VVAAAaccin contre l'hépatite B et sclérose en plaques : la CEDH valide le régime français de la prescription

20.02.2020

Droit public

Dans une action en réparation des préjudices causés par un vaccin contre l'hépatite B, la Cour européenne des droits de l'Homme valide le régime français de la prescription mais censure le défaut de motivation du rejet de renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne.

La société Sanofi, exploitant du vaccin contre l’hépatite B (GenHevac B), aaaaaa introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour méconnaissance des règles du droit à un procès équitable garanties par l’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH). Elle reproche à la législation française de faire courir le délai de prescription de l’action en réparation d’un préjudice corporel à partir de la date de consolidation du dommage et à la Cour de cassation de ne pas avoir justifié son refus de transmettre une question préjudicielle sur ce point à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Par un arrêt provisoire du 13 février 2020, la Cour de Strasbourg conclut, à l’unanimité, que les modalités de fixation du point de départ de la prescription de l’action en réparation d’un préjudice corporel ne portent pas atteinte au droit à un procès équitable, mais estime que le défaut de motivation de la décision de rejet de renvoi préjudiciel viole les stipulations de l’article 6.1 de la Convention.
Faits et procédures juridictionnelles
En l’espèce, une élève infirmière a été vaccinée en 1992 contre l’hépatite B et a développé une sclérose en plaques, diagnostiquée en 1993. Sa vaccination présentant un caractère obligatoire, elle a demandé à l’ONIAM l’indemnisation de ses préjudices en application de l’article L. 3111-9 du code de la santé publique. Une indemnisation de plus de 650 000 euros lui est accordée à la suite d’un recours devant la juridiction administrative (CAA Bordeaux, 10 déc. 2009, n° 07BX01625).
Elle a par la suite assigné le laboratoire Sanofi devant la juridiction civile en vue d’obtenir une indemnisation en raison de l’aggravation des préjudices dont elle  a obtenu réparation. Par un jugement du 3 septembre 2012, le tribunal de grande instance de Toulouse a déclaré son action recevable et, par un arrêt du 10 février 2014, la cour d’appel de Toulouse a confirmé ce jugement, faisant courir la prescription décennale à partir de la consolidation du dommage.
En l’occurrence, la demanderesse arguait d’un manquement de la société requérante à l’obligation de sécurité résultant des anciens articles 1135 et 1147 du code civil, interprétés à la lumière de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (cette dernière prévoyant que l’action en réparation se prescrit dans un délai de 3 ans à compter de la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur).
Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, l’action en responsabilité civile dirigée contre le fabricant d’un produit défectueux mis en circulation avant la loi de transposition de la directive (loi n° 98-389 du 19 mai 1998), en raison d’un dommage survenu entre l’expiration du délai de transposition (31 juillet 1988) et l’entrée en vigueur de la loi (21 mai 1998), se prescrit selon les règles du droit interne alors en vigueur, soit 10 ans à compter de la manifestation du dommage, en application de l’ancien article 2270-1 du code civil (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-18.117).
Saisie par le laboratoire Sanofi d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse, la Cour de cassation devait préciser que le délai de prescription de l’action en responsabilité civile, délai décennal en application des articles 2270-1 du code civil et L. 110-4 du code de commerce (dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008) ne court qu’à compter de la consolidation du dommage (Cass. 1re civ., 12 nov. 2015, n° 14-17.146).
Cette solution a déjà été rendue dans un précédent arrêt relatif à des faits analogues (Cass. 1re civ., 15 mai 2015, n° 14-13.151) et a été par la suite confirmée à plusieurs reprises (Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-20.022 ; Cass. 1re civ., 16 nov. 2016, n° 15-26.018 ; Cass. 1re civ., 17 janv. 2018, n° 16-25.817 ; Cass. 1re civ., 31 janv. 2018, n° 17-11.259).
Validation des modalités de la prescription de l’action en réparation d’un préjudice corporel
Le premier moyen développé par le laboratoire concernait le régime de prescription décennale de l’action en réparation. Le laboratoire Sanofi reprochait au dispositif français, tel qu’interprété par la Cour de cassation, de placer le producteur d’un produit défectueux à l’origine d’un dommage corporel sous un régime d’imprescriptibilité factuelle, en faisant courir le point de départ du délai de prescription au jour de la consolidation du dommage.
Estimant que la pathologie dont souffre la victime d’un vaccin défectueux est par nature évolutive (sclérose en plaques), le laboratoire estimait que le point de départ du délai de prescription se trouvait mécaniquement reporté, tant que la consolidation n’était pas médicalement constatée.
