Le Conseil d'Etat estime que le régime dérogatoire de levée des soins psychiatriques applicable aux personnes ayant commis des faits infractionnels graves aboutissant à un classement sans suite pour cause de trouble mental sur le fondement de l'article 122-1 du code pénal ne soulève pas de question sérieuse de constitutionnalité.
Le Conseil d’Etat refuse de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC soulevée par une association de lutte contre les abus de la psychiatrie à l’encontre de l’article L. 3213-7 du code de la santé publique. L’association requérante, le Cercle de réflexion et de proposition d’action sur la psychiatrie (CRPA), considère notamment que ce dispositif porte atteinte à la protection de la santé garantie par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, à l’article 66 de la Constitution et aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 garantissant la liberté d’aller et venir et le respect de la vie privée. Pour fonder cette allégation, le CRPA s’est appuyé sur deux arguments.
La décision d’un représentant du ministère public justifie le régime dérogatoire de levée des soins
Quant au premier argument, le CRPA reproche à l’article L. 3213-7 de soumettre à un régime dérogatoire de levée des soins les personnes admises en soins psychiatriques par le préfet conséquemment à un classement sans suite du fait d’une irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Ce régime, applicable dès lors que les faits sont susceptibles de recevoir une qualification pénale faisant encourir 5 ans d’emprisonnement au moins en cas d’atteinte aux personnes et 10 ans en cas d’atteinte aux biens, concerne également les autres personnes faisant l’objet de soins après décision d’une juridiction répressive d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Il vise notamment à complexifier la levée des soins puisque toute décision prise à cette fin par le préfet ou le juge des libertés et de la détention (JLD) doit être précédée de l’avis du collège pluridisciplinaire prévu à l’article L. 3211-9 du code de la santé publique ainsi qu’à une double expertise psychiatrique. C’est le même régime qui est applicable aux personnes faisant l’objet d’une décision d’admission en soins par une juridiction répressive en cas d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental sur le fondement de l’article 706-135 du code de procédure pénale. On présente généralement ce régime comme celui des malades dangereux.
Plus exactement, le CRPA reproche à ce texte de prévoir que ses dispositions s’appliquent aux personnes ayant fait l’objet d’une telle décision de classement sans suite alors même que cette dernière n’est pas prise à l’issue d’une procédure contradictoire. Le CRPA soulève ici une critique du même ordre de celle qu’il avait efficacement produite dans une précédente QPC contre la loi du 5 juillet 2011 qui, dans sa version d’origine, soumettait également à la même procédure dérogatoire de levée des soins les personnes ayant préalablement séjourné dans une unité pour malades difficiles (UMD). Or, dans le cadre de cette précédente QPC, non seulement le Conseil d’Etat avait estimé que cette spécificité de la loi soulevait une question sérieuse de constitutionnalité (CE, 8 févr. 2012, n°s 352667 et
352668 ) et renvoyé au Conseil constitutionnel, mais de surcroît ce dernier avait ensuite abrogé ce point de la loi en estimant que cette admission en UMD, en tant qu’elle est décidée par une autorité administrative (le préfet), entraînait l’application de ce régime plus contraignant de levée des soins « sans garanties légales suffisantes » (Cons. const., 20 avril 2012, n° 2012-235 QPC).
L’argument présenté dans le cadre de cette nouvelle procédure par l’association requérante dans ce nouveau cas n’a cependant pas produit les mêmes effets, sans que le Conseil d’Etat en donne d’ailleurs d’explication très claire et très convaincante. Celui-ci estime que la critique soulevée par le CRPA ne peut justifier un renvoi au Conseil constitutionnel en raison de l’existence « des garanties qui accompagnent la procédure de placement en soins sans consentement d’une personne qui a bénéficié, sur le fondement du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal, d’un classement sans suite. » Certes, on ne peut nier que la mesure de soins dont la personne bénéficiant d’un classement sans suite soit entourée de « garanties », notamment en termes de contrôle juridictionnel de la mesure de soins par le JLD, mais cela était tout aussi vrai pour les malades admis en UMD prévus dans la version de la loi pourtant abrogée par le Conseil constitutionnel en 2012. Quelles seraient alors les « garanties » dont les personnes faisant l’objet d’un classement sans suite bénéficieraient et dont ne bénéficiaient pas les malades admis en UMD ? En somme, pourquoi les seconds devaient, du fait des exigences constitutionnelles, être exclus du régime dérogatoire et non les premiers ? On peine à le comprendre.
Peut-être pourra-t-on rechercher une autre explication à cette décision un peu énigmatique du Conseil d’Etat du côté de ce que, selon cette juridiction, la situation des irresponsables pénaux bénéficiant d’un classement sans suite ne serait pas comparable à celle des personnes précédemment admises en UMD du fait de la nature de l’auteur de la décision générant la soumission au régime dérogatoire. Si les malades admis en UMD doivent leur situation à une décision administrative du préfet, le Conseil d’Etat souligne, dans sa décision de 2019, que les personnes bénéficiant d’un classement sans suite sont amenées dans cette condition par « l’autorité judiciaire » puisque c’est le procureur de la République qui prend cette décision de classement sans suite. L’argument n’emporte cependant pas totalement la conviction non plus. D’une part, que la décision initiale générant la soumission au régime dérogatoire provienne du préfet ou du procureur, celle-ci est prise par un homme seul dans l’intimité de son bureau et sans avoir à entendre au préalable les parties et notamment la personne concernée ou son défenseur. D’autre part, le fait même que le ministère public soit à considérer comme faisant partie de « l’autorité judiciaire » est discutable. Certes, la rédaction de l’article L. 3213-7 postule implicitement ce rattachement mais on sait que la CEDH ne partage pas cette vision (CEDH, 29 mars 2010, Medvedyev et autres c/ France, n° 3394/03) et que la Cour de cassation elle-même a, sur des contentieux de validité de la procédure pénale, rendu des solutions faisant application de la même position (Cass. crim., 15 déc. 2010, n° 10-83674).
Une information de la personne qui n’est due que dans la mesure où son état le permet
En second lieu, le CRPA reproche à l’article L. 3213-7 de ne prévoir l’information de la personne concernée par l’avis transmis au préfet par l’autorité judiciaire quant à la décision de déclaration d’irresponsabilité pénale ou de classement sans suite pour cause de trouble mental que « si l’état de la personne […] le permet » et « par tout moyen et de manière appropriée à son état ». Il s’agit là encore d’une suite de la décision du Conseil constitutionnel de 2012 qui avait partiellement abrogé la loi de 2011 parce que celle-ci, dans sa version initiale, prévoyait la transmission de cet avis sans assurer aucune information de la personne concernée. Le législateur en avait tenu compte par la loi du 27 septembre 2013 en introduisant la version actuellement en vigueur. Dans sa décision récente, le Conseil d’Etat repousse alors les critiques énoncées par le CRPA à l’encontre de cette nouvelle version en considérant que ces dispositions permettent d’adapter les modalités de l’information de la personne pour des raisons objectives tenant à son état et à seule fin de garantir, autant qu’il est possible, le respect effectif de ses droits en donnant un effet utile à l’information qui lui est transmise. Ce point n’attire pas particulièrement de commentaires. Il est, en effet, prévu de manière globale dans le code de la santé publique que, si l’information de la personne sur sa situation juridique lui est due par principe, cette information s’impose nécessairement en tenant compte de son état de compréhension. On ne saurait, en effet, reprocher à l’autorité publique de ne pas adresser une information à une personne qui n’est pas en mesure de la recevoir.
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen