En matière de santé, l’Union européenne dispose d’une double compétence : une compétence partagée (TFUE, art. 4) pour les enjeux communs de sécurité en matière de santé publique (TFUE, art. 168-4 et 168-5) ; une compétence d’appui (TFUE, art. 6) pour la protection et l’amélioration de la santé humaine (TFUE, art. 168-1 à 168-3). Dans la ligne du discours de l’état de l’union de 2020 prononcé par Ursula von der Leyen en pleine pandémie de Covid-19, la Commission européenne a communiqué, le 11 novembre 2020, son programme de construction d’une « Union européenne de la santé » pour faire face aux menaces sanitaires transnationales (COM (2020) 724 final). Deux semaines plus tard, l’exécutif bruxellois dévoilait sa « stratégie pharmaceutique pour l’Europe » (COM (2020) 761 final), augurant d’une future réforme de la législation européenne des médicaments (propositions attendues pour la fin de l’année 2022).
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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A ces deux volets, se sont ajoutés un plan européen contre le cancer, présenté par la Commission le 3 février 2021 (COM (2021) 44 final), et un nouveau (le quatrième) programme d’action de l’Union dans le domaine de la santé (EU4Health), établi pour la période 2021-2027 par le règlement (UE) 2021/522 du Parlement et du Conseil du 24 mars 2021 (JOUE 26 mars 2021). La construction d’un espace européen des données de santé (EHDS) est par ailleurs envisagée dans le cadre de plusieurs programmes de l’Union (EU4Health, Horizon Europe, programme marché unique, programme Europe numérique…), sa mise en œuvre devant être assurée par l’Agence exécutive européenne pour la santé et le numérique (HaDEA), créée par la décision (UE) 2021/173 de la Commission du 12 février 2021 (JOUE 15 février 2021).
Le principal volet de l’Union européenne de la santé vise à renforcer la capacité de l’Union – la « résilience » dans le langage de la Commission – à faire face aux crises sanitaires, notamment lorsqu’elles présentent une dimension transfrontière, comme c’est généralement le cas avec des maladies transmissibles (sachant qu’il peut s’agir aussi de menaces de nature chimique, environnementale ou d’origine inconnue). Dans cette perspective, une décision de la Commission du 16 septembre 2021 (JOUE 29 septembre 2021) a institué une Autorité de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA), largement inspirée du modèle de la Biomedical advanced research and development authority (BARDA) du département de la santé des Etats-Unis.
Parallèlement, le rôle de l’Agence européenne des médicaments (EMA) a été étendu par le règlement (UE) 2022/123 du Parlement et du Conseil du 25 janvier 2022 (JOUE 31 janvier 2022), en vue de préparer et de gérer les pénuries de médicaments ou de dispositifs médicaux considérés comme critiques.
À la suite de ces deux premiers textes, trois nouveaux règlements viennent d’être publiés : un règlement relatif aux menaces transfrontières sur la santé, un règlement étendant les missions du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et un règlement visant à établir un cadre d’urgence pour les interventions de l’HERA.
Le renforcement des missions du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC)
Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) a été institué par le règlement (CE) n° 851/2004 du Parlement et du Conseil du 21 avril 2004 à la suite de la première épidémie de coronavirus (SRAS). Installé à Stockholm en tant qu’agence européenne indépendante, ce centre a pour mission de déceler, d’évaluer et de faire connaître les risques actuels et émergents que des maladies transmissibles représentent pour la santé humaine. L’ECDC a progressivement endossé la responsabilité de la surveillance épidémiologique des maladies transmissibles et de l’exploitation du système d’alerte précoce et de réaction (SAPR).
Une enquête de la Médiatrice européenne (OI/3/2020/TE) sur la manière dont l’ECDC a collecté et communiqué des informations pendant la crise du Covid-19 n’a pas révélé de mauvaise administration, mais a néanmoins recensé d’importantes lacunes dans l’efficacité de la réaction du centre à la pandémie, notamment en ce qui concerne la complétude et la comparabilité des données, le niveau de transparence et la communication au public.
