Sécurité des couches pour bébés : absence de situation d'urgence selon le Conseil d'État

09.09.2019

Droit public

Le Conseil d'État refuse de prescrire des mesures temporaires d'urgence concernant les couches de bébé.

Le 12 juillet 2019, le juge des référés du Conseil d’État a rendu une ordonnance rejetant le recours en référé introduit par des parents et l’Association pour la santé des enfants (anciennement association des victimes de Lactalis) qui visait à enjoindre à l’État d’agir pour garantir la sécurité sanitaire des couches pour bébés. S’il s’agit d’une décision décevante pour les requérants et les personnes préoccupées par cette question de santé publique pour le moins préoccupante quand on sait qu’en France, plus de 95% des bébés portent des couches jetables et qu’ils seront chacun amenés à en porter environ 4000 jusqu’à l’âge de 3 ans, cette ordonnance est néanmoins difficilement critiquable sur le plan juridique. Rendue en référé, elle ne préjuge pas toutefois de la solution qui sera retenue par le Conseil d’État au fond dans les prochaines semaines.
 
C’est à la suite de l’étude publiée en janvier 2017 dans le mensuel 60 millions de consommateurs faisant état de la présence de substances chimiques indésirables dans les couches jetables pour bébés, largement relayée par les médias, que l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a été saisie par le gouvernement afin de réaliser une expertise sur ce sujet.
Un avis confirmant les constats dressés par l’association lanceuse d’alerte
Par un avis rendu le 23 janvier 2019, l’agence confirme largement la présence de diverses substances chimiques comme des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), du formaldéhyde, des dioxines, des pesticides, reconnues ou soupçonnées de présenter des effets cancérogènes, mutagènes ou perturbateurs endocriniens. Certaines de ces substances sont ajoutées intentionnellement par les fabricants, c’est le cas de celles qui ont des propriétés parfumantes (les HAP), mais pour la plupart, leur présence dans les couches résulte soit d’une contamination des matières premières (comme les pesticides), soit sont formées lors des procédés de fabrication comme le blanchiment et le collage (pour les dioxines notamment).
 
Pour certaines substances, l’agence a même relevé des dépassements d’indicateurs de risque ou de seuils sanitaires (quand ils existent). Elle en conclut qu’il n’est pas possible d’exclure l’existence d’un risque sanitaire lié au port de couches jetables, même si elle reconnaît par ailleurs qu’« il n’existe aucune donnée épidémiologique permettant de mettre en évidence une association entre des effets sanitaires et le port de couches ».
 
En conséquence, elle émet un certain nombre de recommandations à la fois à destination des pouvoirs publics et des fabricants et metteurs sur le marché de ces produits. Parmi celles-ci, elle « recommande d’éliminer ou de réduire autant que possible la présence de ces différentes substances et familles de substances indésirables dans les couches pour bébé en appliquant le principe ALARA ». Ce principe désigné par l’acronyme de l’expression anglaise « As Low As Reasonably Achievable », soit aussi bas que raisonnablement possible, est une traduction du principe de précaution dans les hypothèses où les données scientifiques ne permettent pas d’établir un seuil d’innocuité (c’est le cas pour certains HAP contenus dans les couches). Il est alors recommandé de réduire aussi bas que possible le niveau d’exposition.
La réaction du gouvernement et l’objectif du recours
Le jour même de la publication de cet avis, le gouvernement convoquait les professionnels du secteur pour leur demander de prendre dans les meilleurs délais les mesures garantissant la sécurité des couches pour bébés. En parallèle, décision est prise de renforcer les contrôles opérés par la DGCCRF pour vérifier la mise en œuvre concrète des actions annoncés par les professionnels, et de porter au niveau de l’Union européenne l’exigence française d’évolution de la règlementation en la matière.
 
