Télétravail : un cadre spécifique est fixé pour les cabinets comptables

Télétravail : un cadre spécifique est fixé pour les cabinets comptables

26.04.2022

Gestion d'entreprise

Un accord de branche indique les conditions d'éligibilité et les modalités de mise en oeuvre du travail à domicile dans les cabinets qui choisissent d'y recourir. Aucune limite de jours télétravaillés n'est fixée, ni aucune obligation pour l'employeur de rembourser les frais afférents. Des points qui suscitent le mécontentement de syndicats de salariés ayant refusé de signer le texte.

Début avril, l’Ifec et ECF (côté employeurs) et la F3C-CFDT (côté salariés) ont signé un accord de branche qui fixe un cadre aux cabinets d’expertise comptable et de commissariat aux comptes qui souhaitent recourir au télétravail.

Que contient ce texte qui a vocation à s’appliquer à tous les salariés (y compris les alternants) des cabinets ? La définition classique du télétravail figurant dans le code du travail est reprise, à savoir qu'il s'agit d'une "forme d’organisation d’un travail dans lequel un travail qui aurait dû être exécuté dans les locaux de l’entreprise est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et la communication". L'accord précise que le télétravail doit être effectué au domicile du salarié et/ou à une résidence identifiée dans l'accord intervenu entre les parties.

Volontariat réciproque

Les cabinets sont incités à recourir au travail à distance. Il ne s'agit en aucun cas d'une obligation. Le télétravail repose sur un volontariat réciproque des parties. Les salariés éligibles adressent leurs demandes à la direction qui est libre de l’accepter ou non. Néanmoins, tout refus doit être motivé par écrit. L’accord des parties sur le télétravail est formalisé dans un avenant contractuel.

"Au-delà de tout cadre contraignant, nous avions d’abord pour ambition d’inciter les cabinets à recourir au télétravail de manière structurelle en dehors de toute situation conjoncturelle (suite notamment à la crise sanitaire)", explique Dominique Hubert, porte-parole de la délégation patronale et représentant de l'Ifec. "Cela justifie le titre de cet accord : «Accord incitatif au télétravail»". Les modalités fixées par l'accord de branche deviennent, en revanche, obligatoires pour les cabinets qui recourent au télétravail.

Autonomie et connectivité adaptée

Des conditions d’éligibilité sont ainsi posées : le salarié doit disposer d’une autonomie "suffisante" pour exercer son travail à distance, ainsi que d’une ancienneté "suffisante" dans l’entreprise pour garantir "l’instauration réelle de la relation de travail dans l’entreprise". Le cadre posé est donc assez large. Aucune liste de postes télétravaillables n’est établie par exemple. Le critère d’autonomie du salarié reste donc à la discrétion de l’employeur.

De plus, le salarié doit avoir un logement équipé d’une "connectivité adaptée", indique l'accord. Sur ce point, le syndicat de salariés FEC-FO (Fédération des employés et cadres de Force ouvrière) - qui a refusé de signer l'accord - pointe une possible inégalité entre les salariés. "Tout le monde ne dispose pas des mêmes moyens" en terme d’accès à internet, relève Denis Billmann, négociateur de branche. Qui soulève une autre problématique : les fournisseurs d’accès à internet pourraient, selon lui, décider qu'il ne s'agit plus d'un abonnement privé mais d'un abonnement professionnel. "Et le coût n’est pas le même".

Selon Denis Billmann, ces conditions d’éligibilité sont "insuffisantes". "C’est du bas de gamme", assène-t-il. 

Aucune limite de jours télétravaillés, sauf réunions

Aucune fréquence ou limite de jours télétravaillés n’est fixée dans l'accord de branche de début avril. Qui laisse une grande liberté aux cabinets. Les parties doivent seulement indiquer dans l’avenant le nombre de jours (ou demi-jours) télétravaillés ainsi que la répartition de ces jours "qui peut être fixe ou variable, sur la semaine, le mois ou l’année".

Un cabinet comptable peut donc mettre en place autant de jours de télétravail qu’il le souhaite (voir l’exemple de PwC qui autorise le travail à distance à 100% pour certains collaborateurs). Cependant, le texte prévient que les collaborateurs sont tenus de se rendre dans les locaux du cabinet (ou d'autres locaux liés au travail) à la demande de la direction ou des responsables hiérarchiques pour participer à des réunions ou rendez-vous "même si cela intervient un jour normalement télétravaillé".

Un entretien annuel spécifique sur la charge de travail

Sur les modalités de mise en œuvre, l’accord prévoit la possibilité de mettre en place une période d’adaptation d’une durée maximale de deux mois de "pratique effective" du télétravail, au cours de laquelle le salarié et l’employeur peuvent décider ensemble ou unilatéralement de cesser la pratique du travail à distance. Par la suite, l’exercice du télétravail est réversible et il est possible d’y mettre fin en respectant un délai de prévenance d’un mois.

La charge de travail en télétravail doit, quant à elle, être "comparable" au volume de travail effectué dans les locaux de l’entreprise. Les dépassements de temps de travail effectif doivent être décomptés selon les modalités légales. Il est précisé que les conditions d’activité et la charge de travail du collaborateur doivent être discutées "régulièrement et a minima" lors d’un entretien annuel spécifique.

Les plages horaires de télétravail correspondent en principe aux plages horaires habituelles de travail et le salarié organise son temps de travail en respectant les durées minimales de repos et les temps de pause telles que prévues par les dispositions légales ou conventionnelles. De même, le respect des règles sur la déconnexion s’impose également en télétravail.

Pas de client à domicile

Autre précision intéressante, les collaborateurs n'ont pas le droit de recevoir des clients à leur domicile. En cause, la confidentialité des données sur laquelle les salariés doivent être "attentifs", glisse l'accord.

Ainsi, ces derniers "s'engagent à ne pas transmettre toute information sur les données confidentielles à des tiers (...), à respecter les procédures informatiques éventuellement mises en place et à verrouiller l'accès de leur matériel informatique afin de s'assurer qu'ils en soient les seuls utilisateurs". 

Pas d’indemnité de télétravail imposée

Par ailleurs, les partenaires sociaux signataires n’imposent pas le remboursement des frais professionnels liés au télétravail. Il est laissé aux parties le soin de régler la question des dépenses supplémentaires justifiées par l’exercice du télétravail, dans l’avenant au contrat de travail.

Ce point a suscité le mécontentement du syndicat FEC-FO. "Des employeurs ne vont pas payer. Peu de cabinets versent d’office une indemnisation, constate Denis Billmann. Et quand le salarié la demande, on lui dit souvent non". "Le salarié ne doit pas payer pour travailler".

A noter qu'un arrêt de la Cour de cassation du 25 février 1998 précise que "les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent lui être remboursés sans qu'ils ne puissent être imputés sur la rémunération qui lui est due...". La Haute juridiction imposant la prise en charge patronale des frais professionnels sans faire de restriction, on peut en déduire que cette obligation couvre les télétravailleurs. Denis Billmann craint ainsi de futurs contentieux prudhommaux sur l’indemnisation des frais professionnels. 

L’accord précise seulement que c’est à l’entreprise "de fournir et d’entretenir" les équipements nécessaires à l’exercice de l’activité en télétravail. En cas de panne ou de mauvais fonctionnement des équipements, les collaborateurs en informent leur responsable ou la direction. Le négociateur FEC-FO aurait souhaité que l'accord prévoit une indemnisation dans la limite de l'Urssaf (sans précision du montant). "On est passé à côté de quelque chose d’important d’un point de vue économique et social", estime-t-il.

Santé et égalité

Sur le volet santé et sécurité au travail, les accidents survenus sur le lieu du télétravail pendant les plages horaires sont présumés être des accidents du travail, précise le texte. Les salariés en télétravail bénéficient donc de la même couverture maladie, décès et prévoyance que lorsqu’ils travaillent dans l’entreprise. "C'est assez limité. Rien par exemple sur les visites médicales", regrette Denis Billmann.

FEC FO déplore également l'absence de recommandations de l’Anact (agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail) en matière d’égalité professionnelle. Par exemple, la prise en compte de l’égalité hommes-femmes dans les aspects méthodologiques pour préparer l'accord ou suivre sa mise en oeuvre, la conciliation des temps de travail, ou encore le développement des mesures de prévention des violences au travail. "Les transformations liées au télétravail ne sont pas neutres en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, relève l'Anact. L'égalité est pourtant un sujet quasi absent des accords d'entreprises télétravail".

En cours d'extension

Un consensus n'a donc pas pu être trouvé entre tous les partenaire sociaux. Seul un syndicat de salariés sur cinq a signé l'accord. Mais avec plus de 40 % de représentativité au niveau de la branche, la signature de F3C-CFDT est suffisante pour valider le texte.

De son côté, la délégation patronale juge cet accord incitatif "tout à fait équilibré tant pour les salariés que pour les cabinets". Il "nous semble en phase avec l’attractivité que nous souhaitons dans le cadre d’un bon équilibre entre vie privée, vie professionnelle et vie d’engagement", indique Dominique Hubert.

L'accord de branche d'avril est à présent soumis à la procédure classique d’extension. Il est, pour l'instant, applicable uniquement dans les cabinets adhérents à l'Ifec ou ECF qui choisiraient le recours au télétravail. Si l'accord est étendu, il pourra être utilisé par l’ensemble des cabinets comptables. 

Céline Chapuis

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