«L’AFJE se doit d’être active dans le cadre des affaires publiques»

«L’AFJE se doit d’être active dans le cadre des affaires publiques»

17.05.2022

Gestion d'entreprise

Le 16 mai, Jean-Philippe Gille débutait son mandat de président désigné de l’AFJE. Il a été nommé à l’unanimité par le conseil d’administration de l’association en mars dernier. Il revient pour nous sur les actions prioritaires qu’il entend mener, dont celle de participer au débat législatif.

Jean-Philippe Gille a adhéré à l'AFJE en 1997, lorsque l'association était encore toute jeune. Depuis, son engagement associatif n'a cessé : il est entré au conseil d'administration de l'association en 2006, en est devenu le trésorier, a œuvré à sa structuration, ainsi qu'à dynamiser les délégations régionales (19 délégations régionales) et à moderniser les commissions d'experts (12 commissions réunissant près de 200 experts) que l'AFJE dénombre. 

Depuis le début de sa carrière, Jean-Philippe Gille exerce ses fonctions en entreprise. Il a évolué au sein de grands groupes français et internationaux (actuellement chez Lactalis en tant que directeur juridique affaires corporate groupe, mais aussi chez Servier où il a été responsable du département droit des sociétés ou encore juriste généraliste au sein du groupe TF1).

Quelles sont les qualités qui vous ont permis de devenir le président de la première association française des juristes d’entreprise ?

A l’AFJE, d’un président à l’autre, il y a une passation. L’homme ou la femme qui endosse la fonction est désigné pour ses compétences spécifiques recherchées par l’association à un moment particulier. Sabine Lochmann, par exemple, est la première qui a véritablement mis en lumière l’AFJE sur la scène publique. Stéphanie Fougou a aussi permis à l’association de se développer à travers l’organisation du premier Grenelle du Droit. Marc Mossé, quant à lui, a été choisi car sa fibre affaires publiques était tout à fait adaptée pour relever notamment le challenge, vis-à-vis des pouvoirs publics, de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise. Je tiens à saluer son action et le remercier à la fois au nom de l'association mais aussi à titre personnel. Ma candidature intervient à un moment où l’association s’est considérablement développée, notamment dans les régions. Je suis membre de l’association depuis longtemps et j’y ai assumé de nombreuses fonctions. Je suis connu pour mon écoute, ma proximité et ma volonté tenace d’agir. Le Conseil a estimé que mon expérience et ma personnalité permettront de porter plus loin cette belle aventure qu’est l’AFJE. Nous entrons dans une période où l’association, pour continuer à se développer, doit se structurer encore davantage et travailler sur le thème de la transmission.

Quelles sont les priorités de votre mandat ?

Il y a cinq grands chantiers sur lesquels l’AFJE se doit d’être présent. Il y a la question du service public de la justice. On ne peut pas se satisfaire d’un service public en souffrance. Les entreprises, tout comme le citoyen, ont besoin d’une justice qui fonctionne. Ce sera notamment le challenge de Besma Boumaza, vice-présidente en charge du « portefeuille métiers du droit » au sein de l’association, avec plusieurs chantiers. En tant que juristes d’entreprise nous sommes pragmatiques et cherchons à trouver des solutions. Faut-il envisager que les magistrats, pour se consacrer à la qualité des jugements, puissent bénéficier de l’appui de juristes pouvant leur préparer les dossiers ? Pourquoi pas… Nous serons force de propositions, à l’écoute et nous essaierons de nous mobiliser autant que possible sur ce défi collectif.

Autre sujet : celui de la RSE. Les entreprises, du fait des transferts de souveraineté de plus en plus importants, sont appelées à sortir de leur rôle traditionnel, notamment sur ce thème. Beaucoup ont compris qu’il ne pouvait y avoir désormais de croissance rentable sans une croissance responsable. Les juristes d’entreprise qui opèrent la médiation entre la ré et le business, doivent se former davantage dans ce domaine. L’AFJE a un double rôle à jouer : de formation au sein de la profession et d’éclairage dans le cadre de la fabrique du droit. Quand le Parlement ou une agence de régulation nous pose des questions sur un projet de loi ou de régulation, l’AFJE à travers ses commissions d’experts sera en mesure d’apporter un éclairage de praticiens. En matière de RSE, une course est engagée et il faut s’impliquer.

