[Bonnes pratiques] Un ergonome dans ma PME ? Pourquoi pas !

[Bonnes pratiques] Un ergonome dans ma PME ? Pourquoi pas !

25.10.2018

HSE

Sans tabou quant à leur sensibilité à la santé au travail, trois dirigeants de PME témoignent, lors du congrès de la Self à Bordeaux, de leur prise en compte de ces questions avec leurs équipes. L'un a fait la rencontre de l'ergonomie après un courrier quelque peu inquiétant de la Carsat, quand le second tire sa prise de conscience de sa propre expérience de "gladiateur", et que le troisième cherche la clé pour arrêter le turn-over.

"J'ai fait de l'ergonomie sans m'en rendre compte", confie William Fort, reconnaissant qu'il était il n'y a pas si longtemps, peu sensibilisé aux questions de santé au travail et encore moins à l'ergonomie. Pour ce directeur d'une agence Allez & Cie – un constructeur de réseaux électriques – dans le Sud-Ouest, qui se considère au quotidien comme étant à la tête d'une PME, la tête dans le guidon, tout a commencé avec un courrier de la Carsat.

On lui annonce la visite d'un contrôleur parce que son entreprise a une sinistralité importante. "Quand le dirigeant reçoit une lettre comme ça, il s'inquiète. On connaît le contrôleur Urssaf et le contrôleur fiscal, quand celui de la Carsat arrive, on se demande combien ça va encore nous coûter. Et puis finalement, ça c'est bien passé." Avec des câbles électriques lourds, qu'il faut tirer, l'entreprise a notamment des problèmes de TMS (troubles musculosquelettiques). "Très vite, le contrôleur Carsat m'a expliqué qu'il allait nous aider à trouver des solutions pour progresser, et nous aider financièrement."

Touret ou treuil ?

William Fort se rend rapidement compte qu'il a beaucoup à faire. Il commence par acheter dans des treuils de tirage mécanisés. Mais lors d'une visite dans l'atelier, il constate que ces treuils restent à quai. Chaque matin, les ouvriers équipent leur fourgon, muni d'un attelage et ils doivent trancher : attèlent-ils le touret, avec les câbles à installer, ou le treuil mécanisé ?

Le dilemme est vite résolu : pour faire leur métier, ils n'ont pas d'autre choix que de prendre le câble ; ils se passeront du treuil mécanisé. "Il faut aller sur le terrain pour comprendre", sait maintenant le dirigeant. L'entreprise a investi dans de nouveaux treuils, plus petits, qui peuvent cette fois être chargés dans le fourgon.

Lorsque le contrôleur Carsat repasse quelques mois plus tard, voulant voir le matériel acheté avec les subventions, il tombe mal : il n'y a rien à l'atelier, tout est parti ce jour-là avec les opérateurs, sur les chantiers. "C'est là qu'on voit qu'on a réussi", commente le chef d'entreprise, soucieux aujourd'hui de partager son expérience, comme lors du congrès de la Self (société d'ergonomie de langue française) à Bordeaux, le 5 octobre 2018.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Tabou

Stéphane Blanchard, dirigeant "plutôt orienté RH" chez Taquipneu, est moins avancé dans sa démarche. Il n'en est pas moins volontaire, lui qui se dit "en pleine remise en question" et est à la recherche de clés. "Je suis curieux de ce que vous êtes, déclare-t-il au parterre d'ergonomes. C'est pour ça que je suis venu aujourd'hui."

L'entreprise est spécialiste des pneus – avec tous les services liés – pour une clientèle professionnelle, donc plutôt pour des poids-lourds, par exemple. "On doit être toujours en réaction, on fait du dépannage, il faut que ça aille vite, raconte Stéphane Blanchard. Les clients sont assez peu conscients de ce que l'on met en œuvre pour eux, et on a des employés qui se donnent au travail sans réfléchir, en oubliant leur santé et la sécurité". Il reconnaît que la prévention, "culturellement, c'est tabou".

Mauvais soufflé

"On évolue tous les jours, y compris – et c'est une bonne chose – parce qu'on y est contraints, comme pour le CHSCT. On a évolué sur l'analyse, sur l'arbre des causes en cas d'accident… mais ça s'arrête un peu là. Tout ce qu'on déploie, après une réunion CHSCT, a tendance à retomber comme un mauvais soufflé sorti trop tôt du four", confie Stéphane Blanchard, déconfit.

Aujourd'hui, il doit absolument trouver une solution, face à un absentéisme et un turn-over élevés. "C'est un problème exponentiel : plus on a d'absents, plus on sollicite les présents ; plus on sollicite les présents, plus on a d'absents." Les jeunes ne restent pas, alors que chaque recrutement est un investissement puisque, faute de filière de formation adaptée, l'entreprise doit elle-même apprendre le métiers à ses recrues.

Le dirigeant se désole de voir partir "des jeunes, vaillants, à qui l'ont a appris le métier, leur en donnant le goût, le rendant intéressant". "Quand ils commencent à se faire mal, à souffrir, ils jettent l'éponge très vite, en quelques mois."

Gladiateurs

"Tu ne viens pas ici pour te faire mal." Cette phrase, Jacques Losse la proclame à chaque nouveau venu dans son entreprise de maçonnerie et de génie civil du Lot-et-Garonne. Puis il la répète, régulièrement. Il faut dire qu'il sait de quoi il parle. Il a commencé sur les chantiers et y a travaillé une dizaine d'années. C'est sans doute grâce à sa propre expérience qu'avec sa quarantaine de salariés, Jacques Losse réussit à aborder assez facilement les questions du travail réel, de la santé au travail et des conditions de travail.

"On était des gladiateurs, se souvient-il. C'était à celui qui allait porter le plus de poids. À l'époque, les sacs de ciment faisaient 50 kilos, on s'amusait à les porter par deux." Le gladiateur est devenu cadre, puis dirigeant, et il s'est rendu compte "qu'à 40 ans, les gars ne pouvaient plus porter de poids", trop abîmés. "Avoir fait moi-même les conneries au départ m'a amené à réfléchir."

Nacelles au lieu d'échafaudages, formations gestes et postures et secouristes du travail, Caces, échauffements "causeries" chaque trimestre autour de la santé-sécurité… L'entreprise semble aujourd'hui exemplaire dans un secteur qui reste fortement accidentogène. "On essaie toujours de respecter les délais, mais on essaie aussi de faire comprendre aux gens qu'il y a toujours plus grave, et que rien n'est assez urgent pour que l'on prenne le risque de blesser quelqu'un."

Coopération

Pour ces trois chefs d'entreprises, même avec des niveaux de maturité différents, il est aujourd'hui clair que "dès qu'on s'intéresse aux conditions de travail, qu'on s'occupe des salariés en difficulté, on avance sur beaucoup de sujets, bien au-delà du problème de départ", comme le dit William Fort, racontant une adaptation de poste qui lui a sans doute permis d'éviter le licenciement pour inaptitude.

Pour la santé-sécurité, l'échelle de la petite PME (moins d'une cinquantaine de salariés) peu être un atout, parce qu'elle permet une "proximité essentielle", selon Jacques Losse. Mais cela peut aussi être un frein : comment dégager des moyens suffisants pour embaucher un responsable HSE ?

"La bonne réponse est souvent la coopération", répond William Fort. Il adhère pour sa part à un groupement d'employeurs, créé pour évoquer les problématiques d'insertion, de recrutement et de formation. Demain, ce lieu de rencontres entre dirigeants pourrait bien leur apporter un poste mutualisé de responsable QSE.

Élodie Touret
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