Révocation abusive d'un dirigeant : illustration

28.02.2024

Gestion d'entreprise

Les performances insuffisantes d'un dirigeant peuvent justifier de le révoquer mais pas de lui imposer la remise de ses outils de travail et l'enlèvement de ses affaires personnelles en quelques heures après la décision de révocation.

Un litige oppose une SAS à son ancien directeur général, lequel exige des dommages-intérêts au titre de la révocation de son mandat réalisée sans juste motif d’une part (sur ce point, voir « Dérogation aux statuts d’une SAS par une décision unanime des associés »), et dans des circonstances brutales et vexatoires d’autre part.  

Sur ce dernier point, la cour d’appel de Paris rappelle le principe selon lequel le caractère brutal (Cass. com., 22 non. 2016, n° 15-14.911) ou vexatoire (Cass. com., 9 nov. 2010 n° 09-71.284) de la révocation est susceptible de caractériser une faute de la société préjudiciable au dirigeant révoqué et justifiant que celle-ci lui alloue des dommages-intérêts.

Appliquant ce principe à l’espèce, elle reconnaît qu’un délai de convocation de 48 heures laissé au directeur général « n’est pas de nature à être qualifié de brutal », ce délai ayant permis à l’intéressé de se préparer. La solution est parfaitement justifiée. S’il est nécessaire que le dirigeant ait pu préparer sa défense, le délai accordé peut être très court (Cass. com., 6 nov. 2012, n° 11-20.582, à propos d’une assemblée convoquée le matin pour l’après-midi).

Cela étant, d’autres éléments permettent aux juges du fond de retenir la brutalité de la révocation.

Premièrement, les motifs envisagés pour la révocation du directeur général ne lui avaient pas été indiqués. Or, il est de jurisprudence constante que la société, tenue à une obligation de loyauté dans l’exercice du droit de révocation, doit présenter au dirigeant les motifs de celle-ci (Cass. com., 14 mai 2013, n° 11- 22.845).

Deuxièmement, la mise en œuvre de la décision de révocation avait été immédiate puisqu’en quelques heures seulement les différents outils fournis au directeur général (véhicule, ordinateur, moyens de paiement) avaient dû être restitués et ses affaires personnelles retirées. Or, la précipitation dans la mise en œuvre de la révocation contribue, en principe, à caractériser sa brutalité (Cass. com., 9 nov. 2010 n° 09-71.284). La cour d’appel de Paris précise toutefois qu’une telle précipitation pourrait être justifiée « au regard des circonstances de la révocation et de la situation de la société ». Cette réserve est intéressante tant il est vrai que le comportement du dirigeant, notamment en cas de déloyauté, pourrait justifier une certaine célérité. En l’occurrence, aucune déloyauté n’avait été constatée, la révocation tenant essentiellement à des performances insuffisantes du dirigeant et à la dégradation financière de la société, ce qui justifiait un remplacement rapide de la gouvernance mais pas une mise en œuvre de la décision de révocation en quelques heures.

Troisièmement, au titre des circonstances vexatoires cette fois, la cour d’appel de Paris retient le caractère humiliant de la désignation immédiate du successeur, recruté extérieurement à la société, qui a ainsi pris ses fonctions avant même que le directeur général révoqué ne soit physiquement parti de la société. Surtout, cette circonstance démontre que la décision de révocation avait été prise avant même l'entretien, lequel était donc en réalité factice. De manière générale, est en effet jugé vexatoire le fait de désigner le successeur du dirigeant (CA Rouen 16 déc. 2004 : n° 04-746) ou même de publier une offre d’emploi en vue de le remplacer (CA Poitiers 25 avr. 2023, n° 22/00108 ; Elnet, 26 sept. 2023) avant que la révocation ne soit décidée.

Elsa Guégan, Professeur agrégée des facultés de droit

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