Dès lors qu’une maladie n’est pas susceptible de consolidation, toute action en réparation devient, de fait, imprescriptible (du moins tant que la victime est en vie, la prescription décennale commençant toutefois à courir à compter du décès de la victime pour l’action introduite par les ayants droit).
La Cour européenne a considéré que la conciliation entre deux droits garantis par la Convention, le droit d’accès à la justice du demandeur et le droit à la sécurité juridique du défendeur, laissait une marge d’appréciation aux Etats et qu’elle n’entendait pas s’immiscer dans les choix opérés par eux pour parvenir à cet équilibre.
Le choix opéré par le système français de faire prévaloir le droit des victimes de dommages corporels n’a pas été jugé comme constituant une violation des stipulations de l’article 6.1 de la CESDH.
Ce faisant, la décision confirme implicitement la conventionnalité des actuelles dispositions de l’article 2226 du code civile suivant lesquelles « l’action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ».
Violation du droit au procès équitable pour défaut de motivation de renvoi préjudiciel devant la Cour de justice
Le second moyen développé par le laboratoire à l’appui de sa requête concernait le refus par la Cour de cassation, dans son arrêt du 12 novembre 2015, de renvoyer une question préjudicielle à la CJUE.
Ce type de contentieux n’est pas nouveau. Pour la CEDH, la Convention ne garantit pas, comme tel, un droit à ce qu’une affaire soit renvoyée à titre préjudiciel à la Cour de Luxembourg. Toutefois, le refus d’accepter un renvoi peut être jugé arbitraire dans une affaire où les normes applicables ne prévoient pas d’exception à l’acceptation d’un renvoi ou lorsque le refus repose sur d’autres raisons que celles qui sont prévues par ces normes, ou lorsqu’il n’est pas dûment motivé. C’est ce dernier point qui était en cause devant la Cour de Strasbourg.
Selon la jurisprudence de cette dernière, l’article 6.1 de la CESDH met à la charge des juridictions internes une obligation de motiver, au regard du droit applicable, les décisions par lesquelles elles refusent de poser une question préjudicielle (CEDH, 10 avr. 2012, Vergauwen c/. Belgique, n°4832/04).
Conformément aux exigences dégagées par l’arrêt de principe de la Cour de justice à propos du renvoi préjudiciel (CJCE, 6 oct. 1982, Cilfit, n° 283/81), les juridictions nationales dont les décisions ne sont susceptibles d’aucun recours interne doivent indiquer les raisons pour lesquelles elles considèrent que la question préjudicielle n’est pas pertinente, ou que la disposition de droit de l’Union européenne en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour de justice, ou encore que l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable (CEDH, 20 sept. 2011, Ullens de Schooten et Rezabek c/. Belgique, n° 3989/07 et 3853/07).
Un arrêt de la Cour de cassation italienne a ainsi été considéré comme méconnaissant cette obligation de motivation pour avoir refusé de renvoyer une question préjudicielle concernant le droit à une allocation accordée à un travailleur étranger au regard de l’Accord euro-méditerranéen conclu entre l’Union européenne et la Tunisie (CEDH, 8 avr. 2014, Dhahbi c/ Italie, n° 17120/09).
En revanche, la Cour de Strasbourg a récemment conclu à la non-violation de l’article 6.1 par une decision de la Cour fédérale de justice allemande, estimant qu’une juridiction suprême peut refuser d’effectuer un renvoi préjudiciel à la CJUE sans violer le droit à un procès équitable, si une juridiction inférieure, saisie avant elle, a préalablement fourni un raisonnement détaillé à cet égard (CEDH, 11 avr. 2019, Harisch c/. Allemagne, n° 50053/16). 
Dans l’affaire dont elle était saisie par le laboratoire Sanofi, la CEDH a estimé que la Cour de cassation française s’est bornée à indiquer qu’elle concluait au rejet du pourvoi sans se référer à l’un des trois critères établis par la jurisprudence Cilfit, rien n’indiquant qu’elle aurait estimé que les dispositions de droit de l’Union avaient déjà fait l’objet d’une interprétation par la CJUE ou que l’application correcte du droit de l’Union s’imposait avec une telle évidence qu’elle ne laissait place à aucun doute raisonnable. En outre, les motifs de l’arrêt de la Cour de cassation ne contenaient aucun élément dont il pourrait être déduit qu’elle aurait considéré que les questions soulevées par le laboratoire n’étaient pas pertinentes au regard du régime de responsabilité résultant de la directive 85/374/CEE.
La motivation de l’arrêt de la Cour de cassation ne permettant pas d’établir si ces raisons ont été examinées, elle a été jugée comme constituant une violation des règles du droit à un procès équitable garanties par l’article 6.1 de la Convention.

 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Jérôme Peigné, Professeur à l'université de Paris (Institut droit et santé)
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