Secret médical et violences conjugales : comprendre et appliquer la loi du 30 juillet 2020

01.11.2020

Droit public

L'Ordre des médecins publie, avec le ministère de la justice et la Haute Autorité de santé, un vade-mecum pour accompagner les professionnels de santé dans la mise en place de la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.

C’était l’une des mesures phares du Grenelle des violences conjugales : lever le secret médical afin de permettre aux médecins, en cas de violences conjugales, de signaler un danger immédiat pour la victime même sans son accord.
Jusque-là, aux termes de l’article 226-14 du code pénal, un professionnel de santé pouvait déroger au secret médical pour signaler au procureur de la République ou à la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être (CRIP) des faits de violences, à condition de recueillir l’accord de la victime. Cet accord n’était pas nécessaire lorsque la victime était un mineur ou une personne n’étant pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. Pour certains professionnels de santé, la question se posait, dans certains cas, de savoir si une victime de violences conjugales était en mesure de se protéger, en raison de l’emprise exercée par l’auteur des faits.
Adoption de la loi du 30 juillet 2020
L’article 12 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a modifié l’article 226-14 du code pénal en précisant que le secret médical ne s’applique pas « (…) 3° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple relevant de l'article 132-80 du présent code, lorsqu'il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n'est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l'emprise exercée par l'auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé doit s'efforcer d'obtenir l'accord de la victime majeure ; en cas d'impossibilité d'obtenir cet accord, il doit l'informer du signalement fait au procureur de la République ».
Il est ainsi désormais possible – mais non obligatoire – pour tous les professionnels de santé (c’est-à-dire pour toutes les personnes appartenant à une profession régie par la quatrième partie du code de la santé publique) de signaler sans l’accord de la victime les faits de violences conjugales, lorsque certaines conditions sont réunies.
Sont ici visées les violences commises par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu'ils ne cohabitent pas.
Ces conditions, cumulatives, sont au nombre de trois :

– il existe un danger immédiat pour la vie de la victime ;

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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– la victime n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences ;

– le médecin doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime.