Modifiant le règlement (CE) n° 851/2004, le règlement (UE) 2022/2370 du Parlement et du Conseil du 23 novembre 2022 entend apporter des réponses à ces insuffisances, en étendant les missions de l’ECDC. Le centre pourra ainsi adresser des recommandations aux États membres concernant la préparation aux menaces sanitaires. Il hébergera un nouveau réseau d’excellence de laboratoires de référence européens (désignés par la Commission) et mettra en place une task-force de l’Union Européenne dans le domaine de la santé pour des interventions sanitaires rapides en cas d’épidémie majeure.
Une plateforme numérique de surveillance gérée par l’ECDC doit par ailleurs permettre l’échange informatisé d’informations en temps réel, ainsi que la collecte automatisée de données de surveillance et de laboratoire, l’utilisation des données de santé à caractère non personnel pertinentes (issues d’une liste prédéfinie) et l’application de systèmes d’intelligence artificielle pour valider et analyser ces données.
Un cadre de mesures pour l’Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA)
Contrairement à l’ECDC ou à l’EMA, l’HERA n’est pas une agence indépendante, mais un service de la Commission. Elle est chargée d’évaluer les menaces sanitaires et collecter des renseignements pertinents pour les contre-mesures médicales. La notion de contre-mesures médicales, qui figuraient dans les textes antérieurs, s’entend des médicaments, des dispositifs médicaux (y compris les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro) et des autres biens ou services nécessaires à la préparation et à la réaction en cas de menaces transfrontières graves.
À l’instar de la BARDA états-unienne, l’HERA est également chargée de promouvoir la recherche et le développement avancés de contre-mesures médicales, de renforcer l’autonomie stratégique de l’Union dans la production des produits de santé. Elle est compétente pour passer, avant et pendant les crises, des marchés publics concernant l’achat conjoint de contre-mesures médicales et d’accroître aussi leur capacité de stockage.
L’expérience tirée de la crise de Covid-19 a montré la nécessité d’instaurer un cadre de mesures visant à garantir la fourniture de médicaments et de dispositifs médicaux en cas de crise, dans l’éventualité d’une urgence de santé publique et lorsque cela s’avère approprié à une situation de tension économique.
Ce cadre de mesures est l’objet du règlement (UE) 2022/2372 du Conseil du 24 octobre 2022. Celui-ci a été adopté sur le fondement de l’article 122 du TFUE qui prévoit que, sur proposition de la Commission, le Conseil peut décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l’approvisionnement en certains produits.
Le cadre d’urgence, qui ne peut être activé que s’il est approprié à la situation économique, comprend : la mise en place d’un conseil de gestion des crises sanitaires au sein de l’HERA ; le suivi, la passation conjointe de marchés et l’achat centralisé des produits de santé ou des matières premières nécessaires à leur production ; l’activation de plans de recherche et d’innovation d’urgence (en faisant appel aux réseaux d’essais cliniques et aux plateformes de partage de données à l’échelle européenne) ; un financement d’urgence ; l’adoption de mesures relatives à la production, à la disponibilité et à la fourniture des produits nécessaires en cas de crise (notamment la mise en place d’un inventaire de la production et des installations de production) et, éventuellement, des matières premières, des consommables, des dispositifs, des équipements et des infrastructures nécessaires, ainsi que des mesures visant à en accroître la production au sein de l’Union (les installations du réseau de capacités de production de vaccins et de médicaments « toujours prêts », dites « Fab UE », sont destinées à débloquer des capacités de production de réserve pour les situations d’urgence, de manière à garantir la fourniture des médicaments, des dispositifs médicaux et des matières premières critiques, dans les quantités et les délais convenus dans les contrats « Fab UE »).
