Un homme devenu femme ne peut pas être reconnu comme mère de son enfant

30.09.2020

Droit public

La Cour de cassation refuse l'établissement d'une filiation maternelle entre une femme transgenre et son enfant.

L’espèce portée devant la Cour de cassation ne peut que susciter une certaine perplexité : un homme marié et déjà père de deux enfants obtient son changement de sexe par un jugement en 2011 et devient ainsi une femme à l’état civil. C’est en tant que femme, quelques années plus tard, et parce qu’elle a conservé ses organes sexuels masculins, qu’elle procrée naturellement avec celle qui est demeurée son épouse. Elle opère alors à l’égard de l’enfant né en 2014 une reconnaissance prénatale « déclarée être de nature maternelle, non gestatrice », dont elle demande par la suite sa transcription à l’état civil.
L’officier d’état civil ayant refusé la transcription, elle conteste ce refus et assigne le Procureur. En 2016, le tribunal rejette sa demande de transcription et par la même l’établissement d’une filiation maternelle entre l’enfant et le demandeur et suggère à la requérante de renoncer à son changement de sexe pour établir sa filiation paternelle avec l’enfant ou d’adopter son enfant biologique par la voie de l’adoption de l’enfant du conjoint. L'arrêt d'appel infirme le jugement et ordonne judiciairement l’établissement du lien de filiation entre l’enfant et la demanderesse désignée comme « parent biologique » de l’enfant.
La Cour de cassation, saisie notamment d’un pourvoi dans l’intérêt de la loi formé par le Procureur, casse partiellement l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il crée une nouvelle catégorie à l’état civil, « celle de parent biologique » mais l’approuve en ce qu’il refuse la transcription de la reconnaissance maternelle. Elle juge cependant que le requérant, une femme transgenre, n’est pas privé du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant mais ne peut le faire, hors adoption, qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père (Cass. 1re civ., 16 sept. 2020, n° 18-50.080).
Absence de dispositions spéciales
La diversité des solutions dégagées s’explique par un constat indéniable : l’absence de dispositions spéciales applicables en l’espèce.
Pendant longtemps, la Cour de cassation s’est fondée sur des critères médicaux pour autoriser le changement de sexe, exigeant notamment un diagnostic, celui du syndrome du transsexualisme, ainsi que des traitements médico-chirurgicaux impliquant une stérilisation du transsexuel. Le droit positif a profondément évolué avec l’intervention du législateur : la loi du 18 novembre 2016 a en effet introduit au sein du code civil une nouvelle section au sein du chapitre 2 du Titre II du Livre Ier consacrée à « la modification de la mention du sexe à l’état civil » contenant plusieurs articles (art. 61-5 à 61-8), ouverte à « toute personne majeure ou mineure émancipée » (art. 61-5 al. 1er).
Or, la loi, assouplissant considérablement les conditions de changement de sexe, vient expressément lui retirer tout aspect médical. Non seulement les éléments de faits permettant de justifier la modification de la mention du sexe ne font plus référence à aucun élément médical, se rapprochant plutôt de la possession d’état, mais surtout une disposition spéciale prévoit que « le fait de ne pas subir des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande ». Il est ainsi évident que le législateur a voulu détacher la modification de la mention du sexe de tout aspect médical pour le fonder sur l’apparence sociale choisie par l’intéressé.
Puisque la stérilité n’est plus une condition du changement de sexe, un homme peut désormais légitimement conserver son utérus, accoucher et demander à établir un lien de filiation avec son enfant tandis qu’une femme ayant pareillement légitimement conservé sa capacité de reproduction dans son sexe d’origine pourra demander à reconnaître également l’enfant accouché d’une autre femme, comme c’est le cas en l’espèce.
Pourtant, comme le relève la Cour de cassation, « aucun texte ne règle le mode d’établissement de la filiation des enfants engendrés ultérieurement ». Les dispositions du code ne réglementent que la situation des enfants nés avant le changement de sexe. Outre l’article 61-7 régissant spécifiquement les modifications à apporter sur l’acte de naissance des enfants déjà nés au moment du jugement modifiant la mention du sexe, l’article ­61-8 dispose que « la modification de la mention du sexe dans les actes de l’état civil est sans effet (…) sur les filiations établies avant cette modification ».
Mais à partir de ce même constat, la Cour de cassation n’approuve pas la création prétorienne faite en appel.
Refus d’une nouvelle catégorie à l’état civil, celle de parent biologique
Le jugement soumis à la cour d’appel avait refusé l’établissement de la seconde filiation maternelle demandée et proposé à la demanderesse, outre l’adoption, de renoncer à son changement de sexe pour pouvoir établir un lien de filiation paternelle avec l’enfant.
La cour d’appel avait jugé qu’une telle exigence « constituerait une ingérence injustifiée dans le droit au respect de sa vie privée et de celle de l’enfant ». Choisissant un raisonnement fondamentalement différent, elle invoquait les droits fondamentaux protégés par les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant. Considérant « qu’une disposition de loi ne saurait (…) aller en contradiction avec des dispositions du droit international », elle a jugé « qu’il est manifeste qu’il est de l’intérêt supérieur de l’enfant de voir établir la réalité de sa filiation » à l’égard de celle qui est son parent biologique. Elle évoquait notamment, pour illustrer concrètement cet intérêt, l’hypothèse du décès de la demanderesse, en l’absence d’une telle filiation « qui créerait une inégalité de fait en matière de succession entre les trois enfants pourtant issus de la même union ». Elle affirmait « qu’il est non moins certain que cette filiation ne saurait être établie par la voie de l’adoption (…) dans la mesure où (…) elle viendrait directement à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant de voir reconnaître à l’égal de ses frères la réalité de sa filiation biologique ».
