Soins psychiatriques sans consentement : qui apprécie l’atteinte aux droits du malade ?

12.10.2022

Droit public

Encourt la cassation l’ordonnance du premier président qui, prononçant la mainlevée d’une mesure de soins sans consentement, ne caractérise pas concrètement l’atteinte aux droits de la personne requise par l’article L. 3216-1 du code de la santé publique pour prononcer une telle mainlevée.

L’atteinte aux droits de la personne faisant l’objet d’une mesure de soins psychiatriques est-elle une question de droit relevant du contrôle de la Cour de cassation ? Ainsi peut être résumée la question soulevée par un arrêt de la première chambre civile du 14 septembre 2022. Celui-ci intervient à la suite d’une série d’autres ayant soulevé le problème suivant :  qui apprécie, et sur la base de quels critères, si une irrégularité est de nature à justifier la mainlevée d’une mesure de soins ? En effet, l’article L. 3216-1 du code de la santé publique prévoit que le juge, lorsqu’il constate une illégalité dans le cadre d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement, ne peut prononcer la mainlevée que si celle-ci a porté « atteinte aux droits » de la personne faisant l’objet de la mesure.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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En l’espèce, les faits étaient relativement simples : une personne avait fait l’objet d’une mesure de soins psychiatriques pour péril imminent sur le fondement de l’article L. 3212-1, II, 2°du code de la santé publique. Dans ce cas, ce texte prévoit que le directeur d’établissement doit, dans les 24h suivant le début de la mesure, s’efforcer de contacter « la famille de la personne qui fait l'objet de soins et, le cas échéant, la personne chargée de la protection juridique de l'intéressé ou, à défaut, toute personne justifiant de l'existence de relations avec la personne malade antérieures à l'admission en soins et lui donnant qualité pour agir dans l'intérêt de celle-ci » afin de les informer de la mesure qui a été prise à son égard. Saisis du contrôle de légalité de la mesure de soins, le juge des libertés et de la détention (JLD) puis, en cause d’appel, le premier président de la cour d’appel d’Aix en Provence prononçaient la mainlevée de celle-ci. Le premier président motivait sa décision par le fait que la fiche de recherche des personnes de l'entourage produite par l'établissement hospitalier ne permettait pas de vérifier la réalité des démarches et les informations dont celui-ci disposait. En d’autres termes, selon le premier président, l’établissement d’accueil ne produisait pas la preuve d’un accomplissement correct de son obligation de prévenir les proches. La Cour de cassation, le 14 septembre 2022, a censuré cet arrêt en reprochant au premier président de n’avoir pas respecté l’article L. 3216-1 en ce que sa décision n’aurait pas « caractéris[é] une atteinte concrète aux droits de » la personne ayant fait l’objet de la mesure de soins.

Préserver de la mainlevée les mesures affectées d’une irrégularité mineure

Cet arrêt paraît anecdotique mais s’inscrit en fait au cœur d’une question complexe introduite par la loi du 5 juillet 2011. Celle-ci a introduit, par l’article L. 3216-1 du code de la santé publique, un contrôle judiciaire obligatoire par le JLD offrant à ce dernier des pouvoirs étendus pour prononcer la mainlevée d’une mesure irrégulière, s’agissant d’une illégalité interne (opportunité de la mesure) ou externe (formes, procédure, etc.). Néanmoins, pour éviter que n’importe quelle irrégularité, même mineure, entraîne une suppression d’une mesure de soins qui semblerait nécessaire au fond, le législateur a introduit dans le même mouvement, au sein de l’article L. 3216-1, une restriction qui exige, pour que la mainlevée puisse être prononcée par le JLD, que l’illégalité ait porté « atteinte aux droits » de la personne. Cette formule s’inspire directement du principe bien connu en droit judiciaire privé « Pas de nullité sans grief »(connu également en procédure pénale qui le déploie à sa façon) selon laquelle, pour obtenir la nullité d’un acte de procédure, il ne suffit pas de démontrer une irrégularité de celui-ci. Il faut également démontrer en quoi cette irrégularité a porté atteinte aux intérêts du demandeur à la nullité.

