Une libéralisation du changement de sexe par la loi

02.12.2016

Droit public

La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle facilite le changement d'état civil des transsexuels. Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut plus motiver le refus de faire droit à la demande.

La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle est d’un apport considérable pour le changement de sexe. Son article 56, II encadre, quant à la forme, pour la première fois la rectification de la mention du sexe, qui jusqu’à présent faisait uniquement l’objet d’une jurisprudence. Il introduit au sein du code civil une nouvelle section consacrée à « la modification de la mention du sexe à l’état-civil » contenant plusieurs articles (C. civ., art. 61-5 à 61-8). Quant au fond, il prévoit une évolution fondamentale, libéralisant de façon importante le changement de sexe.
Des conditions fixées jusqu'alors par la jurisprudence
La jurisprudence accordant le changement de sexe a été inaugurée en 1992 après que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme. Les conditions nécessaires au changement de sexe étaient relativement rigoureuses.  L’assemblée plénière de la Cour de cassation, au visa de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, autorisait en effet le changement de sexe «  lorsqu’à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe auquel correspond son comportement social », ces conditions devant être validées par une expertise judiciaire (Cass. ass. plén., 11 déc. 1992, n° 91-11.900). Deux conditions étaient ainsi exigées : une expertise judiciaire et un traitement médico-chirurgical s’analysant généralement comme une opération de réassignation sexuelle totale, c'est-à-dire une reconstruction des organes génitaux.
 
Après ces arrêts, la Cour de cassation ne s'est plus prononcée sur le sujet pendant vingt ans. Quant au législateur, il ne sortait toujours pas de son mutisme.
La réassignation sexuelle, source de discorde entre les juridictions
Pourtant des évolutions majeures se sont produites. Beaucoup de transsexuels refusent désormais de subir une expertise judiciaire et préfèrent subir des traitements innovants moins lourds, moins attentatoires à leur intégrité physique, comme un traitement hormonal éventuellement accompagné d’opérations de chirurgie plastique (ablation des seins avec greffe des alvéoles). Des rapports tant internationaux que nationaux ont en ce sens milité pour un assouplissement des conditions du changement de sexe, notamment sur le fondement de la dignité de la personne humaine.
 
La jurisprudence s’est alors profondément divisée sur les conditions du changement de sexe, certaines juridictions prenant acte de ces évolutions tandis que d’autres conservaient une position rigoureuse (CA Nancy, 3 janv. 2011, 09/00931; CA Paris,  27 janv. 2011, n° 10/04525).
 
Le positionnement de la Cour de cassation sur le sujet était donc très attendu. Elle s’est prononcée par deux arrêts de la première chambre civile du 7 juin 2012 qui s’inscrivent dans le fil de sa première jurisprudence. Elle énonce le même attendu de principe : « attendu que pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans l’acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ». Si cet attendu de principe peut apparaître assez neutre dans sa formulation, c’est dans ses applications que la rigueur des conditions apparaît. La Cour de cassation a refusé dans ses deux arr��ts le changement de sexe, s’attachant notamment à exiger la stérilité du transsexuel (Cass. 1re civ., 7 juin 2012, n° 10-26.947 et n° 11-22.490).
Des critères redéfinis par la loi
L’article 56 II de cette loi, entré en vigueur le 20 novembre 2016, est donc d’un apport majeur en ce qu’il brise cette jurisprudence.
 
Il ouvre d’abord le changement de sexe non plus seulement aux personnes souffrant du transsexualisme mais à toute personne « majeure ou mineure émancipée » (C. civ., art.. 61-5 al. 1er).
 
Et, si la procédure reste judiciaire, les conditions du changement de sexe évoluent profondément . En effet, le législateur a pris soin de ne se référer à aucune condition d’ordre médical. Et même une disposition spécifique prévoit que « le fait de ne pas subir des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande » (C. civ., art. 61-6, al. 3).
 
La volonté du législateur est en effet de faire correspondre la mention du sexe aux comportements adoptés par la personne en société. L’article 61-5 nouveau prévoit ainsi que « toute personne (…) qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir modification ». 
 
Les principaux de ces faits dont la preuve peut être rapportée par tous moyens » (C. civ., art. 61-5,  al. 2) s’apparentent d’ailleurs à la possession d’état, à l’apparence sociale, et même plus exactement à l’apparence sociale choisie par la personne, faisant entrer la volonté dans le champ du changement de sexe, et affaiblissant considérablement le principe d’indisponibilité de l’état-civil.
 
Le premier fait, s’apparentant clairement au nomen, est que la personne ait obtenu le changement de prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué ce qui ne devrait guère poser de difficultés dans la mesure où la réforme a déjudiciarisé le changement de prénom, le fondant sur la seule volonté de la personne.
 
Le deuxième est qu’elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ; il fait référence au comportement adopté en société (le tractatus). La personne doit donc adopter une attitude sociale (habillement, attitudes, discours) propre au sexe revendiqué, ce qui semble écarter toute attitude androgyne (et participe à la consolidation des stéréotypes du genre).
 
Le troisième fait est qu’elle soit connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel et renvoie ainsi au regard social porté sur la personne (la fama). Cet élément nécessitant un minimum d’intégration sociale évince les personnes les plus marginalisées.
 
Il n’est pas exigé la réunion de ces trois éléments mais simplement la preuve des « principaux de ces faits ». C’est ainsi qu’il est prévu que le tribunal peut à la fois ordonner le changement de la mention relative au sexe ainsi que les prénoms de la personne.
 
La mention de la décision de la modification du sexe, et le cas échéant de prénom est portée en marge de l’acte de naissance de l’intéressé (C. civ., art. 61-7, al. 1er). Il est également prévu, par dérogation à l’article 61-4, que la modification du prénom corrélative à une décision de modification du sexe n’est porté en marge de l’acte de l’état civil des conjoints et enfants qu’avec leur consentement ou celui de leurs représentants légaux (C. civ., art. 61-7 al 2).
Conséquences de la réforme
La population concernée par le changement de sexe est donc désormais d’une grande diversité et concerne, au-delà des transsexuels, les transgenres, les travestis et d’autres personnes qui n’entrent pas strictement dans une catégorie homme ou femme comme les queer, les intergenres, les " non genre ", les genres fluides. L’absence de limites relatives au nombre de changement de sexe et l’abandon de l’exigence de traitements induisant des modifications difficilement réversibles autorisent dès lors des allers-retours d’un sexe à l’autre. Le sexe n’aurait donc plus vocation à s’inscrire dans la durée mais à évoluer au gré des flottements du ressenti de chacun. C’est ainsi l’identité de genre qui serait consacrée par la réforme. L’appréciation des éléments de fait par les juges du fond sera là d’une grande importance.
 
Mais une telle évolution du droit autorise incontestablement la procréation de la personne ayant changé de sexe dans son sexe d’origine. Quid de l’homme " enceinte " qui n’est plus simplement un fantasme du fait de cette réforme ? Le législateur n’en dit malheureusement rien.
 
 
 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Sophie Paricard, MCF en droit privé-HDR, Université Toulouse1-Capitole, Institut de droit privé, CUFR Albi
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