Dépassant les dispositions de droit interne et sur le fondement des textes internationaux, elle avait donc créé cette nouvelle notion de « parent biologique » afin d’établir judiciairement une filiation par le sang non adoptive entre l’enfant et la demanderesse et ordonnait la transcription de cette nouvelle mention sur l’acte de naissance de l’enfant.
Au visa de l’article 57 du code civil, la Cour de cassation casse cette décision. Elle relève que « la loi française ne permet pas de désigner dans les actes de l’état civil le père ou la mère de l’enfant comme parent biologique » et qu’ainsi la cour d’appel « ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l’état civil ». Elle considère même que le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés fait obstacle à une telle mention.
Interdiction d’une double filiation maternelle
La Cour de cassation approuve cependant la cour d’appel d’avoir refusé la transcription de la reconnaissance maternelle. Après avoir constaté l’absence de dispositions spéciales, la Cour de cassation applique le droit commun de la filiation. Comme il ne s’agit pas d’une filiation adoptive, la Cour se réfère aux dispositions relatives à l’établissement de la filiation prévues au Titre VII du Livre premier du code civil qui régit la filiation par le sang. Elle relève que l’article 311-25 établit la filiation de la mère par désignation de celle-ci dans l’acte de naissance et que l’article 311-20 interdit tout établissement de filiation qui viendrait contredire celle légalement établie tant qu’elle n’a pas été contestée en justice. Elle déduit de ces deux articles que « ces dispositions s’opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l’égard d’un même enfant, hors adoption » et approuve la cour d’appel d’avoir constaté « l’impossibilité d’établissement d’une double filiation maternelle ». Elle réaffirme ainsi le principe selon lequel l’établissement de la filiation maternelle s’établit par l’accouchement et que l’établissement d’une double filiation maternelle est dès lors impossible.
Établissement d’une filiation paternelle
La Cour décide alors d’appliquer les règles relatives à la seconde filiation seule susceptible d’être reconnue en complément de la filiation maternelle, la filiation paternelle. Or, comme en l’espèce, l’acte de naissance n’indique pas le nom du mari comme père, la Cour relève « qu’en application des articles 313 et 316, alinéa 1er du code civil, la filiation de l’enfant peut, en revanche, être établie par une reconnaissance de paternité lorsque la présomption de paternité est écartée faute de désignation du mari en qualité de père dans l’acte de naissance ». Elle constate ainsi que « de la combinaison de ces textes, il résulte du droit positif qu’une personne transgenre homme devenue femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien biologique avec son enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés aux pères ». C’est la fonction dans l’engendrement de l’enfant reflétant la réalité biologique de la filiation qui, selon la Cour de cassation, conduit l’établissement de la filiation par le sang. 
La Cour avance également des arguments relatifs à la conventionalité de sa solution au regard notamment des droits fondamentaux de l’enfant. Elle affirme que les dispositions appliquées poursuivent un but légitime au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme « en ce qu’elles tendent à assurer la sécurité juridique et à prévenir les conflits de filiation ». Elle juge que les règles appliquées en l’espèce répondent à l’intérêt supérieur de l’enfant d’abord en ce qu’elles permettent de conférer à l’enfant « la même filiation que celles de ses frère et sœur nés avant cette modification, évitant ainsi les discriminations au sein de la fratrie (…) en ayant à l’état civil l’indication d’une filiation paternelle » mais également en ce qu’ « elles permettent l’établissement d’un lien de filiation (…) qui correspond à la réalité des conditions de sa conception et de sa naissance garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles ».
Respect de l’identité de genre
Suggérant l’établissement d’une filiation paternelle attachée à son ancien sexe, la Cour affirme cependant respecter « l’identité de genre » de la requérante. Elle constate ainsi que « tous les membres de la fratrie seront élevés par deux mères ». Elle juge d’ailleurs que cette filiation évite de renoncer à son identité de genre, garantissant ainsi le respect de sa vie privée. La femme transgenre peut donc établir avec son enfant soit une filiation adoptive par le biais de l’adoption de l’enfant du conjoint dans son nouveau sexe, soit établir une filiation par le sang au moyen d’une reconnaissance de paternité.
A travers cet arrêt, la Cour de cassation affirme sa volonté de préserver à la fois les fondements de la filiation par le sang et l’identité de genre de la personne. Mais l’exercice semble bien périlleux et n’est pas sans susciter des questions fondamentales relatives à l’intérêt de l’enfant, les effets du changement de la mention du sexe, la notion d’identité de genre, la fiabilité de l’état civil, le prénom du parent à inscrire sur la reconnaissance de paternité.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

Découvrir tous les contenus liés
Sophie Paricard, professeur de droit privé à l'Institut National Universitaire d'Albi, Institut de droit privé EA 1920 Université Toulouse 1-Capitole
Vous aimerez aussi

Nos engagements