Cette règle issue de la loi de 2016 peut également trouver une forme d’appui dans le contentieux administratif, rapprochement d’autant plus pertinent que le JLD a, depuis que la loi de 2011 lui a confié la tâche de contrôler la légalité externe de la décision d’admission en soins, une forme de mission s’apparentant à celle du juge administratif. Or, en contentieux administratif, le tribunal administratif ne prononce pas l’annulation de toute décision administrative entachée d’une illégalité mais seulement lorsque l’irrégularité découverte peut être qualifiée de substantielle.

Bref, quelle que soit l’inspiration exacte de cette exigence de cette condition d’atteinte aux droits pour prononcer la mainlevée, on comprend qu’il s’agit de favoriser la pérennité des mesures de soins qui seraient médicalement nécessaires mais entachées d’irrégularités mineures. Ce souci peut tout à fait s’entendre, surtout quand on sait que, dans une procédure d’admission en soins psychiatriques sans consentement, plus d’une centaine de variétés d’erreurs de forme et de procédure peuvent être commises. Ce qui se comprendra moins, en revanche, est l’incertitude dans laquelle les justiciables et les juridictions du fond sont plongées concernant la délimitation et la mise en œuvre de cette notion. En effet, sur ce sujet on ne peut pas dire que la jurisprudence de la Cour de cassation soit au rendez-vous de la clarté et de la qualité.

Qu’est-ce qu’une atteinte aux droits d’une personne psychiatrisée ?

D’abord, la Cour de cassation n’a jamais, jusqu’ici, produit d’effort notable pour tenter de préciser la substance de cette notion. On ressent plutôt, à l’inverse, la fâcheuse impression qu’elle navigue à vue voire qu’elle s’accommode fort bien d’un flou qu’elle laisserait délibérément subsister afin de pouvoir, à son gré, distribuer ou refuser des brevets de bonne pratique aux juridictions du fond. Un exemple illustrera notamment le malaise que l’on peut ressentir. Un avis du 11 juillet 2016 (Cass. avis, 11 juill. 2016, no 16008P) indiquait qu’une décision d’admission en soins ne peut être rétroactive : la prise de décision administrative prononçant l’admission juridique en soins d’une personne doit être concomitante à son admission physique, la Cour de cassation ayant admis la possibilité tout au plus d’un léger décalage en vue de l’établissement de l’acte écrit constatant la décision, décalage qui, précisait-elle, « ne saurait excéder quelques heures ». On croyait pouvoir déduire de cet avis que tout retard excédant ces « quelques heures » devait entraîner systématiquement la mainlevée de toute mesure de soins. Par la suite, croyant appliquer correctement cet avis, un premier président prononçait la mainlevée d’une mesure de soins pour laquelle l’acte avait été pris le surlendemain de l’admission physique du malade. De manière inattendue, la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 juillet 2018, censurait pourtant cette décision (Cass. 1re civ., 4 juill. 2018, n° 17-20.800) en affirmant que, en prononçant la mainlevée, « sans rechercher, comme il le lui incombait, si l'irrégularité résultant de la formalisation tardive de la décision d'admission en soins psychiatriques sans consentement, prise par le directeur de l'établissement, avait porté une atteinte aux droits de [la personne], le premier président a privé sa décision de base légale ». En somme, la Cour de cassation ne renverse pas la règle mais considère que sa violation ne doit entrainer la mainlevée de la mesure de soins que si le malade démontre que cela a porté atteinte à ses droits. On demeure alors plus que perplexe.

D’une part, l’absence de prise de l’acte administratif par le directeur d’établissement dans les délais requis de ces « quelques heures » ne caractérise-t-elle pas en soi une telle atteinte aux droits de la personne ? Un citoyen, dans une démocratie libérale fondée sur l’état de droit, n’a-t-il pas un droit à ce qu’un acte administratif qui le prive de liberté soit établi en temps nécessaire par l’autorité compétente ? En somme, toute mesure de privation de liberté qui ne s’accompagne pas d’une décision prise correctement par la personne compétente pour acter cette privation de liberté nous semble constituer une atteinte patente aux droits fondamentaux d’un individu. La Cour de cassation semble néanmoins considérer le contraire.