Après la RSE, il y a le sujet de la confidentialité que j’aurais pu présenter en premier. Les entreprises françaises ont vécu ces 20 dernières années, un véritable « choc de conformité ». L’effort est considérable et l’étude réalisée par Ethicorp et l’AFJE, sur la loi Sapin II par exemple, montre que les entreprises n’ont pas encore achevé leurs travaux. Après avoir mis en place des programmes, elles vont rentrer dans la phase de gestion de la compliance, notamment celle des alertes internes. Les entreprises vont alors découvrir que la confidentialité manque aux avis de leurs juristes. Certaines dispositions font d’ailleurs reposer sur la tête des juristes d’entreprise, qui gèrent les alertes, une responsabilité pénale avec une peine d’emprisonnement et une amende en cas de rupture de la confidentialité dans le cadre de l’administration de la procédure d’alerte. Comment, en tant que juriste, puis-je préserver la confidentialité de l’alerte si je ne bénéficie pas de celle de mes écrits ? Comment peut-on prétendre entrer dans l’air de la compliance sans permettre aux juristes de faire un diagnostic qui puisse être considéré en tant que tel comme une violation du droit ? Je suis très attaché à l’écosystème juridique français. J’aimerais que les pouvoirs publics se rendent compte que si demain les directions juridiques se trouvent dans l’obligation - faute de disposer en France de la protection reconnue dans d’autres pays limitrophes - de migrer alors il y aura deux effets. D’abord un abaissement des honoraires des cabinets des avocats français et aussi, à terme, une réduction des débouchés pour nos étudiants. Il est temps de traiter rapidement ce dossier anachronique. L’AFJE est pragmatique : nous avons toujours soutenu les projets qui permettaient d’avoir la confidentialité quelque soit la voie utilisée (ndlr : avocat en entreprise ou legal privilege). Nous avons soutenu les avocats lors du débat sur leur secret professionnel. Nous ne pouvons désormais plus attendre.

Certains évoquent une autre solution : celle de doter le compliance officer d’un statut à part dans son entreprise. Qu’en pensez-vous ? 

Cette voie est trop spécifique. Pourquoi certains juristes disposeraient-ils du legal privilege et pas d’autres ? Cela ne ferait qu’accentuer la fragmentation que nous pouvons déjà observer et qui n’est pas tenable. Actuellement, un directeur juridique américain peut refuser de transmettre un dossier à un directeur juridique français (même lorsqu’il est son supérieur hiérarchique et qu’il doit légitimement intervenir sur le dossier), au prétexte que cela romprait la chaîne de confidentialité. Est-ce que c’est normal ? Et tolérable en pratique au sein des entreprises ? Non ! Nous sommes au 21e siècle et nous évoluons dans un environnement économique et juridique mondialisé. Il n’est pas possible que les juristes d’entreprise ne disposent pas du legal privilege d’une manière ou d’une autre. La Cour de Cassation elle-même, dans une récente décision, reconnaît le besoin de la profession en la matière. Il est temps que le législateur intervienne au nom de la compétitivité et de la souveraineté économique de notre pays. Nous l’appelons à le faire.

