aussi, la loi prohibant ces exportations post-mortem demeure-t-elle appliquée. On se souvient, en outre, de la décision du Conseil constitutionnel qui estimait, en matière d’autoconservation de cellules placentaires, que le consentement au prélèvement ne valait pas exercice de « droits sur ces cellules » (Cons. const., déc. 16 mai 2012, n° 2012-249, §7 QPC) – avant qu’une dérogation à ce principe aux fins d’exportation ne soit à son tour semble-t-il admise par un juge du fond (TGI Grasse, 14 oct. 2016, cité par A. Marais, Recueil Dalloz 2017 p. 496). Plus largement, certains tempéraments apparaissent, devant les juridictions administratives et judiciaires, sans qu’aucun principe général de disposition par l’individu de ses propres éléments détachés ne puisse être affirmé. Les gamètes ne peuvent ainsi être recueillies ou prélevées que pour soi ou dans le cadre d’un don qui demeure anonyme ab initio ; la loi définit une seule finalité (procréative) ; et la révocabilité du consentement légalement affirmée n’emporte ni propriété, ni droit de se les voir restituer. En témoigne par exemple le fait que l’avancement en âge des patients puisse faire obstacle à la restitution (C. santé publ., art. L. 2141-2 et R. 2141-38). L’encadrement législatif détermine, encore à ce jour, les conditions des prélèvements des éléments et produits du corps humain, de leur circulation, de leur conservation et de la restitution. Si la liberté personnelle pouvait donc être invoquée, la liberté individuelle qui conditionne la reconnaissance d’une voie de fait n’était pas concernée.
La liberté individuelle non concernée
La liberté individuelle n’est pas la liberté personnelle. Ayant réduit le champ de la liberté individuelle à la question de la sûreté personnelle, les faits en cause ne relevaient pas, d’après la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la liberté individuelle protégée par l’autorité judiciaire au titre de l’article 66 de la Constitution, mais du droit au respect de la vie privée. Depuis 1999, la liberté personnelle est rattachée à l’article 2 DDHC (Cons. const., déc., 23 juill. 1999, n° 99-416, § 45 ; Cons. const., déc. 21 déc. 1999, no 99-422, § 52). La Cour de cassation a ainsi pu rappeler que « la liberté de procréer n’entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution ». Irrecevable devant les juridictions judiciaires, la demande relative à l’exportation des gamètes relevait bien des prérogatives de l’APHP (du CECOS concerné), qui ne pouvait y procéder qu’après autorisation de l’Agence de la biomédecine (C. santé publ., art. L. 2141-11-1), et le contentieux revenait au juge administratif.