Tarif hébergement en EHPA(D) : dans le maquis du contentieux

15.11.2016

Droit public

Les juridictions de la tarification sanitaire et sociale ne sont pas compétentes pour connaître des décisions des préfets de département (ou des présidents de conseil départemental) autorisant des dérogations au pourcentage maximum d'évolution du tarif hébergement des EHPA(D) non habilités (ou partiellement) à l'aide sociale, fixé chaque année par le gouvernement.

Dans un arrêt du 27 octobre 2016, le Conseil d’État interprète strictement l’étendue de la compétence des juridictions spécialisées de la tarification sanitaire et sociale. Ce, dans le cadre d’un recours mené contre un arrêté préfectoral pris en 2011 autorisant un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) partiellement habilité à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale à augmenter ses tarifs hébergement.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Encadrement des tarifs hébergement

Historiquement, les prix des prestations d’hébergement des EHPA(D) étaient fixés par le président du conseil général pour les établissements habilités à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale à travers les arrêtés de tarification fixant le prix de journée hébergement. Pour les établissements non habilités, les prix étaient fixés librement entre le gestionnaire et le résident ou son représentant légal dans le cadre du contrat écrit les liant.

Remarque : ceci vaut à une nuance près. Pour les établissements conventionnés au titre de l'aide personnalisée au logement (APL) et non habilités à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale, le prix n’est libre qu’en ce qui concerne les prestations exclues du calcul de la part de la redevance assimilable au loyer et aux charges locatives récupérables conformément aux conventions mentionnées à l'article L. 353-2 du code de la construction et de l'habitation (CASF, art. L. 342-1, 3°).

Dans ce second cas de figure, le prix était libre la première année d’exécution du contrat et son évolution encadrée chaque année par arrêté du ministre de l’économie et des finances fixant le pourcentage maximum de hausse compte tenu de l'évolution des coûts de la construction, des produits alimentaires et des services. Pour déroger à ce pourcentage, le gestionnaire devait demander une autorisation au préfet de département. Ce dernier pouvait fixer un pourcentage supérieur en cas d'augmentation importante des coûts d'exploitation résultant d'amélioration de prestations existantes ou de la modification des conditions de gestion ou d'exploitation (CASF, art. L. 342-1 et s.).

Avec la libéralisation des prix de journée hébergement dans les EHPA(D) habilités à l’aide sociale entamée progressivement avec la loi du 2 janvier 2002, puis avec l’ordonnance du 1er décembre 2005 et, enfin, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, la coexistence de deux types de prix de prestation hébergement (prix administré et prix libre) a été introduite au sein même de ces structures.

EHPAD partiellement habilité à l’aide sociale

Ainsi, l’affaire jugée le 27 octobre dernier par le Conseil d’État concernait un établissement partiellement habilité à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale et n’accueillant pas à titre principal de tels bénéficiaires. La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale a prévu que le tarif hébergement fixé alors par le président du conseil général (désormais président du conseil départemental) ne vaut que pour la partie habilitée. Pour la partie non habilitée, les prix sont fixés librement par contrat puis leur hausse encadrée dans les conditions présentées ci-dessus (CASF, art. L. 342-1, 2°).

Saisi par le gestionnaire, le préfet de la Dordogne a autorisé en août 2011 l’EHPAD "Sainte-Marthe" à La Tour Blanche à revaloriser ses tarifs de 33 % sur trois ans. L’arrêté fut contesté par la fille d’une résidente qui demanda au Tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale (TITSS) de Bordeaux de l’annuler. L’arrêté indiquant qu’il pouvait être contesté devant le TITSS de Bordeaux, la fille de la résidente pensait légitimement saisir le bon juge. Le TITSS de Bordeaux la conforta dans ce sentiment puisqu’il annula l’arrêté du préfet. Ce dernier interjeta appel devant la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale (CNTSS) qui annula le jugement du TITSS. La Cour, fort logiquement, considéra que le juge spécialisé de la tarification n’est pas compétent pour connaître de tels litiges. La fille de la résidente se pourvut alors en cassation. En vain.

Compétence du tribunal administratif

Dans son arrêt du 27 octobre, le Conseil d’État valide en effet la position de la CNTSS. Le fait que l’arrêté préfectoral contenait une erreur sur les voies de recours ne saurait influer sur le champ de compétences des juridictions de la tarification sanitaire et sociale tel que déterminé par l’article L. 351-1 du code de l’action sociale et des familles. De même, le fait que le préfet de département ait soulevé cette question de la compétence des juridictions de la tarification pour la première fois en appel ne rendait pas ce moyen irrecevable s’agissant d’une question d’ordre public. Même si personne ne lui demande, le juge est de toute façon tenu de vérifier qu’il est bien compétent pour trancher le litige en question. Enfin, les arrêtés par lesquels le préfet autorise des dérogations au pourcentage de hausse fixé par Bercy ne sont pas des arrêtés de tarification relevant de la compétence spécialisée des TITSS et de la CNTSS. Les recours contre de telles décisions doivent donc être portés devant le tribunal administratif.

La solution dégagée sur la base de la législation antérieure à la loi du 28 décembre 2015 relative à l��adaptation de la société au vieillissement (ASV) n’en demeure pas moins valable. Depuis cette loi, le pourcentage national maximum de hausse n’est plus fixé par le seul ministre de l’économie et des finances mais par arrêté interministériel des ministres chargés des personnes âgées et de l'économie. De même, ce n’est plus le préfet de département qui autorise des dérogations à ce pourcentage mais le président du conseil départemental (CASF, art. L. 342-3 et L. 342-4).

Un contentieux complexe

Enfin, ce que démontre cet arrêt, c’est la complexité des voies de recours pour un même EHPAD ayant à la fois, pour ses prestations d’hébergement, des prix administrés et des prix libres. Ainsi, pour un établissement privé, les arrêtés de tarification du président du conseil départemental peuvent être contestés devant le TITSS. Dans ce même établissement, le prix librement fixé dans le contrat peut être contesté devant le juge judiciaire et, si le président du conseil départemental autorise une hausse supérieure au taux fixé par le gouvernement, sa décision peut être contesté devant le tribunal administratif. Sans parler de l’arrêté interministériel qui, lui-même, peut être contesté devant une juridiction de l’ordre administratif, sans doute le Conseil d’État. On comprendra que les résidents peuvent se perdre dans ce maquis auquel la future loi « de modernisation de la justice du 21e siècle » n’apporte aucune clarification.

 

Arnaud Vinsonneau, Juriste en droit de l'action sociale
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