Une créance, quoique non encore exigible, doit être déclarée au mandataire judiciaire

05.03.2024

Gestion d'entreprise

La créance née d'une garantie accordée doit, indépendamment de son exigibilité, être déclarée dans les 2 mois de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture de la procédure collective.

Déterminer la date de naissance des créances est un problème classique du droit des entreprises en difficulté. L’enjeu consiste généralement à la qualifier de créance antérieure ou postérieure, le régime juridique applicable étant largement distinct selon les cas. Rien de tel ici : la problématique de la date de naissance de la créance est liée à ses conditions de déclaration à la procédure.

Le contexte de l’espèce explique la singularité de la problématique. Le 3 décembre 2019, une société opérant dans le secteur du tourisme bénéficie d’une procédure de sauvegarde. Le jugement est publié au Bodacc le 8 décembre suivant. Las, la procédure est très rapidement convertie en liquidation judiciaire : le 17 décembre. L’Association professionnelle de solidarité du tourisme (APST) avait fourni à la société débitrice la garantie financière qu’impose son immatriculation au registre des opérateurs de tourisme (C. tourisme, art. L. 211-18). Elle déclare donc sa créance au passif… le 24 février 2020. Tardivement selon le liquidateur, si bien que l’APST est conduite à demander au tribunal de la procédure collective le relevé de sa forclusion et l’admission de sa créance.

La cour d’appel rejette sa demande et l’APST forme un pourvoi en cassation, particulièrement astucieux. L’argumentation repose sur une subtile distinction entre la date de naissance de la garantie (au jour du contrat) et celle de la créance (au jour où elle est mise en œuvre), argumentation renforcée par le fait que la sauvegarde, par hypothèse, suppose que la société débitrice n’était pas encore en cessation des paiements.

Cela ne convainc pas la Cour de cassation qui s’en tient, pour rejeter le pourvoi, à une analyse très classique fondée sur l’article L. 622-24 du code de commerce. Elle rappelle ainsi qu’à partir de la publication du jugement d’ouverture, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement à ce jugement adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire. Au cas d’espèce, elle estime que la créance de l’APST est bien née du contrat conclu antérieurement à l’ouverture de la sauvegarde avec la société débitrice. Elle en déduit donc que cette créance devait, indépendamment de son exigibilité, être déclarée dans les 2 mois de la publication au Bodacc du jugement de sauvegarde.

Remarque : il est permis de rapprocher cette solution d’un précédent inédit par lequel la Cour de cassation avait jugé que « le caractère éventuel de la créance ne dispense pas le créancier de la déclarer » (Cass. com., 9 oct. 2019, n° 18-18.818, inédit). Il en allait sans doute de même de la garantie litigieuse en l’espèce, créance « éventuelle » de l’APST.

Thierry Favario, Maître de conférences HDR, Université Jean Moulin Lyon 3

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