Suspension de l'arrêté autorisant la surveillance de la frontière franco-espagnole par drone

31.08.2023

Droit public

Pour le Conseil d'État, l'administration ne justifie pas, « sur la base d'une appréciation précise et concrète de la nécessité de la proportionnalité de la mesure », de l'impossibilité d'employer des moyens moins intrusifs au regard de la vie privée que la surveillance par drone pour lutter contre le franchissement irrégulier des frontières.

Par une ordonnance du 25 juillet 2023, le juge des référés du Conseil d'État confirme la suspension de l'arrêté du préfet des Pyrénées-Atlantiques du 26 juin 2023 autorisant la captation, l'enregistrement et la transmission d'images aux moyens de caméras installées sur des drones au titre de la surveillance aux frontières, « du 26 juin au 26 juillet 2023 et de 9 heures à 18 heures, sur un périmètre recouvrant une partie de la frontière franco-espagnole et du territoire des communes d'Hendaye, de Biriatou et d'Urrugne ».

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Confirmant l’approche du juge des référés du tribunal administratif de Pau (TA, réf., n° 2301796, 13 juill. 2023), le juge des référés du Conseil d’État considère notamment que « les données produites par l'administration [n’étaient] pas suffisamment circonstanci[ées] pour justifier, sur la base d'une appréciation précise et concrète de la nécessité de la proportionnalité de la mesure, que le service ne [pouvait] employer, pour l'exercice de cette mission [...] d'autres moyens moins intrusifs au regard du respect de la vie privée ».

Rappel du cadre légal d’autorisation de l’utilisation de drones pour la surveillance des frontières

Si elle n’est pas nouvelle, l’utilisation de drones par les forces de l’ordre pour différentes missions a vu son cadre légal clarifié par la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 (dite « sécurité intérieure »).

L’article 15 de ce texte a en effet modifié le code de la sécurité intérieure pour déterminer les conditions d’autorisation pour « procéder à la captation, à l'enregistrement et à la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs aux fins d'assurer » (CSI, art. L. 242-5, I), notamment, « la surveillance des frontières, en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier » (CSI, art. L. 242-5, I, 5e). A cette fin, le code exige cependant (CSI, art. L. 242-4 et L. 242-5, IV) :

  • que la mise en œuvre de ces traitements soit « strictement nécessaire à l'exercice des missions » et « adaptée au regard des circonstances de chaque intervention » ;

  • que l'autorisation de mise en œuvre du traitement soit délivrée par décision écrite et motivée du préfet et résulte d’une demande qui doit notamment préciser la finalité poursuivie, la justification de la nécessité de recourir au dispositif, « permettant notamment d'apprécier la proportionnalité de son usage au regard de la finalité poursuivie », et le périmètre géographique concerné.

Une utilisation de drone conditionnée à l’absence de moyens moins intrusifs

Comme le rappelle le juge des référés du Conseil d’État dans son ordonnance, le Conseil constitutionnel a ensuite, dans une décision du 20 janvier 2022 (Cons. const., 20 janv. 2022, n° 2021-834 DC), encadré ce dispositif en considérant notamment que ces dispositions, « qui ont précisément circonscrit les finalités justifiant le recours à ces dispositifs », supposent : 

  • que l'autorisation requise ne peut être accordée qu'après que le préfet se soit assuré que le service « ne peut employer d'autres moyens moins intrusifs au regard du droit au respect de la vie privée ou que l'utilisation de ces autres moyens serait susceptible d'entraîner des menaces graves pour l'intégrité physique des agents » ;

  • que cette autorisation ne peut être renouvelée « sans qu'il soit établi que le recours à des dispositifs aéroportés demeure le seul moyen d'atteindre la finalité poursuivie ».

Au regard de ces éléments, il revenait donc au juge des référés du Conseil d’État, de s’assurer que le préfet ne pouvait pas mettre en œuvre des moyens moins intrusifs au regard du respect de la vie privée que l’utilisation de drones.

Bataille de chiffres

En l’espèce, il résultait de l’instruction et des échanges lors de l'audience que, si l'autorisation délivrée ne permettait d'utiliser « qu'un seul drone à la fois », son périmètre géographique (qui s’étendait sur le territoire de plusieurs communes) « recouvrait une superficie de près de 20 km2 et comprenait un grand nombre de maisons d'habitation ».

Le ministère de l’intérieur estimait néanmoins que la mesure, et notamment la délimitation de son périmètre géographique, était proportionnée :

  • au regard de la hausse du nombre de franchissements illégaux de la frontière ;

  • du fait qu'il n'existait pas de mesure moins intrusive (notamment en raison de la baisse des effectifs dédiés à la lutte contre l'immigration irrégulière depuis le début de l'année) ;

  • en raison de l’accès difficile d’une partie de la zone (sentiers et chemins pas entièrement carrossables) ;

  • et du fait que les migrants s'éloignent de ces chemins pour échapper aux contrôles.

Ces arguments étaient contestés par les requérants (associations et particuliers), qui produisaient des données recueillies entre mars 2021 et mai 2023 faisant apparaître une baisse des flux et du nombre d’accueil de migrants à Bayonne, et des indications sur les moyens déployés par la police de l'air et des frontières sur la zone concernée jusqu'à la date de l'arrêté contesté, ainsi que sur l'accessibilité des sentiers.

Des éléments non remis en cause par les données extraites du système PAFISA (« programme d’analyse des flux et indicateurs statistiques d’activité » - outil statistique utilisé par la police aux frontières) et les éléments de contexte présentés par le ministre.

Confirmation de l’atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée

Au regard de ces éléments, le juge des référés du Conseil d’État juge donc que les données et éléments produits par l'administration ne sont pas « suffisamment circonstanciés pour justifier, sur la base d'une appréciation précise et concrète de la nécessité de la proportionnalité de la mesure » :

  • que le service ne peut employer, pour l'exercice de cette mission dans cette zone et sur toute l'étendue de son périmètre, d'autres moyens « moins intrusifs au regard du respect de la vie privée » ;

  • ou que l'utilisation de ces autres moyens « serait susceptible d'entraîner des menaces graves pour l'intégrité physique des agents ».

Par conséquent, l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Pau est confirmée en ce qu’elle considérait que l'arrêté contesté portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée.

Remarque : la condition d’urgence est également considérée comme remplie au regard du « nombre de personnes susceptibles de faire l'objet des mesures de surveillance litigieuses » et « aux atteintes qu'elles sont susceptibles de porter au droit au respect de la vie privée ».

Arnaud AUBARET, Dictionnaire permanent droit des étrangers
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