Évoquons les autres défis, comme celui du numérique…

Nous sommes tous, en tant que managers juridiques, très intéressés par les gains d’efficience liés aux technologies. Les échanges entre les juristes et les legal tech sont de ce point de vue fructueux. Mais je crois qu’il faut aller plus loin. Il faut que les professions se mobilisent avec l’Université sur l’impact des technologies sur le droit. il est très important que les praticiens du droit en entreprise dialoguent davantage avec les universitaires. Par exemple sur l’évolution du concept de responsabilité à l’aune des nouvelles technologies ? Ou sur le principe juridique fondamental du consentement ? Demain, nous n’allons probablement plus rédiger des contrats comme avant ni gérer les contentieux comme avant. Tout cela va dépendre de l’impact des technologies sur la matière juridique elle-même. L’AFJE doit, avec les Universités, être porteuse de sujets de réflexions – pour promouvoir davantage la recherche fondamentale et appliquée en droit – pour revisiter un certain nombre de concepts juridiques clés.

Ultime priorité : le travail sur la notion de lawfare. Aujourd’hui, le droit n’est plus juste un outil de sécurisation des rapports entre les entreprises et les individus. Le droit est utilisé comme une arme. Certains pays savent très bien le faire. Globalement, les entreprises françaises n’ont pas une culture de défense contrairement aux sociétés anglo-saxonnes qui ont compris les interactions entre économie, diplomatie et éventuellement guerre. Aujourd’hui des entreprises françaises peuvent être ciblées par des cyberattaques ou des actions de guerre économique. Nous organiserons des cycles de conférences à cette fin avec des partenaires spécialisés. Nous avons aussi beaucoup de choses à dire sur l’extraterritorialité - que nous vivons au quotidien - dans le cadre de la fabrique du droit au niveau national et européen avec l’appui de l’ECLA dont l’AFJE est membre.

Votre volonté c’est d’être encore plus présents auprès des politiques pour influer sur la fabrique du droit ?

L’AFJE se doit d’être active dans le cadre des affaires publiques. Comment concevoir un écosystème juridique et économique sans les juristes d’entreprise ? Nous devons nous faire connaître. Le travail remarquablement mené par Marc Mossé doit être poursuivi. En ce sens, l’association s’adressera prochainement au Président de la République et au Gouvernement de manière officielle une fois celui-ci formé pour faire connaître ses projets au service de l’écosystème juridique et de la souveraineté économique. L’AFJE se mobilisera également en régions à l’occasion des élections législatives pour faire entendre la voix des juristes d’entreprise.

Quels sont les défis du juriste de demain selon vous ?

Le mouvement de la conformité est un mouvement profond. Il sera requis de tous les juristes d’entreprise de savoir manier ses outils techniques qu’il s’agisse de RGPD, de RSE ou encore d’anticorruption. Afin de les y préparer, nos échanges avec les Universités, doivent être renforcés.

Un des objectifs que s’est fixée l’association repose dans le fait de se structurer et de se moderniser. Qu’allez-vous mettre en œuvre ?

Ma volonté c’est de faire en sorte d’accélérer la structuration de l’association pour qu’elle soit plus forte et capable d’aller plus loin. Nous comptons 7 000 membres. La population des juristes d’entreprise représente 20 000 personnes. Il nous faut grandir et nous organiser pour cela. Notre structuration va reposer, par exemple, sur la mise en place d’un plan stratégique avec des plans d’actions coordonnés - à plus ou moins long terme - dans chacune des missions incarnées par les vice-présidents. Nous allons aussi mettre l’accent sur la formation de la centaine de « cadres » actifs (responsables des commissions, délégués régionaux, membres du conseil d’administration, etc.). L’AFJE repose avant tout sur un travail d’équipe et de bénévoles. Je souhaite travailler en équipe avec les vice-présidents afin que l’association puisse mieux rayonner.

Concernant la modernisation, nous avons des projets « techs ». Nous nous sommes digitalisés en organisant des événements sous forme de webinaires, de conférences-visio et nous avons même testé le « live tweet » en son temps. La pandémie a accéléré le mouvement avec un gros apport des régions. Aujourd’hui 75 % de nos évènements sont proposés à distance. La prochaine édition du campus de l’AFJE sera vraisemblablement organisée sur ce mode.

Nous avons d’autres projets de développements. Nous testons actuellement un projet de plateforme pour animer les différentes communautés de l’association.

propos recueillis par Sophie Bridier

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