Secret médical et assurance : point de secret partagé entre médecin-conseil et expert judiciaire

28.11.2022

Droit public

Le Conseil d'État rappelle que les informations couvertes par le secret médical ne peuvent être échangées qu'entre médecins participant à la même prise en charge médicale. Un médecin-conseil d'assurance ne peut dès lors, sans encourir de sanction disciplinaire, remettre à l'expert judiciaire un document médical malgré l'opposition de l’intéressé.

« Le secret médical n’est pas le secret des membres du club » : tel semble être le message adressé par le Conseil d’État, après la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans son arrêt du 15 novembre 2022.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

Découvrir tous les contenus liés

En l’espèce, une personne est victime d’un accident de la circulation. Une expertise amiable est diligentée par son assureur et communiquée à l’assureur de l’autre conducteur, qui la remet à son médecin-conseil. La tentative de règlement amiable n’ayant pas abouti, la victime saisit le juge des référés. Celui-ci ordonne une expertise judiciaire, précisant que l’expert a notamment pour mission de se faire délivrer tout document utile mais aussi que « la communication de toute pièce médicale à un tiers [est] subordonnée à l’accord de la personne concernée ». Le médecin-conseil de la compagnie d’assurance adverse remet spontanément à l’expert le rapport d’expertise amiable, malgré l’opposition de la victime.

Cette dernière porte plainte devant la Chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l’Ordre des médecins contre le médecin-conseil, pour violation du secret médical. Celui-ci se voit infliger un blâme. Il interjette appel devant la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, qui annule cette décision et rejette la plainte. Selon cette juridiction, le secret médical n’est pas enfreint dès lors que l’obligation de respecter le secret médical s’appliquait aux deux médecins et que l’échange de telles données couvertes par le secret médical concourait à la bonne administration de la justice.

Le Conseil d’État casse et annule la décision de la Chambre disciplinaire nationale et renvoie l’affaire devant cette dernière.

La seule qualité de médecin ne suffit pas à autoriser l’échange de données

Pour décider ainsi, la Haute Cour se fonde sur les dispositions des articles L. 1110-4 et R. 4127-4 du code de la santé publique instaurant le secret médical, plus particulièrement celles ayant trait au « secret partagé ». Il en résulte tout d’abord que le secret médical couvre l’ensemble des informations venues à la connaissance du médecin concernant une personne, peu importe que celle-ci les lui ait directement confiées ou non. Il en résulte ensuite que deux médecins ne peuvent échanger des informations couvertes par le secret médical que lorsqu’ils participent tous deux à la prise en charge médicale de l’intéressé et à condition que les informations transmises soient nécessaires à la coordination ou au suivi des soins, à la prévention ou à son suivi social ou médico-social. Lorsque les médecins n’appartiennent pas à une même équipe de soins, au sens de l’article L. 1110-12 du code de la santé publique, l’échange d’informations requiert en outre le consentement préalable de l’intéressé.

Comme l’a souligné le Rapporteur public dans ses conclusions, aucune de ces conditions n’était en l’occurrence remplie.

Dès lors, c’est à tort que la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins s’est notamment fondée, pour dire qu’il n’y avait pas de faute, sur l’appartenance du médecin-conseil d’assurance et de l’expert judiciaire à la profession de médecin, tenue au secret médical : la seule qualité de médecin ne suffit pas à autoriser l’échange de données.

Le Conseil d’État rejoint ainsi la solution adoptée, dans la même affaire, par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 16 mars 2021, n° 20-80.125), à la différence, toutefois, que l’importance accordée au consentement de l’intéressé par le Conseil d’État semble ici incertaine : puisque l’échange entre médecin-conseil et médecin expert ne s’inscrit pas dans une prise en charge commune, ce qui par principe fait obstacle à la communication des informations, comme le relève le Conseil d’État, pourquoi ce dernier mentionne-t-il en outre l’absence de consentement de l’intéressé ? La solution eût-elle été différente si la victime avait consenti à la remise du rapport amiable à l’expert judiciaire par le médecin-conseil ? C’est ce que considèrent les 1ère et 2ème Chambres civiles de la Cour de cassation, tirant toutes les conséquences du fait que le secret médical est, depuis la Loi Kouchner du 4 mars 2002, un droit des malades (Cass. 2ème civ., 2 juin 2005, n° 04-13.509, Bull. 2005, II, n° 142 ; Cass. 1re civ., 11 juin 2009, n° 08-12.742, Bull. 2009, I, n°128). Le Conseil d’État ne l’affirme cependant pas ici très clairement.

