La Cour de cassation a jugé qu'en matière de contrôle judiciaire obligatoire des soins psychiatriques sans consentement, le juge n'est pas tenu de relever d'office le moyen pris de l'irrégularité de la procédure d'admission en soins au regard des dispositions du code de la santé publique.
La Cour de cassation a rendu, le 5 mars 2020, deux décisions apportant la même solution concernant l’office du juge dans le contrôle judiciaire des soins psychiatriques sans consentement. Dans ces décisions, les personnes ayant fait l’objet d’une mesure de soins (sur demande d’un tiers pour l’une, sur décision du préfet après arrêté provisoire d’un maire pour l’autre) soulignaient, dans le cadre d’un pourvoi contre les décisions des juges du fond ayant ordonné la prolongation de leur mesure de soins lors du contrôle à 12 jours, que ceux-ci avaient omis de soulever certaines irrégularités de la procédure d’admission en soins. Celle qui avait été admise sur demande d’un tiers affirmait que le directeur de l’établissement aurait manqué à l’obligation de transmission, au préfet et à la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP), des pièces visées à l’article L. 3212-5 du code de la santé publique. Celle qui avait été admise sur décision du préfet affirmait que l’arrêté du préfet serait irrégulier en ce qu’il ne mentionne pas les circonstances de l’examen psychiatrique réalisé avant son admission. Cependant, selon la Cour de cassation, aucune de ces deux personnes n’avait soulevé ces arguments devant les juges du fond. Elle rejette donc leur pourvoi en indiquant, dans l’une comme dans l’autre de ses décisions, que « si l’article L. 3216-1 du code de la santé publique donne compétence au juge des libertés et de la détention pour connaître des contestations relatives à la régularité des décisions administratives prises en matière de soins psychiatriques sans consentement, celui-ci n’est jamais tenu de relever d’office le moyen pris de l’irrégularité de la procédure au regard des dispositions de ce code ». Autrement dit, le juge des libertés et de la détention (JLD) n’est pas tenu de pallier les défaillances des personnes (et de leurs avocats) concernant l’identification des moyens d’invalidation de la procédure d’admission en soins.
Des solutions compréhensibles
Ces deux arrêts interviennent sur l’épineuse question de savoir si, dans le rôle d’application de la loi que l’article 12 du code de procédure civile attribue au juge, il est du devoir de celui-ci de soulever les moyens de droit que les parties auraient oubliés. En vertu d’une solution posée par un arrêt d’assemblée plénière en 2007 (Cass. ass. plén., 21 déc. 2007, n° 06-11.343), par principe le juge judiciaire n’a pas l’obligation de soulever par lui-même les moyens de droit que les parties omettraient de lui soumettre. Ceci résulte du principe dispositif selon lequel le procès est la chose des parties. Cette solution de principe connaît cependant quelques exceptions. Ainsi, parfois la loi exige elle-même du juge qu’il relève d’office tel ou tel type de moyen. Ainsi, l’article R. 632-1, alinéa 2, du code de la consommation dispose que, dans les litiges opposant un consommateur à un professionnel, le juge « écarte d’office (...) l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat ». Parfois, même dans le silence des textes, certaines décisions de la Cour de cassation ont considéré que certains moyens devaient être soulevés d’office par le juge (ex. : Cass. 2ème civ., 5 juil. 2018, n° 17-19.738, pour les règles relatives à la loi de 1985 sur les accidents de la circulation) lorsqu’ils sont d’ordre public. Les deux décisions ici évoquées montrent clairement que la Cour de cassation considère qu’il n’en va pas de même s’agissant des irrégularités de la procédure d’admission en soins litigieuses que sont le défaut de transmission de pièces à la CDSP et au préfet pour l’admission sur demande d’un tiers, ou le défaut de précisions sur les circonstances de l’examen psychiatrique dans l’arrêté s’agissant du cas de l’admission en urgence sur décision du préfet.
Des arrêts à la motivation discutable
Si ces décisions apparaissent compréhensibles, leur motivation n’en est pas moins discutable. En effet, l’affirmation péremptoire selon laquelle « le JLD n’est jamais tenu de relever d’office le moyen pris de l’irrégularité de la procédure au regard des dispositions [du code de la santé publique] » est à considérer comme fausse et on ne peut que regretter que la Cour de cassation se soit abandonnée à un tel excès de langage. Ainsi, si l’on imaginait une décision d’admission prise par une autorité incompétente (par exemple, pour l’admission sur demande d’un tiers, par un agent hospitalier ne bénéficiant pas d’une délégation de pouvoir valide du directeur d’établissement), il paraît peu vraisemblable que le moyen ne doive pas être soulevé d’office par le JLD. En contentieux administratif, l’incompétence de l’auteur d’un acte administratif fait partie des moyens d’ordre public que le juge peut, voire, doit soulever d’office, comme le souligne la formule rituellement employée par le Conseil d’Etat dans ce genre de circonstance pour le marquer, « sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de la requête » (ex. : CE, 9 juin 1978, n° 02403 ; CE, 8 févr. 1999, n° 185749). On ne comprendrait pas que le juge judiciaire, dès lors qu’il a pour mission, depuis le 1er janvier 2013, de statuer sur la légalité formelle des décisions d’admission en soins à la place du juge administratif, fasse moins que son prédécesseur. Il faut donc interpréter ces deux décisions du 5 mars 2020 comme signifiant, en réalité, que le JLD n’est pas en principe tenu de relever d’office un moyen pris de l’irrégularité de la procédure d’admission en soins psychiatriques sans consentement, sauf s’agissant des moyens les plus importants, dits d’ordre public, pour lesquels la Cour de cassation estimerait (dans le futur, de telles décisions de la Cour de cassation n’étant pas encore advenues à ce jour) qu’il devra en être autrement. CQFD…
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen