[interview] Arnaud Gossement : "Jusqu’où doit aller l’étude d’impact ?"

21.06.2023

HSE

"On aujourd'hui assiste à une véritable révolution de l'étude d'impact", estime l'avocat Arnaud Gossement. Il commente la récente décision du Conseil d'État confirmant l'interdiction d'exploiter de la centrale biomasse de Gardanne. L'étude d'impact ne prenait pas assez en compte les effets indirects de l'approvisionnement. "Les études d'impact ne satisfont personne", expose l'avocat. Il propose la création d'un fonds indépendant qui permettrait de les financer.

BERTRAND GUAY / AFPAvocat spécialisé en droit de l'environnement, Arnaud Gossement a fait ses armes entre 2003 et 2011 au sein du cabinet Huglo Lepage. Il a également été administrateur de l’association France nature environnement (FNE) entre 2006 et 2009. En 2012, il fonde le cabinet Gossement avocats et enseigne depuis 2019 comme professeur de droit à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne. 

► Il a commenté sur son blog la décision du Conseil d’État du 27 mars 2023 confirmant l’annulation de l’autorisation d’exploiter la centrale biomasse de Gardanne.

 

Le 27 mars 2023, le Conseil d’État a confirmé l’annulation d’autorisation d’exploiter de la centrale biomasse de Gardanne. Pourriez-vous expliquer cette décision ? 

Arnaud Gossement  : Elle fait suite au recours de plusieurs associations – dont FNE – qui s’opposait à la transformation d’une unité de production de cette centrale du charbon vers la biomasse. S’il s’agit d’une énergie renouvelable, le projet soulevait des inquiétudes quant à la consommation massive d’intrants. Selon les associations, ces intrants viendraient de l’étranger (Brésil, puis Europe) ce qui pourrait être nuisible pour l’environnement, à la fois en termes d’atteinte à la forêt et de transport.  

Un arrêté du 29 novembre 2012 avait d’abord autorisé le projet de l’exploitant, à l’époque E-ON - Société nationale d'électricité et de thermique. Attaqué par les associations, cet arrêté a été annulé par le tribunal administratif de Marseille en 2017, puis rétabli en appel en 2020. Après la décision prise en mars par le Conseil d’État, la cour administrative de Marseille devra rejuger l’affaire. 

Toute la question porte sur l’évaluation environnementale. Que doit-on analyser dans l’étude d’impact ? Seulement les effets directs ou aussi les effets ricochets ? Sur ce point, le Conseil d’État considère que : "les principaux impacts sur l'environnement de la centrale par son approvisionnement en bois, et notamment les effets sur les massifs forestiers locaux, doivent nécessairement être analysés dans l'étude d'impact". 

L’étude d’impact aurait donc dû évaluer l’effet de la centrale sur la forêt. C’est une première décision, extrêmement importante. L’étude de l’exploitant – aujourd’hui GazelEnergie – devrait être complétement bouleversée. 

Quelles vont être les conséquences pour d’autres affaires, comme celle de La Mède 

Arnaud Gossement  : Déjà, il faut noter que cette décision n’est pas une surprise, puisque la prise en compte des effets indirects est demandée par le droit européen – ce droit est d’ailleurs lui-même en train d’évoluer avec la proposition de règlement relatif à la restauration de la nature. En fait, on assiste aujourd’hui à une véritable révolution de l’étude d’impact.  

Donc pour revenir sur cette décision française, elle aura en effet des conséquences sur tous les projets. Les associations s’en félicitent ; toutefois, elle ne signifie pas que tous les projets s’approvisionnant à l’étranger vont être annulés, mais bien que toutes les études d’impact devront prendre en compte les effets de l’approvisionnement, y compris à l’étranger. 

Ceci étant dit, il est rare aujourd’hui que les études d’impact ne contiennent rien sur ce sujet. En réalité, la question de l’approvisionnement et de ses effets est déjà souvent traitée. Donc la véritable question, c’est le niveau de détail, le degré de précision, qui va être demandé par le juge. Jusqu’où doit aller l’étude d’impact ? Ça, on ne sait pas. De plus, l’approvisionnement peut varier dans le temps. Comment fait-on ? L’étude d’impact doit-elle être modifiée à chaque fois que l’approvisionnement change ?  La décision du Conseil d’État soulève en réalité beaucoup de questions. 

Quelle solution imaginez-vous ?  

Arnaud Gossement  : Le droit européen de l’environnement donne aux porteurs de projet la responsabilité de ces études : mais pour eux, elles deviennent de plus en plus lourdes et coûtent de plus en plus cher – des dizaines de milliers d’euros. Ce qui ne pose pas de problèmes aux multinationales ; mais pour des entreprises plus petites, cette complexification peut empêcher de réaliser des projets. Quant aux associations, elles n'ont pas confiance en ces études, car elles sont financées par les industriels. Bref, les études d'impact ne satisfont personne.  

Pour rassurer le public quant à l’indépendance de ce travail, on pourrait imaginer une forme de financement mutualisé de ces études. Pourquoi pas créer à cet effet un fonds indépendant financé par une taxe ?

 

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Éva Thiébaud
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