D’autre part, on ne voit pas quelle autre « atteinte aux droits » de la personne que celle qui résulte simplement de ce caractère tardif de la prise de l’acte administratif pourrait en pratique être invoquée pour justifier la mainlevée. En somme, l’arrêt du 4 juillet 2018 retire à l’avis du 11 juillet 2016 une large part voire la quasi-totalité de son effectivité.

Pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ou non ?

Ensuite, et c’est sur ce point que l’arrêt du 14 septembre 2022 interroge encore plus, il faut se demander qui est fondé à contrôler l’existence d’une telle « atteinte aux droits » de la personne. Les juges du fond comme la Cour de cassation ? Ou seulement les premiers au titre d’un pouvoir souverain d’appréciation ? Dans les premières occurrences de cette question devant elle, la Cour de cassation avait semblé exercer un contrôle s’ajoutant à celui des juges du fond (Cass. 1re civ., 18 juin 2014, no 13-16.363 ; Cass. 1re civ., 28 mai 2015, no 14-14.604 ; Cass. 1re civ., 4 juill. 2018, n° 17-20.800). Cependant, depuis deux ans, la Cour de cassation répétait, dans des décisions ayant validé des ordonnances de refus de mainlevée de mesures de soins, que le premier président a « souverainement » apprécié que l’irrégularité soulevée par le demandeur au pourvoi ne portait pas atteinte aux droits de la personne (Cass. 1re civ., 15 oct. 2020, no 20-15.691Cass. 1re civ., 10 févr. 2021, no 19-25.224Cass. 1re civ., 3 mars 2021, no 19-23.581). En somme, la Cour de cassation semblait ainsi considérer que l’existence ou non d’une telle « atteinte aux droits » d’une personne relèverait de la seule appréciation souveraine des juges du premier et du second degré, en application de l’article L. 411-2, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire prévoyant que « la Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires ». Et voilà, à présent, que la Cour de cassation reviendrait en arrière puisqu’elle semble maintenant exercer à nouveau un contrôle sur ce point. L’on notera d’ailleurs que la cassation n’est pas prononcée, contrairement à l’arrêt du 4 juillet 2018, pour manque de base légale mais bien pour violation de la loi. En d’autres termes, la caractérisation de l’atteinte aux droits serait bel et bien une question de droit qu’il appartiendrait à la Cour de cassation de contrôler.

Bref, que penser de tout cela ? Cela est difficile à dire car on n’y comprend plus grand chose. On relèvera néanmoins une étrange coïncidence. Lorsqu’on examine en détail les affaires ayant soulevé cette question arrivées à la connaissance de la Cour de cassation, on observe que les décisions renvoyant explicitement au pouvoir souverain des juges du fond concernent exclusivement des cas dans lesquels ces derniers n’avaient pas retenu d’atteinte aux droits de la personne. En revanche, lorsqu’ils étaient parvenus à une conclusion contraire, la Cour de cassation semble en ces cas retrouver comme par magie son pouvoir d’appréciation afin de pouvoir renverser celle des juges du fond. A la fin, ne s’agirait-il donc pas pour la Cour de cassation, plus prosaïquement, d’essayer de sauver un maximum de mesures de soins psychiatriques sans consentement, fussent-elles marquées par des illégalités, en changeant son fusil d’épaule en fonction du résultat auquel elle voudrait parvenir ? L’explication ne serait pas glorieuse mais elle aurait au moins le mérite de la lisibilité, au détriment néanmoins de l’orthodoxie du raisonnement juridique. En tous cas, si la première chambre civile de la Cour de cassation veut obvier à la survenance de ce genre de lecture quelque peu paranoïaque de sa jurisprudence, il serait temps qu’elle s’efforce de l’élaborer de manière plus claire et cohérente.

Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
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