Soins psychiatriques : la mise à l'isolement ou en contention doit faire l'objet d'un contrôle par le juge judiciaire au-delà d'une certaine durée

29.06.2020

Droit public

Selon le Conseil constitutionnel, l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique prévoyant les conditions de mise à l'isolement et en contention en psychiatrie est contraire à la Constitution dès lors qu'aucune disposition législative ne soumet le maintien à l'isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l'article 66 de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel vient d’enfoncer un nouveau coin au sein de l’indépendance de la pratique médicale. Suite à une saisine sur QPC, celui-ci vient de déclarer contraire à la Constitution l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique qui, depuis qu’il a été créé par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, régit les conditions de mise à l’isolement ou en contention physique d’une personne faisant l’objet de soins psychiatriques. Ce texte avait été créé afin de contrecarrer ce qui avait été observé comme une dérive de la pratique psychiatrique. En effet, dans certains établissements, la mise à l’isolement en contention et/ou à l’isolement (les deux étant souvent associés en pratique) avait apparemment fait l’objet d’une certaine banalisation et était parfois employée comme moyen de gestion de la population hospitalière (cela a été encore été observé durant la phase de confinement due au COVID 19, où des malades mentaux de certains établissements ont été placés à l’isolement de manière prolongée pour gérer le risque épidémique) ou comme mesure disciplinaire contre des malades peu coopératifs. De telles dérives ont été soulignées de manière récurrente dans divers rapports par le contrôleur général des lieux de privation de liberté depuis 2015.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Le législateur avait donc créé l’article L. 3222-5-1 comme une tentative de rappeler la psychiatrie aux fondamentaux de la raison d’être de la mise à l’isolement ou en contention : prévenir la survenance d’un dommage contre le malade ou contre des tiers à condition qu’aucun autre moyen n’existe pour cela. L’alinéa 1 de ce texte prévoit, à ce titre, que « l'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin. » Les deux alinéas suivants prévoient l’obligation de tracer l’origine, le début et la fin de telles mesures dans un registre et de rendre compte annuellement de cette pratique dans un rapport.

