Une cour d'appel décide que la défense d'un patient n'est pas autorisée à présenter pour la première fois en cause d'appel des arguments relatifs à la légalité formelle de la procédure d'admission en soins psychiatriques. La cour considère que de tels arguments constituent une exception de procédure au sens de l'article 112 du code de procédure civile et qu'ils ne peuvent donc pas être présentés après une défense au fond.
Une affaire assez particulière a donné lieu, devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, à une décision du 28 août 2019, illustrant une erreur patente en matière de contrôle judiciaire des soins psychiatriques sans consentement.
Un fonctionnaire de l’administration préfectorale des Alpes Maritimes, apparemment en conflit avec son chef de service, dépose une plainte pour harcèlement contre celui-ci. Dans le même temps, un autre agent de l’administration préfectorale dépose également plainte pour harcèlement contre le fonctionnaire auteur de la plainte initiale. Ce dernier est alors convoqué par le procureur de la République qui, à l’occasion de son audition, le soumet à un examen psychiatrique mené par un psychiatre du centre hospitalier d’Antibes. Ce dernier, considérant que ce fonctionnaire souffre de troubles mentaux « manifestes abolissant son discernement et le contrôle de ses actes, nécessitant son internement, et des soins spécialisés en milieu psychiatrique », propose son admission en soins psychiatriques sans consentement. Informé de cette expertise, le préfet prend sur la base de celle-ci un arrêté d’admission au même centre hospitalier d’Antibes. Durant la période d’observation, les certificats de 24 h et 72 h estiment que le maintien en soins est nécessaire, considérant notamment que le vécu de persécution professionnelle évoqué par le fonctionnaire relève du délire paranoïde. Le préfet confirme alors la mesure en ordonnant que celle-ci se déroule sous forme d’une hospitalisation complète.
A l’occasion du contrôle judiciaire obligatoire à 12 jours, la défense du fonctionnaire admis en soins conteste le bien-fondé de celle-ci en produisant divers éléments et notamment un certificat émanant d’un autre psychiatre l’ayant examiné à sa demande. Ce psychiatre, sans nier la réalité des pensées de persécutions et des ruminations qu’elles impliquent chez le fonctionnaire, conteste le diagnostic de délire paranoïde. Le juge des libertés et de la détention (JLD) prononce une mainlevée des soins en considérant essentiellement que le trouble à l’ordre public et le danger pour la sûreté des personnes n’est pas suffisamment caractérisés et que le mal-être du fonctionnaire peut être traité en dehors d’une hospitalisation.
Le parquet, initiateur de la mesure de placement, relève appel de cette décision. Le cas est alors discuté devant le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. La défense du fonctionnaire soulève, outre les éléments mentionnés en première instance ayant abouti à la mainlevée, divers arguments et notamment celui selon lequel le certificat initial établi pour l’admission ne remplit pas les conditions légales requises puisqu’il émane d’un médecin exerçant au sein du même centre hospitalier que celui dans lequel le fonctionnaire est ensuite admis. En effet, l’article L. 3213-1 du code de la santé publique prévoit que ce document « ne [peut] émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement d'accueil ».
Le premier président infirme cependant la décision du JLD et prononce le maintien des soins du fonctionnaire en considérant que les éléments médicaux issus de la procédure d’admission caractérisent les troubles mentaux ainsi que la nécessité d’un maintien en soins. Quant à l’argument relatif à l’illégalité de la mesure de soins pour cause de défaut de qualité du médecin rédacteur du certificat médical circonstancié, le premier président considère qu’il ne peut être examiné. Pour justifier cette position, la décision commence par souligner que la procédure de contrôle judiciaire des soins psychiatriques est soumise au code de procédure civile. Or, ajoute-t-elle, l’article 112 de ce code prévoit que « la nullité des actes de procédure peut être invoquée au fur et à mesure de leur accomplissement ; mais elle est couverte si celui qui l'invoque a, postérieurement à l'acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever la nullité. » La décision, considérant que cette « exception de procédure » relative à l’incompétence du médecin certificateur n’a pas été développée in limine litis dès la première instance et avant toute défense au fond, estime donc qu’elle ne peut pas l’être pour la première fois à hauteur d’appel. Cette ordonnance, tout à fait intéressante, soulève deux séries de commentaires.
Le préfet en situation de conflit d’intérêts
Les premiers, qui ne relèveront que des constatations, visent à souligner le problème fondamental que pose ce cas : peut-on être en même temps, en tant que préfet, le supérieur hiérarchique d’un fonctionnaire et l’auteur d’une décision privative de liberté relative à son admission en soins sans consentement, a fortiori s’agissant d’un trouble à l’ordre public (supposé) qui se serait manifesté dans un contexte professionnel placé sous la responsabilité et la direction de ce supérieur hiérarchique ? Au plan de la stricte légalité, rien n’y fait formellement obstacle dans le code de la santé publique. Mais cette situation tout à fait particulière met en évidence un réel conflit d’intérêts, notamment si l’on tient compte de ce que le fonctionnaire soulève, pour sa défense dans le cadre de la procédure judiciaire de contrôle de légalité des soins, que le préfet a été circonvenu par le chef de service que ce fonctionnaire est accusé de harcèlement dans sa propre plainte à l’origine de l’affaire. Quelle que soit la réalité exacte de cette situation et de ces allégations, cette affaire met dans tous les cas en évidence la nécessité de rediscuter du caractère administratif des décisions d’admission en soins et de la pertinence, comme cela est le cas dans beaucoup de systèmes juridiques étrangers, de confier d’emblée la décision d’admission en soins au juge judiciaire.
Ne pas confondre procédure administrative d’admission en soins et procédure judiciaire de contrôle de la légalité des soins
Les seconds commentaires relèvent de la franche critique. Il est tout à fait regrettable que le premier président de la cour d’appel ait refusé d’examiner l’argument de l’incompétence du psychiatre auteur du certificat initial pour l’admission en soins au motif qu’il s’agirait là d’une « exception de procédure » qui ne saurait être développée pour la première fois en cause d’appel. En effet, cette interprétation des textes et de la situation juridique est absolument fausse. L’article 112 du code de procédure civile ne concerne que les exceptions relatives à la procédure judiciaire de contrôle de légalité des soins psychiatriques elle-même, et non les problèmes relatifs à la légalité de la procédure administrative d’admission en soins. En somme, tout argument portant sur la légalité de la procédure d’admission en soins, même concernant un problème de respect de la légalité formelle de cette procédure, est une défense au fond au sens de l’article 71 du code de procédure civile et non une exception de procédure au sens de l’article 73 du même code. Il peut donc être soulevé pour la première fois à n’importe quel niveau de la procédure judiciaire, en première comme en seconde instance (
CA Versailles, 24 mai 2019, n° 19/03477). Cette position s’étaye sur un arrêt de la Cour de cassation prévoyant qu’il est possible de soulever, même pour la première fois en cause d’appel, des arguments visant à faire déclarer l’irrégularité de la mesure de soins qui n’auraient pas été soulevés en 1
re instance (
Cass. 1re civ., 22 nov. 2018, no 18-14.642). Un pourvoi est en cours contre cette décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et celle-ci devrait donc, si la jurisprudence est cohérente, faire l’objet d’une annulation par la Cour de cassation.
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen