Un dispositif commun pour les actions de groupe

21.11.2016

Droit public

La loi de modernisation de la justice instaure un socle législatif commun aux actions de groupe, dont celles introduites dans le domaine de la santé.

Le titre V de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle instaure un socle commun aux voies procédurales permettant à une association agréée d’exercer au nom de plusieurs personnes une action en justice.
 
L’action de groupe a fait son entrée dans le droit français avec la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Depuis le 1er octobre 2014, une petite dizaine d’actions ont ainsi été portées devant le juge judiciaire. Les actions collectives introduites en matière de consommation et de concurrence se sont toutefois révélées difficilement transposables à d’autres domaines du droit, dans lesquels le degré d’individualisation du préjudice exige une approche différente.
 
La loi de modernisation de la justice a donc souhaité établir un socle commun aux actions de groupe, destiné à régir tous les types de contentieux pour lesquels le législateur a choisi d’ouvrir une telle action. Le Conseil constitutionnel a estimé que ces dispositions ne méconnaissaient aucune exigence constitutionnelle (Cons. const., déc., 17 nov. 2016, n° 2016-739 DC).
 
Socle commun à cinq catégories d’actions
Sont soumises aux règles communes établies par la loi du 18 novembre 2016 les actions de groupe exercées en matière de discrimination, de discrimination au travail, d’environnement, de données personnelles et dans le domaine de la santé. Les quatre premières constituent une nouveauté.
 
La création d’une action de groupe en matière de santé incombe à la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016. Le caractère autonome de l’action de groupe en matière de consommation est en revanche préservé (C. consom., art. L. 623-1 et s.).
 
Pour les cinq catégories d’action de groupe qu’elle entend organiser, la loi opère une distinction entre celles qui sont introduites devant le juge judiciaire et celles qui le sont devant le juge administratif, les règles étant cependant transposables d’un ordre juridictionnel à l’autre.
 
Actions de groupe devant le juge judiciaire
Sauf disposition contraire, l’action de groupe introduite devant le juge judiciaire – en l’occurrence le tribunal de grande instance – est régie selon les règles du code de procédure civile.
 
La loi définit l’objet de l’action de groupe, la qualité pour agir et l’introduction de l’instance. Présupposant un intérêt commun à agir, l’action de groupe est ouverte lorsque plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, subissent un dommage causé par une même personne, résultant d’un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles.
 
Monopole des associations agréées
Afin d’éviter une concurrence débridée des actions, la loi réserve le monopole de l’action de groupe aux seules associations agréées et/ou aux associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins, et dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte.
 
Si le manquement à l’origine de l’action relève d’une qualification pénale, ou si le dommage subi par un nombre important de personnes est constitutif d’une atteinte à l’ordre public, le ministère public pourra toujours agir à titre principal (C. pr. civ., art. 423) ou se joindre à la procédure pour faire connaître son avis (C. pr. civ., art. 424).
 
Mise en demeure préalable
Dans le but d’éviter une judiciarisation excessive et de privilégier la voie non contentieuse, la loi impose à l’association ayant qualité pour agir de mettre en demeure le défendeur contre lequel elle envisage d’agir par la voie d’une action de groupe.
 
Une action de groupe ne peut ainsi être introduite qu’à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de la réception de la mise en demeure, afin de laisser au défendeur le temps d’adopter les mesures nécessaires.
 
Le préalable d’une mise en demeure ne s’impose toutefois pas aux actions de groupe exercées dans le domaine de la santé (C. santé publ., art. L. 1143-2).
 
Cessation d’un manquement
L’objet d’une action de groupe est ambivalent : il s’agit de faire cesser un manquement à une obligation légale ou contractuelle et/ou de statuer sur la responsabilité en vue d’obtenir la réparation de préjudices.
 
Lorsque l’action de groupe tend à la cessation d’un manquement, le juge ayant constaté l’existence d’un tel manquement enjoint au défendeur de cesser ou de faire cesser ce manquement et de prendre, dans un délai qu’il fixe, toutes les mesures utiles à cette fin, le cas échéant sous astreinte financière et, au besoin, avec l’aide d’un tiers qu’il désigne.
 
Lorsque l’action de groupe vise à obtenir la réparation de préjudices, la procédure se décompose en deux phases distinctes.
 
Médiation groupée
Une médiation peut être engagée par l’association avec l’accord des parties, afin de régler les conditions de l’indemnisation amiable des dommages qui font l’objet de l’action. Tout accord négocié au nom du groupe est soumis à l’homologation du juge, qui vérifie s’il est conforme aux intérêts de ceux auxquels il a vocation à s’appliquer et lui donne force exécutoire.
 
Jugement sur la responsabilité
La première phase implique un jugement sur la responsabilité du défendeur.
 
Le TGI définit le groupe de personnes à l’égard desquelles la responsabilité du défendeur est engagée en fixant les critères de rattachement au groupe (système dit « opt-in ») et détermine les préjudices susceptibles d’être réparés pour chacune des catégories de personnes constituant le groupe qu’il a défini.
 
Il fixe également le délai dans lequel les personnes répondant aux critères de rattachement et souhaitant se prévaloir du jugement sur la responsabilité peuvent adhérer au groupe en vue d’obtenir réparation de leur préjudice.
 
Lorsque la responsabilité est reconnue, le juge ordonne, à la charge du défendeur, de prendre les mesures de publicité adaptées pour informer les personnes susceptibles d’avoir subi un dommage causé par le manquement constaté, sous réserve que le jugement soit devenu définitif, c’est-à-dire qu’il ne puisse plus faire l’objet d’un recours en appel – ce dernier ayant un effet suspensif – ou d’un pourvoi en cassation.
 
Réparation des préjudices
La seconde phase de la procédure a trait à la mise en œuvre du jugement et à la réparation des préjudices. Deux modalités de réparation sont susceptibles d’être appliquées. Pour les préjudices les plus importants, et notamment les préjudices corporels, une procédure de réparation individuelle est instaurée.
 
La procédure de réparation individualisée présente d’ailleurs un caractère obligatoire pour les actions de groupe introduites en matière de santé (C. santé publ., art. L. 1143-11).
 
Réparation individualisée
Les personnes souhaitant adhérer au groupe adressent une demande de réparation, soit à la personne déclarée responsable, soit à l’association requérante, qui reçoit ainsi mandat aux fins d’indemnisation, mandat qui n’implique pas adhésion à l’association, mais qui vaut mandat de représentation pour l’action en justice à engager si la demande n’est pas satisfaite.
 
En effet, soit la personne déclarée responsable par le jugement indemnise individuellement les membres du groupe, soit, à défaut d’accord suivant le jugement de responsabilité, les demandeurs saisissent le juge pour obtenir réparation de leur préjudices individuels.
 
Réparation collective
Lorsque les préjudices ne justifient pas une individualisation de leur réparation, le jugement de responsabilité peut décider de mettre en œuvre une procédure de liquidation collective.
 
Cette dernière se distingue de la procédure individuelle en ce que les personnes qui souhaitent adhérer au groupe doivent nécessairement le faire auprès de l’association requérante, qui est alors mandatée pour transiger avec le défendeur sur la base du premier jugement.
 
A l’issue de la phase de négociation, l’accord des parties est soumis au TGI pour homologation, qui peut la refuser si les intérêts des membres du groupe ou de certains d’entre eux ne sont pas préservés.
 
En l’absence d’accord global, le tribunal est saisi pour liquider l’indemnisation des préjudices. Il peut condamner à une amende civile la ou les parties qui auront, de mauvaise foi, empêché la conclusion d’un accord indemnitaire.
 
A défaut de saisine du juge à l’expiration d’un délai d’un an à compter du jour où le jugement a acquis force de chose jugée, les membres du groupe peuvent adresser une demande de réparation à la personne déclarée responsable.
 
Actions de groupe devant le juge administratif
S’agissant de l’action introduite devant le juge administratif, la loi du 18 novembre 2016 transpose, mutatis mutandis, le dispositif prévu devant le juge judiciaire dans le code de justice administrative (C. just. adm., art. L. 77-10-1 et s.).
 
L’action de groupe introduite devant le tribunal administratif vise ainsi à faire cesser le manquement reproché à une personne morale de droit public ou à une personne de droit privé chargée de la gestion d’un service public, ou à statuer sur la responsabilité de cette personne en vue d’obtenir la réparation de préjudices.
 
Son objet reste donc strictement identique : faire cesser un manquement à une obligation légale ou contractuelle et/ou de statuer sur la responsabilité en vue d’obtenir la réparation de préjudices. La procédure de réparation se décline de la même manière en deux phases : un jugement sur la responsabilité et une indemnisation des préjudices (individualisée ou collective selon les cas).
 
Actions de groupe en matière de santé
L’article 184 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a institué une action de groupe en matière de produits de santé (C. santé publ., art. L. 1143-1 et s.).
 
Cette action est susceptible d’être introduite par une association agréée d’usagers du système de santé (au sens de l’article L. 1114-1 du code de la santé publique), en vue de la réparation de préjudices corporels causés par le manquement d’un producteur ou d���un fournisseur de produits de santé (médicaments, dispositifs médicaux, produits cosmétiques, produits sanguins…), ou d’un prestataire utilisant l’un de ces produits (établissements et professionnels de santé).
 
Les modalités de la mise en œuvre de cette action de groupe ont été établies par le décret n° 2016-1249 du 26 septembre 2016.
 
La loi de modernisation de la justice procède à un toilettage des articles du code de la santé publique afin de les adapter au socle commun de l’action de groupe.
 
La nouvelle rédaction de l’article L. 1143-1 du code de la santé publique précise ainsi que les dispositions de la loi du 18 novembre 2016 sont applicables aux actions introduites en matière de santé devant le juge judiciaire ou devant le juge administratif.
 
Deux spécificités méritent néanmoins d’être soulignées pour les actions exercées en matière de santé. D’une part, l’engagement de l’action n’est pas soumis au préalable obligatoire d’une mise en demeure par l’association requérante (C. santé publ., art. L. 1143-2). D’autre part, la phase de réparation des préjudices doit nécessairement s’exercer dans le cadre d’une procédure individualisée (C. santé publ., art. L. 1143-11).
 
La faculté pour l’association requérante de s’adjoindre, avec l’autorisation du juge, le service de professions judiciaires est conservée (C. santé publ., art. L. 1143-12) : il s’agit, en l’occurrence, des huissiers et des avocats (C. santé publ., art. R. 1143-3).
 
Les modalités de la médiation, impliquant un médiateur choisi parmi les magistrats ou les auxiliaires de justice mentionnés sur la liste établie par un arrêté du 15 novembre 2016 (JO, 18 nov.), ou la constitution d’une commission de médiation (C. santé publ., art. R. 1143-6) sont également maintenues, sous l’autorité du juge (C. santé publ., art. L. 1143-6).
 
Le fait que la médiation soit particulièrement développée dans le contentieux de la santé mérite d’être signalé. Cela tendrait à prouver que l’objectif implicite d’une action de groupe, dont la mise en œuvre peut s’avérer longue et compliquée au regard de la spécificité et de la diversité des préjudices résultant de produits de santé défectueux, soit de parvenir assez rapidement à une transaction et d’éviter ainsi aux personnes dont la responsabilité est recherchée une exposition médiatique trop prolongée.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Jérôme Peigné, Professeur à l'université Paris Descartes
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