Lorsque ces trois conditions sont réunies, le professionnel de santé peut signaler les faits au procureur de la République et uniquement à lui. S’il n’a pas obtenu l’accord de la victime, il doit l’informer de ce signalement.
Réactions contrastées
Comme le souligne le rapport publié le 9 octobre 2020 par le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE), les réactions, à l’adoption de cette loi, ont été contrastées. Lors de sa session plénière du 13 décembre 2019, le Conseil national de l’Ordre des médecins s’était prononcé sur le projet de loi et s’y était dit favorable à condition que les femmes soient protégées. Il avait plébiscité la désignation d’un procureur de la République dédié aux violences conjugales à qui les signalements des médecins pourraient être adressés (communiqué du 18 décembre 2019).
Le Conseil national de l’Ordre des sages-femmes s’était montré plus réservé, en rappelant que « les professionnels de santé […] ne doivent pas décider à la place des patients mais éclairer leur consentement » (La lettre du conseil de l’ordre Contact sages-femmes, n°61, janvier-février-mars 2020. p.9).
Dans son rapport précité, le HCE « partage ces réserves et inquiétudes » et formule une série de recommandations pour mieux protéger, immédiatement, les victimes. Parmi ces préconisations, figurait l’établissement d’un modèle de signalement à destination des soignants.
Vade-mecum pour aider les soignants
C’est désormais chose faite avec le « Vade mecum de la réforme de l’article 226-14 du code pénal » publié par le Ministère de la justice, l’Ordre des médecins et la Haute Autorité de santé, Secret médical et violences au sein du couple. Destiné à « accompagner les soignants dans la mise en place de cette nouvelle loi », ce vade-mecum comprend un modèle de fiche de signalement, une notice explicative du signalement, les critères d’évaluation du danger immédiat et de l’emprise, le circuit juridictionnel du signalement, la pédagogie de la loi du 30 juillet 2020 et les recommandations de la Haute Autorité de santé.
Fiche de signalement
La fiche de signalement comporte, après le rappel des conditions prévues par l’article 226-14 du code pénal : l’identification de l’auteur du signalement et celle de la victime, les faits décrits par cette dernière et les doléances exprimées par elle, les constatations physiques et psychiques effectuées par le médecin à l’examen clinique et la mention de l’accord ou de l’absence d’accord de la victime en vue du signalement. Elle est rédigée de manière à ce que, tout à la fois, le procureur de la République accède rapidement aux informations nécessaires pour donner une suite et le médecin ne se mette pas en danger par rapport à ses règles professionnelles. En effet, une part importante des poursuites devant la juridiction disciplinaire est due à des certificats rédigés en contradiction avec les règles professionnelles, en particulier celles énoncées aux articles 28 et 76 du code de déontologie médicale (C. santé publ., art. R. 4127-58 et R. 4127-76), souvent plus par maladresse que par une réelle volonté de leur auteur.
Conditions du signalement
Pour apprécier si les conditions du signalement sont réunies, le professionnel de santé doit tout d’abord se demander si la vie de la victime est en danger immédiat, autrement dit si son existence est menacée. Pour l’aider à apprécier la situation, le Vade-mecum énonce une série de 15 questions, parmi lesquelles :
– « La victime fait-elle état d’une multiplicité de violences (verbales, physiques, sexuelles ou psychologiques) et/ou d’une augmentation de la fréquence de ces dernières ? » ;
– « D’après la victime, son partenaire a-t-il eu connaissance de son projet de séparation ? En cas de séparation déjà effective, l’ancien partenaire cherche-t-il à connaitre le lieu de résidence de la victime ? » ;
– « La victime évoque-t-elle des éléments laissant penser qu’elle ait pu être incitée au suicide par son partenaire ou ancien partenaire ? » ;
– « La victime exprime-elle avoir déjà été empêchée de sortir de chez elle ? » ;
– « La victime dit-elle avoir reçu des menaces de mort (notamment scénarisées) adressées directement à elle ou à ses enfants de la part de son partenaire ou ancien partenaire ? » ;
– « La victime déclare-t-elle que son partenaire ou ancien partenaire possède des armes à feu (déclarées ou non) ? ».
Evaluation de l'emprise
Comme le souligne le HCE, « La notion d’emprise est intégrée pour la première fois dans l’ordre juridique interne. Il n’en existe pas aujourd’hui de définition juridique. Dans le langage courant, l’emprise peut se définir comme l’ascendant qu’une personne exerce sur une autre personne ». Selon le Vade-mecum, « Une emprise au sens générique est une ascendance, qui peut être intellectuelle ou morale exercée sur un tiers. Il en va en droit public de l’emprise comme étant un processus de dépossession. Toute emprise induit un rapport de domination qui peut aller jusqu’à l’asservissement. Une contrainte est une violence physique ou morale exercée contre une personne afin de l'obliger à agir contre sa volonté et contre elle-même ». Là aussi, le Vade-mecum propose une série de 10 questions pour aider le professionnel de santé à apprécier si la victime est ou non dans une situation de contrainte morale due à l’emprise exercée par l’auteur des violences.
De potentielles plaintes ultérieures ?
Le professionnel de santé qui adresse cette fiche de signalement au procureur de la République est-il protégé des poursuites que l’auteur supposé des violences pourrait être tenté d’initier contre lui ? L’article 226-14 du code pénal dispose en son dernier alinéa : « Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi ». Ainsi, n’encourt en principe aucune responsabilité celui qui, de bonne foi, effectue un signalement. Pour autant, il n’est pas protégé des poursuites. L’auteur des faits conserve en effet la faculté de le poursuivre et selon l’article L. 4123-2 du code de la santé publique, lorsqu’une plainte est portée devant le conseil départemental de l’Ordre des médecins, celui-ci est tenu de la transmettre à la chambre disciplinaire de première instance, avec son avis motivé, en cas d’échec de la conciliation. Le médecin n’encourt donc pas de sanction et ne peut être condamné à des dommages et intérêts, tandis que l’auteur des poursuites peut être condamné à une amende et à des dommages et intérêts pour procédure abusive. Toutefois, pour éviter aux professionnels de santé d’avoir à s’expliquer devant les juridictions à la suite d’un signalement effectué de bonne foi, peut-être serait-il opportun de prévoir qu’ils ne peuvent être poursuivis devant la juridiction civile, pénale ou ordinale, à l’instar de ce que l’article L. 4124-2 du code de la santé publique prévoit pour les médecins investis d’une mission de service public (lesquels ne peuvent être traduits devant la juridiction disciplinaire que par certaines autorités limitativement énumérées) ? Ils seraient ainsi davantage encore incités à signaler les violences et à protéger les victimes.

 

Maïalen Contis, Docteur en droit, avocat au barreau de Toulouse
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