Vaccination obligatoire... jusqu'où ?

20.02.2017

Droit public

Le Conseil d'État annule une décision du ministre des affaires sociales et de la santé rejetant une demande tendant à ce que soient prises les mesures permettant de rendre disponibles des vaccins correspondant aux seules obligations légales de vaccination. Il enjoint en même temps au ministre de prendre des mesures ou de saisir les autorités compétentes à cet effet pour assurer la disponibilité des vaccins obligatoires, dans un délai de six mois.

Plusieurs dizaines de personnes ont demandé au ministre chargé de la santé de prendre les mesures permettant de rendre disponibles sur le marché des vaccins correspondant uniquement aux trois obligations légales de vaccinations (vaccinations antidiphtérique, antitétanique et antipoliomyélitique : C. santé publ., art. L. 3111-2 et L. 3111-3). Le ministre ayant refusé, elles ont saisi le Conseil d’État en vue d’obtenir l’annulation pour excès de pouvoir de cette  décision de rejet et l’adoption des mesures permettant d’assurer la disponibilité des vaccins obligatoires.
 
L’ordonnance rendue par le Conseil d’État le 8 février 2017 leur donne gain de cause.
 
Cette décision est importante car depuis plusieurs années aucun vaccin correspondant aux seules obligations légales de vaccination des enfants de moins de dix-huit mois n’est commercialisé en France. Les seuls vaccins disponibles englobent, outre les vaccinations obligatoires, d’autres affections telles que la coqueluche, l’haemophilus ou bien encore l’hépatite B.
 
Là se situe le cœur du problème. En vertu de la loi, les personnes titulaires de l'autorité parentale ou qui ont la charge de la tutelle des mineurs sont en effet tenues personnellement responsables de l'exécution de l’obligation de vaccination (dont la justification doit être fournie lors de l'admission dans toute école, garderie, colonie de vacances ou autre collectivité d'enfants). Or, elles ne sont pas nécessairement enclines ou enthousiastes à l’idée d’étendre la vaccination de leurs enfants au-delà des affections pour lesquelles la loi leur impose une telle obligation, d’autant que certaines vaccinations peuvent ne pas rassurer. Le vaccin contre l’hépatite B est par exemple au cœur d’un débat, depuis des années, sur son bénéfice et ses risques : un débat qui va bien au-delà des frontières françaises comme en témoignent de nombreuses études internationales sur le sujet.
 
Par ailleurs, le régime des vaccinations obligatoires n’est pas l’expression d’un principe juridique mais une inflexion des principes du droit médical, notamment celui imposant l’obtention et le respect du consentement du patient (ou de son représentant légal).
 
Sans doute le  Conseil constitutionnel a-t-il pu juger conforme à la Constitution le dispositif législatif encadrant les vaccinations obligatoires antidiphtérique, antitétanique et antipoliomyélitique (Cons. const., déc., 20 mars 2015, n° 2015-458 QPC). Il n’en reste pas moins que contraindre de facto les individus à des vaccinations, faute de commercialisation des vaccins appropriés, n’est pas anodin et peut susciter de légitimes réserves. Le fait que le Conseil d’État relève, dans la décision rapportée, que les requérants n’ont pas démontré l’existence d’un risque d’atteinte à l’intégrité de la personne lié aux vaccinations non obligatoires et que celles-ci sont même recommandées n’est pas de nature à dissiper toutes les inquiétudes ou interrogations.
 
Quoi qu’il en soit, et à juste titre, le Conseil d’État considère que le respect de la loi implique nécessairement que les personnes tenues à l’exécution des trois obligations vaccinales soient mises à même d’y satisfaire sans être contraintes de soumettre leurs enfants à d’autres vaccinations que celles imposées par le législateur et auxquelles elles n’ont pas consenti librement.
 
La Haute juridiction rappelle en outre qu’en vertu des articles L. 5121-31 et L. 5121-32 du code de la santé publique, les titulaires d’autorisation de mise sur le marché et les entreprises pharmaceutiques exploitant des médicaments doivent élaborer et mettre en œuvre un plan de gestion des pénuries pour les vaccins dont la liste est fixée par le ministre chargé de la santé. Ils doivent, sous le contrôle de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), prendre pour ces vaccins les mesures permettant de faire face aux risques de rupture de stock.
 
Quant aux pouvoirs publics, ils peuvent sanctionner les laboratoires et entreprises ne respectant pas ces obligations légales. De plus, le ministre chargé de la santé peut, dans l’intérêt de la santé publique, demander au ministre chargé de la propriété intellectuelle de soumettre le brevet délivré pour un médicament au régime de la licence d’office (C. propr. intell., art. L. 613-16) au bénéfice d’un établissement pharmaceutique  ou au bénéfice de l’Agence nationale de la santé publique (C. santé publ., art. L. 3135-1), afin d’assurer l’acquisition, la fabrication, l’importation et la distribution de médicaments pour faire face à leur commercialisation ou production insuffisante.
 
Le Conseil d’État conclut que le ministre chargé de la santé ne pouvait légalement refuser de faire usage de ses pouvoirs pour rendre disponibles des vaccins permettant de satisfaire aux seules vaccinations obligatoires, et annule sa décision de refus.
 
Il lui enjoint en conséquence de prendre les mesures nécessaires ou de saisir les autorités compétentes à cet effet pour assurer la disponibilité des vaccins obligatoires, dans un délai de six mois.
 
Mais cette injonction est adressée au ministre en tenant compte de « l’état de la législation ». Cette incidente peut laisser à penser qu’une évolution de la législation pourrait hypothéquer cette injonction. D’aucuns ont d’ailleurs déjà évoqué l’idée que l’obligation légale vaccinale pourrait être étendue afin de couvrir les vaccins actuellement commercialisés. Cela réglerait effectivement le problème de la pénurie frappant les seuls vaccins antidiphtérique, antitétanique et antipoliomyélitique. Les laboratoires et les pouvoirs publics y trouveraient probablement leur compte. En irait-il de même des personnes assujetties à de telles obligations vaccinales ?

 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
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