Une nouvelle législation pour faire face aux menaces transfrontières graves pour la santé
Dans le cadre du Traité de Lisbonne (TFUE, art. 168.5), le Parlement européen et le Conseil peuvent adopter, selon la procédure législative ordinaire, des mesures d’encouragement visant à protéger et à améliorer la santé humaine (notamment en vue de lutter contre les grands fléaux sanitaires), ainsi que des mesures concernant la surveillance des menaces transfrontières graves sur la santé, l’alerte en cas de telles menaces et la lutte contre celles-ci. C’est sur ce fondement qu’a été adoptée la décision n° 1082/2013/UE du Parlement et du Conseil du 22 octobre 2013 relative aux menaces transfrontières graves sur la santé.
À la lumière des enseignements tirés de la pandémie de Covid-19, les autorités européennes sont convenues d’abroger et de remplacer cette décision par un texte plus ambitieux. Le règlement (UE) 2022/2371 du Parlement et du Conseil du 23 novembre 2022 introduit ainsi de nouvelles dispositions afin de faire face aux menaces sanitaires transfrontières. Ces dernières sont définies comme un danger mortel ou tout autre danger grave pour la santé, d’origine biologique, chimique, environnementale ou inconnue, qui se propage ou présente un risque important de propagation par-delà les frontières nationales des États membres, et qui peut nécessiter une coordination au niveau de l’Union afin d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine.
Le règlement institue un comité de sécurité sanitaire (CSS), composé de représentants des États membres, principalement chargé de coordonner l’action de la Commission et des États membres dans leur préparation, ainsi que leur réponse aux crises sanitaires. Le règlement prévoit l’élaboration par la Commission d’un plan de l’Union contre les crises sanitaires et les pandémies (appelé « plan de prévention, de préparation et de réaction de l’Union »), ce plan complétant les plans nationaux prévus par les États membres. Les plans nationaux seront évalués régulièrement (tous les trois ans) par l’ECDC, qui pourra adresser des recommandations aux États (ces derniers devant exposer les raisons pour lesquelles ils ne les suivent pas).
Le règlement détaille la procédure conjointe de passation de marché en vue de l’achat anticipé de médicaments ou de dispositifs médicaux pour faire face à des menaces transfrontières graves (les États membres restant libres de ne pas participer au mécanisme conjoint d’achat anticipé). Il précise aussi les règles organisant le réseau de surveillance épidémiologique et la plateforme numérique de surveillance, placés sous la responsabilité de l’ECDC, de même que celles régissant le système d’alerte précoce et de réaction (SAPR), dont la mise à jour incombe au centre, afin de permettre l’utilisation de technologies numériques modernes et de faciliter l’interopérabilité avec les systèmes nationaux d’alerte et de veille. Il établit un réseau de laboratoires de référence de l’Union Européenne pour la santé publique (désignés par la Commission et supervisés par l’ECDC).
Le règlement instaure un cadre juridique à la reconnaissance des urgences de santé publique au niveau de l’Union. En présence de menaces transfrontières graves pour la santé, la Commission peut, après avis de l’ECDC (voire d’une autre agence compétente de l’Union) ou du comité consultatif constitué à cet effet (composé d’experts indépendants), reconnaître officiellement une urgence de santé publique au niveau de l’Union. La reconnaissance d’une telle situation a pour effet de permettre l’instauration des mesures prévues par le règlement (UE) 2022/123 du 25 janvier 2022 concernant la gestion par l’EMA des pénuries de médicaments et de dispositifs médicaux, le développement et l’achat de contre-mesures médicales par l’HERA, le déploiement de la task-force de l’Union dans le domaine de la santé par l’ECDC.
La prochaine étape consistera à réviser substantiellement certaines législations relatives aux produits de santé (les textes proposés seront adoptés selon la procédure législative ordinaire, sur le fondement de l’article 168-4 du TFUE). Le 14 juillet 2022, la Commission a présenté une proposition de règlement concernant les normes de qualité et de sécurité des substances d’origine humaine (sang, tissus et cellules), abrogeant les actuelles directives 2002/98/CE et 2004/23/CE (COM (2022) 338 final). On attend maintenant les propositions de réforme de la législation sur les médicaments à usage humain.