Soins psychiatriques sur décision du préfet : l'État n'est plus responsable des fautes commises par l'établissement d'accueil

28.08.2017

Droit public

Selon le TGI de Paris, si l'État doit indemnisation pour la privation de liberté d'une personne ayant fait l'objet d'une mesure de soins psychiatriques sans consentement sur décision du préfet ultérieurement annulée, il ne peut être tenu pour responsable des éventuelles fautes de l'établissement d'accueil commises dans la mise en oeuvre de cette mesure. Cette solution entre en contradiction avec sa jurisprudence antérieure.

Le TGI de Paris a statué en juin dernier sur une demande d’indemnisation d’une personne ayant fait l’objet en avril 2001 d’une procédure d’internement psychiatrique (dite, à l’époque, hospitalisation d’office) en urgence par arrêté municipal, confirmée ensuite par arrêté du préfet. Cette mesure, accomplie dans plusieurs établissements successifs, faisait l’objet d’une levée par décision d’un juge des libertés et de la détention en septembre 2012. Parallèlement à cette procédure judiciaire, les juridictions administratives (alors encore compétentes pour cela) étaient saisies pour statuer sur la régularité formelle de la mesure et, en janvier 2014, la cour administrative d’appel de Lyon avait prononcé la nullité des décisions initiales d’admission en soins du maire et du préfet (identité des signataires des arrêtés manquante pour l’une et illisible pour l’autre). Suite à cette remise en cause de la mesure, le tribunal de grande instance était saisi, sur le fondement de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique, pour statuer sur diverses demandes indemnitaires de la part de la personne internée.
Responsabilité de l’État et de la commune pour la privation de liberté résultant de la mesure
Le TGI de Paris commence par répondre favorablement à la demande d���indemnisation pour la privation de liberté résultant de la mise en œuvre d’une mesure illégalement prononcée. Il alloue alors à la personne, sur ce chef d’indemnisation, une très importante somme de 300 000 €, mise à la charge de la commune dont le maire avait pris l’arrêté provisoire à hauteur de 1000 € et de l’État pour les 299 000 € restants. Pour justifier ce montant, le TGI considère la durée exceptionnelle de cette mesure (11 ans et 4 mois), renouvelée de nombreuses fois, précisant à ce propos que la nullité des arrêtés initiaux du maire et du préfet entraîne nécessairement l’illégalité des arrêtés ultérieurs prononçant le maintien en soin. Le niveau de cette indemnisation ne constitue pas un record : la même juridiction, en 2016, avait accordé 500 000 € pour une privation de liberté ayant duré 17 ans (TGI Paris, 21 nov. 2016, n° 15/13139). Il se situe cependant parmi les plus élevés déjà atteints.
Responsabilité du seul établissement d’accueil pour les conditions de mise en œuvre de la mesure
En revanche, d’autres aspects du jugement attirent plus de remarques. Le TGI de Paris était également saisi de demandes d’indemnisation sur d’autres fondements. Était notamment recherchée une indemnisation pour les traitements médicamenteux administrés à la personne par la contrainte, ainsi que pour des « mesures inhumaines » qui lui auraient été infligées. On notera que cette personne avait subi une partie importante de la mesure de soins au sein du Centre psychothérapique de l’Ain, établissement dont les méthodes ont été vivement critiquées dans ses travaux par le contrôleur général des lieux de privation de liberté en 2016. Étaient également reprochés des défauts de notification des arrêtés préfectoraux de placement ou de maintien en soins. Dans un cas comme dans l’autre, le TGI considère que de tels faits ne relèvent de la responsabilité ni de l’État ni de la commune mais de l’établissement d’accueil parce que lui seul avait le choix des traitements à mettre en œuvre et que c’est à lui que revenait de porter les arrêtés préfectoraux à la connaissance de la personne. 
La Cour de cassation, en 2012, avait pourtant considéré qu’un établissement hospitalier exécutant une mesure d’hospitalisation d’office déclarée illégale ne peut être tenu pour responsable car il est « étranger aux décisions annulées » (Cass. 1e civ., 19 déc. 2012, n° 11-22.485), mais dans cet arrêt la question de la responsabilité ne portait que sur le principe même de la mesure de soins et de l’atteinte à la liberté en résultant. Dans la présente affaire, ce point n’est pas remis en cause par le TGI de Paris qui exclue la responsabilité de l’État en pointant celle de l’établissement sur le seul volet des conditions de mise en œuvre de la mesure de soins. Or, sur ce point précis, la Cour de cassation ne s’est pas prononcée pour le moment. Pour sa part, le Conseil d’État avait souligné que le défaut de notification d’un arrêté préfectoral en matière d’internement psychiatrique est une faute engageant la responsabilité de l’État (CE, 22 oct. 1986, n° 35666).
Revirement de jurisprudence ou décision d’espèce ?
De leur côté, les juridictions du fond, à commencer par le TGI de Paris lui-même, mettaient plutôt jusqu’ici à la charge de l’État tous les postes d’indemnisation, y inclus les préjudices résultant des traitements médicaux reçus par la contrainte et des défauts de notification des décisions administratives (ex. : TGI Paris, 21 nov. 2016, préc.). D’autres décisions avaient parfois condamné in solidum l’autorité administrative ayant pris la décision d’internement et l’établissement l’ayant incorrectement mise en œuvre (ex. : TGI Paris, 8 févr. 2012, n° 11/01631 : condamnation, pour le défaut de notification des décisions administratives, de la commune ayant pris l’arrêté provisoire d’internement, de l’État et de l’établissement d’accueil). Il semblerait que ce soit la première fois que soit fermement exclue la responsabilité de l’État. Malheureusement, faute d’une motivation suffisante dans cette décision, on se perd en conjectures quant à la logique conduisant à une telle solution. Dès lors, quelle portée conférer à cette décision : le TGI de Paris a-t-il seulement voulu dédouaner l’État des errements d’établissements spécifiques aux méthodes et à l’organisation publiquement et sévèrement mis en cause en les renvoyant face à leurs erreurs, ou a-t-il réellement inauguré une nouvelle position jurisprudentielle ?

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

Découvrir tous les contenus liés
Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
Vous aimerez aussi

Nos engagements