D’un "idéal de santé" à un "idéal gestionnaire" : la sociologue du travail Blandine Barlet développe un point de vue très critique sur l’évolution du positionnement des services de santé au travail, depuis la mise en œuvre de la pluridisciplinarité. Une analyse qui n’est pas sans faire écho à la réforme de la santé au travail qui se profile.
Blandine Barlet, sociologue du travail actuellement rattachée au laboratoire Irisso de l’université Paris Dauphine, publie un ouvrage consacré aux modifications de l’organisation de la prévention au sein des services de santé au travail : La santé au travail en danger, dépolitisation et gestionnarisation de la gestion des risques. Son enquête de terrain dans plusieurs services montre comment la mise en place de la pluridisciplinarité a accompagné une logique de sécurisation juridique des employeurs, en les assistant dans leurs responsabilités de gestion des risques. |
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Blandine Barlet : Le système de médecine du travail était auparavant pensé par l’État comme un prolongement d’un service public consistant à protéger la santé des salariés. Mon enquête montre un glissement vers une logique d’assistance de l’employeur en matière de gestion des risques. Il faut certes gérer les risques, c’est du ressort de l’employeur, et des cabinets ou des intervenants extérieurs peuvent l’aider. Mais ce n’est pas la même chose que la protection de la santé des salariés vis-à-vis des atteintes dues à leur travail.
Le système précédent, loin d’être parfait, était basé sur une approche médicale. Pour beaucoup de médecins du travail, le contrat de base était de protéger les salariés des dangers sur leurs lieux de travail. Le médecin avait un rôle d’alerte, de garde-fou.
Blandine Barlet : Dans un contexte de pénurie de médecins du travail, la pluridisciplinarité a été développée, de nouveaux personnels ont été recrutés. Cette pluridisciplinarité présentée comme vertueuse a cependant été le cheval de Troie du déploiement d’une logique de prestation de services. La médecine du travail a longtemps été considérée comme une sorte de taxe que les employeurs subissaient.
Aujourd’hui, les pratiques pluridisciplinaires permettent aux services de mettre à la disposition des entreprises adhérentes une gamme de prestations présentées comme des contreparties à leur adhésion, cela va de l’aide à la rédaction du document unique à des prestations plus poussées susceptibles d’être facturées.
Cette offre de services vise avant tout à la satisfaction des entreprises adhérentes. Le flou sur les bénéficiaires de l’action des services de santé au travail est central. Le bénéficiaire est l’employeur, celui qui paye, avec cette idée sous-jacente qu’aider l’employeur revient à aider le salarié. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Blandine Barlet : Dans quelques services soucieux de ces enjeux, la présence des IPRP et la constitution d’équipes ayant des objectifs clairs de prévention ont pu permettre une meilleure adéquation avec ces missions. Mais dans bien des cas, ce n’est pas ce qui s’est passé. La mise en place de la pluridisciplinarité a été bricolée, elle n’a pas permis de renforcer la prévention. En l’absence de politique claire, les directions ont embauché ces personnels sans trop savoir quelles missions leur confier.
Pour les psychologues par exemple, s’agit-il de les mobiliser sur l’accompagnement individuel de salariés en détresse ou bien de leur permettre d’intervenir sur des problématiques d’organisation du travail ? Psychologues, ergonomes ou toxicologues sont pris dans ces logiques de prestations sans disposer des marges de manœuvre pour mener à bien leurs missions.
Dans les petits services, les secrétaires se sont transformées en assistants de santé travail, et font un travail de métrologie. Les AST et les IPRP se retrouvent en première ligne sur le terrain, alors qu’il ne sont pas des salariés protégés comme les médecins.
Les médecins gèrent des équipes de préventeurs, certainement bien intentionnées, mais qui n’ont pas les moyens d’extraire les salariés des situations de travail à risque.
Blandine Barlet : L’idée qui prévaut est qu’un service de santé au travail doit être géré comme une entreprise. Il s’agit d’optimiser la gestion afin de garantir l’efficacité du système. Mais qu’est-ce que l’efficacité d’un service de santé au travail, qu’est-ce qu’une bonne gestion alors que les objectifs de santé et de bien-être des salariés ne sont plus la priorité ?
Les IPRP se plaignent beaucoup du reporting exigé par leurs directions, ils doivent renseigner des tableaux Excel en détaillant leurs activités à cinq minutes près. Le temps passé à échanger au téléphone ou en entretien, par exemple dans le cas d’une problématique de RPS dans une entreprise, ne rentre pas dans les cases des modèles de prestations protocolisées. Ce nouveau management dans le domaine de la santé au travail a rendu acceptable un glissement vers un idéal gestionnaire et non plus vers un idéal de santé.
HSE
Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement.
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