Un refus de modification de l'objet social contraire à l'intérêt de la société

Un refus de modification de l'objet social contraire à l'intérêt de la société

03.04.2024

Gestion d'entreprise

Dans un arrêt du 13 mars 2024, la Cour de cassation précise que le refus d'un associé minoritaire de modifier l'objet social peut être contraire à l'intérêt général de la société... sans pour autant constituer un abus de minorité. Benjamin JEUDI, Juriste d'affaires au sein du cabinet SORECO revient sur les enjeux pratiques de cette décision.

Dans le cadre de cette affaire, une société dont le capital est détenu à hauteur de 74 %, par deux associés personnes physiques, également co-gérants et à concurrence de 26 % par une sous-filiale d’une société du groupe Carrefour, a pour objet social, selon l’article 2 de ses statuts : « la création et l’exploitation d’un fonds de commerce de type supermarché à l’enseigne Carrefour Contact ou toute autre enseigne appartenant au groupe Carrefour, à l’exclusion de toute autre ».

Conformément à cet objet, la société conclut, en 2014, avec deux filiales du groupe Carrefour, un contrat de franchise et un contrat d’approvisionnement. En 2020, les deux associés personnes physiques, agissant en qualité de co-gérants, décident de procéder à la dénonciation de ces contrats. Une modification de l’objet social s’impose, par conséquent, pour que la société puisse poursuivre son activité en se franchisant et en s’approvisionnant auprès d’une autre enseigne. Cependant, lors de l’assemblée générale extraordinaire appelée à statuer sur la modification de l’objet social, l’associé personne morale affiliée au groupe Carrefour, vote contre le projet de résolution tendant à modifier l’objet social. Estimant être victimes d’un abus de minorité, les associés personnes physiques et la société assignent le minoritaire aux fins de la désignation d’un mandataire ad hoc ayant pour mission de voter au nom de ce dernier sur les projets de résolutions soumis à l’assemblée. Dans le cadre de la procédure judiciaire, la cour d’appel de Caen caractérise un abus de minorité de la part de cet associé et fait droit à la demande de désignation d'un mandataire ad hoc. Le minoritaire forme alors un pourvoi en cassation.

Préserver le système de franchise

La chambre commerciale estime, d'abord, que « Le refus d’un associé minoritaire de modifier l’objet social peut être contraire à l’intérêt général de la société ». Cette règle, qui a le mérite d’être rappelée, n'est pas nouvelle : dans un arrêt rendu à propos de faits très similaires et en suivant le même raisonnement, la chambre commerciale a déjà eu l’occasion de préciser qu’un associé minoritaire qui refuse de voter une modification de l’objet social, lorsque cette dernière est impérative pour la subsistance de la société, agit contrairement aux intérêts de la société et dans l’unique dessein de préserver les intérêts de sa société mère (Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-16.910). Toutefois, si dans le cadre de cette ancienne affaire, la chambre commerciale a considéré qu’un abus de minorité pouvait être caractérisé, tel n’est pas le cas ici. La Cour de cassation estime, certes, que l’attitude de l’associé minoritaire est susceptible d’entrer en contrariété avec l’intérêt général de la société (première condition de l’abus de minorité), mais elle casse ensuite l’arrêt d’appel, au visa des articles L. 223-30, alinéa 2 du code de commerce et 1833 du code civil. En effet, la cour d’appel, qui a estimé que le refus du minoritaire s’expliquait par la volonté de préserver le système de franchise auquel il était affilié, a également retenu que la dénonciation des contrats conduisait à la nécessité pour la société de modifier son objet social, ce qui dépassait les pouvoirs des co-gérants. 

L’unique dessein de favoriser ses intérêts

En prenant cette initiative de dénonciation, qui impliquait nécessairement une modification de l’objet, les co-gérants ont indirectement empiété sur la compétence des associés. Dès lors, il est possible de considérer que le minoritaire n’a pas voté dans l’unique dessein de favoriser ses intérêts (préserver le système de franchise), mais pour s’opposer à la dénonciation des contrats par les co-gérants qui apparaissait, au vu des circonstances, comme exorbitante de leurs pouvoirs et, par conséquent, irrégulière. L'autre condition de l’abus de majorité, à savoir une opposition du minoritaire justifiée par la volonté de favoriser ses intérêts n’était donc pas présente. 

La chambre commerciale estime, en conséquence, que la cour d’appel n’a pas tiré des conséquences légales de ses constatations et considère qu’elle ne pouvait conclure valablement à la présence d’un abus de minorité.

Remarque : l’abus de minorité peut être caractérisé lorsqu’un associé minoritaire adopte, notamment par son vote en assemblée générale, une attitude contraire à l’intérêt de la société en empêchant une opération essentielle pour cette dernière et qu’il procède ainsi dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux des autres associés.

Benjamin Jeudi

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