Considérant que ces mesures reposaient essentiellement sur le bon vouloir des fabricants et souhaitant surtout connaître le nom des marques de couches contenant les substances chimiques indésirables, l’Association pour la sécurité sanitaire des enfants (rejointe dans son action par des parents) a déposé des demandes en ce sens aux ministres concernés. C’est leur rejet implicite qu’ils attaquent devant le Conseil d’État en juin dernier, en assortissant leur recours d’un référé-suspension, procédure d’urgence visant en l’occurrence à enjoindre aux autorités compétentes d’agir, dans l’attente du jugement au principal.
 
Or, si cette procédure est efficace pour garantir l’effectivité des décisions de justice en ce qu’elle permet de suspendre une décision (même de rejet comme ici) dans l’attente de la décision au fond, qui arrive parfois trop tard au regard de la situation en jeu, elle est redoutable dans ses conditions, puisqu’elle est subordonnée à la reconnaissance par le juge administratif d’une situation d’urgence et d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision (. Just. Adm., art. L. 521-1). Si l’une des deux conditions n’est pas remplie, le juge rejette la requête sans avoir à examiner l’autre. En l’espèce, il se contente de constater que la condition d’urgence n’est pas satisfaite, ce qui peut se comprendre au regard des données du dossier et de la conception de l’urgence développée par le juge des référés au fil de sa jurisprudence.
L’urgence appréciée de manière exigeante par le juge
Il appartenait aux requérants de démontrer que la condition d’urgence était satisfaite, or ils n’ont visiblement pas convaincu le juge du Conseil d’État qui se place dans la logique qui sous-tend la procédure du référé-suspension. Pour qu’il y ait urgence à statuer, « il est nécessaire que l’écoulement du temps risque de préjudicier gravement aux intérêts du demandeur avant que le juge du fond puisse assurer leur protection. À défaut, l’intervention du juge de l’urgence ne se justifierait pas puisque le tribunal statuant au fond et dans les formes habituelles pourrait prendre dans les délais requis les mesures nécessaires » (O. Le Bot, Référé-suspension, LexisNexis, Jurisclasseur administratif, n° 1093, avril 2018). Outre ce facteur temps, l’urgence ne sera reconnue que si la décision administrative contestée (ici l’inaction) porte préjudice de manière suffisamment grave et immédiate à la situation des requérants (ici des parents) ou aux intérêts qu'ils entendent défendre (en l’occurrence, la santé des enfants pour l’association).
 
Or, qu’en est-il en l’espèce ? S’agissant de la recommandation de l’Anses d’élaborer une réglementation sanitaire spécifique (inexistante en l’état), le juge constate évidemment qu’elle « ne pouvait être réalisée dans un délai compatible avec la présente saisine ». Elle suppose en effet une action au niveau de l’Union européenne, plus précisément une modification du règlement REACH (n° 1907/2006 du 18 déc. 2006) afin d’ajouter des restrictions concernant l’usage de certaines substances chimiques dans les couches pour bébés. Quant à la modification des modalités de fabrication des couches et l’information des consommateurs, le juge relève que des premières mesures nécessaires à la mise en œuvre des recommandations de l’Anses ont été adoptées très rapidement et que d’autres doivent être progressivement réalisées selon les engagements pris. Il sera à cet égard intéressant de voir dans quelle mesure le juge du fond du Conseil d’État pendra en compte le respect du calendrier annoncé par les pouvoirs publics pour apprécier le recours au fond.
Quant au préjudice, le juge ne manque pas de rappeler l’absence de données épidémiologiques mettant en évidence un risque sanitaire lié au port de couches jetables, ce qui le conduit implicitement à considérer que les conditions de gravité et d’immédiateté du préjudice ne sont pas remplies pour justifier l’adoption de mesures d’extrême urgence. Au-delà de cette appréciation, il n’a pas eu à se prononcer sur le respect du principe de précaution qui est clairement en jeu dans ce dossier. 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Karine Foucher, maître de conférences HDR à l'université de Nantes
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