Le secret médical à l’épreuve de l’expertise judiciaire

Concernant l’intérêt d’une bonne administration de la justice, sur lequel était également fondé l’arrêt de la Chambre disciplinaire, le Conseil d’État rappelle que l’expertise judiciaire est régie par l’article 275 du code de procédure civile. Ce texte prévoit que « les parties doivent remettre sans délai à l’expert tous les documents que celui-ci estime nécessaires à l’accomplissement de sa mission » et qu’en cas de carence des parties, l’expert en informe le juge qui peut ordonner la production des documents, s’il y a lieu sous astreinte, ou bien, le cas échéant, l’autoriser à passer outre ou à déposer son rapport en l’état, la juridiction de jugement pouvant tirer toute conséquence de droit du défaut de communication des documents à l’expert. Le Conseil d’État précise que ces dispositions ne permettent pas de déroger à celles de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique. Autrement dit, elles ne fondent pas en elles-mêmes une dérogation au secret médical.

Le médecin-conseil défendeur, suivi en cela par la Chambre disciplinaire nationale, s’appuyait, pour prétendre le contraire, sur un arrêt de la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation selon lequel une expertise médicale qui, en ce qu’elle ressortit à un domaine technique échappant à la connaissance des juges, est susceptible d’influencer leur appréciation des faits, constitue un élément de preuve essentiel devant pouvoir être débattu par les parties. Il en résulte, d’après cet arrêt, que le secret médical ne saurait être opposé à un médecin-expert appelé à éclairer le juge sur les conditions d’attribution d’une prestation sociale, ce praticien, lui-même tenu au respect de cette règle, ne pouvant communiquer les documents médicaux examinés par lui aux parties et ayant pour mission d’établir un rapport ne révélant que les éléments de nature à apporter la réponse aux questions posées et excluant, hors de ces limites, ce qu’il a pu connaître à l’occasion de l’expertise (Cass. 2ème civ., 22 nov. 2007, n° 06-18.250, Bull. 2007, II, n° 261). Cependant, comme le soulignait le Rapporteur public devant le Conseil d’État, dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation, il s’agissait d’une caisse de sécurité sociale qui invoquait le secret médical pour refuser de transmettre à un expert judiciaire le rapport médical de son médecin-conseil sur la base duquel elle avait attribué une rente pour incapacité permanente partielle à l’un des salariés. L’arrêt s’appuie donc sur l’idée que l’employeur doit bénéficier d’un recours effectif et pouvoir faire valoir ses droits dans le cadre d’un débat contradictoire devant les juridictions de la sécurité sociale, conformément aux exigences de la jurisprudence de la CEDH. À l’inverse, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Conseil d’État du 15 novembre 2022, le rapport du médecin-conseil de l’assurance n’était nullement indispensable à la mission de l’expert, qui pouvait apprécier lui-même l’état de santé de l’intéressé.

Conciliation entre secret médical et droit de la preuve en matière d’assurance de personnes

Le Conseil d’État, comme la Cour de cassation, poursuit ainsi la difficile conciliation entre secret médical et droit de la preuve en matière d’assurance de personnes. Il rappelle que, de manière générale, être médecin ne suffit pas à légitimer la révélation d’informations à un autre médecin. Le secret médical étant en effet une notion fonctionnelle et un droit subjectif, la seule appartenance à une profession soumise au secret ne saurait autoriser sa levée.

Maïalen Contis, Docteur en droit, avocat au barreau de Toulouse
Vous aimerez aussi

Nos engagements