Cependant, ce texte comprend une carence importante en ne prévoyant pas quelle instance serait chargée de contrôler son application. Suite à l’entrée en vigueur du texte, la cour d’appel de Versailles avait développé une jurisprudence audacieuse affirmant qu’il relèverait du rôle du JLD, dans le cadre du contrôle de légalité des soins psychiatriques sans consentement, de vérifier le respect des conditions prévues par l’article L. 3222-5-1 et, en cas de violation, de prononcer la mainlevée de la mesure de soins (CA Versailles, 24 oct. 2016, no 16/07393 ; CA Versailles, 16 juin 2017, no 17/04374). Cette position a cependant été invalidée par la Cour de cassation qui a considéré que le juge des libertés et de la détention chargé de contrôler une mesure de soins psychiatriques n’est pas compétent pour se prononcer sur une mesure de contention et d’isolement (Cass. 1re civ., 7 nov. 2019, no 19-18.262, no 1020 FS - P + B + I ; Cass. 1re civ., 21 nov. 2019, no 19-20.513, no 1075 FS - P + B + I).
Cette position de la Cour de cassation n’est pas sans fondement. En effet, l’article L. 3222-5-1 n’est pas situé dans le titre relatif aux mesures de soins psychiatriques sans consentement dont le contrôle de légalité appartient au JLD et, en pratique, les mesures de mise à l’isolement ou en contention sont souvent pratiquées sur des personnes en soins libres. C’est d’ailleurs délibérément que le législateur, tenant compte de cette réalité, a inclus l’article L. 3222-5-1 dans le titre relatif à l’organisation des services de soins de santé mentale. Le juge des soins psychiatriques sans consentement ne peut donc pas être de plano celui des mesures de contention et d’isolement.
La nécessité de répondre à un vide juridictionnel
Il en résulte cependant un vide juridictionnel. Si le JLD n’est pas compétent, qui le serait donc ? Des réponses diverses peuvent être apportées. Une première thèse consisterait à affirmer que, en tant que décision médicale que le juriste (et donc le juge) n’aurait pas de compétence technique pour apprécier, la contention et l’isolement ne peuvent faire l’objet d’un contrôle a priori. Seule la mise en jeu de la responsabilité de l’auteur de la décision ou de l’institution soignante pourrait être envisagée a posteriori. Une telle vision ne satisfait cependant pas. En effet, même un psychiatre peut tomber dans l’erreur voire la démesure et pratiquer une forme d’excès ou de détournement de pouvoir, et il s’agit de pratiques particulièrement dangereuses pour le respect des droits humains fondamentaux. Il est donc inévitable qu’un juge puisse être amené à contrôler que la loi est respectée.
C’est le sens d’une QPC soumise à la Cour de cassation à la fin de l’hiver, que cette juridiction décidait de transmettre au Conseil constitutionnel au nom de ce que « l’atteinte portée à la liberté individuelle par les mesures d’isolement et de contention pourrait être de nature à caractériser une privation de liberté imposant, au regard de l’article 66 de la Constitution, le contrôle systématique du juge judiciaire » (Cass. 1e civ., 23 mars 2020, QPC, n° 19-40.039). Dans sa décision subséquente du 19 juin 2020, le Conseil constitutionnel a estimé que cette situation soulève effectivement un problème de constitutionnalité. Pour se justifier, le Conseil commence par souligner que de telles pratiques « ne sont pas nécessairement mises en œuvre lors d’une hospitalisation sans consentement et n’en sont donc pas la conséquence directe. Elles peuvent être décidées sans le consentement de la personne. Par suite, l’isolement et la contention constituent une privation de liberté. » Le Conseil rappelle ensuite que, si l’article 66 exige que de telles privations de liberté soient placées sous la surveillance du juge judiciaire, il n’impose pas forcément que ce soit lui qui les décide. Ce faisant, il valide le principe de la possibilité d’un placement en isolement ou contention sur la seule décision d’un psychiatre. Cependant, à la fin de sa décision, le Conseil ajoute que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible. Or, si le législateur a prévu que le recours à isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n’a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire. Il s’ensuit qu’aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l’article 66 de la Constitution », ce qui implique que l’article L. 3222-5-1 doit être regardé comme contraire à cet article 66. Par voie de conséquence, cet article L; 3222-5-1 est abrogé, avec néanmoins effet différé au 31 décembre 2020.
Une intervention obligatoire du juge judiciaire au-delà d’une certaine durée
Cette décision appelle deux commentaires.
Le premier, on le notera, est que le Conseil constitutionnel n’impose pas la création d’un contrôle judiciaire systématique de toute mesure de placement à l’isolement ou en contention, mais des mesures dépassant une certaine durée. On se souviendra d’ailleurs que les mesures de soins psychiatriques sans consentement privatives de liberté ne doivent elles-mêmes faire l’objet d’un contrôle judiciaire que lorsqu’elles dépassent 12 jours et même 15 jours dans la version initiale de la loi de 2011, car c’était celui que le Conseil constitutionnel lui-même avait proposé (Cons. const., déc., 26 nov. 2010, no 2010-71 QPC - Cons. const., déc., 9 juin 2011, no 2011-135/140 QPC). Pour le cas de l’isolement et de la contention, le Conseil n’a pas lui-même proposé de délai et il appartiendra au législateur d’interpréter les exigences des Sages afin de trouver l’équilibre entre les mesures courtes non soumises au contrôle du juge et les mesures longues qui devront en faire l’objet. Sans doute que les premières viseront les mesures que l’on pourrait sans doute décompter en heures : 24 ou 48 H, ou peut-être même 72 h comme dure la « période d’observation » des soins psychiatriques sans consentement. Dès que le décompte de la mesure s’imposera en jours, on deviendra plus circonspect car l’isolement, a fortiori accompagné de contention, est une mesure particulièrement sévère au cours de laquelle un individu est privé de l’exercice des facultés les plus constitutives d’un être humain, même placé dans un lieu de privation de liberté : entretenir des contacts avec ses semblables et se mouvoir dans l’espace.
Le second est que le Conseil constitutionnel, piégé par l’article 66 de la Constitution qui fait du juge judiciaire le garant des libertés individuelles, est obligé d’en appeler à l’intervention de ce dernier. Cependant il aurait finalement pu être aussi intéressant de confier ce contrôle de l’isolement psychiatrique au juge administratif qui, en matière de liberté publiques, n’est finalement pas moins digne d’intérêt que le juge judiciaire. Que l’on se souvienne, par exemple, de la procédure de référé-liberté que l’on pourrait précisément songer à mettre en œuvre dans ce contexte. Et, par comparaison, on observera que le contrôle des mesures de mise à l’isolement en milieu carcéral (qui sont différentes dans leur contexte et leur signification, bien entendu, des mesures d’isolement en psychiatrie) est confié par le code de procédure pénale au juge administratif dans le cadre de ladite procédure de référé-liberté (C. proc. pén., art. 726-1).

 

Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
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