[Interview] Christèle Hubert-Putaux, d'Eurogip : "on ne peut pas certifier l'humain"

[Interview] Christèle Hubert-Putaux, d'Eurogip : "on ne peut pas certifier l'humain"

12.03.2019

HSE

Quel est le rôle d'une norme technique d'application volontaire ? Pourquoi la France n'a pas soutenu l'ISO 45001 ? Christèle Hubert-Putaux, d'Eurogip, revient pour nous sur le rôle de la normalisation en santé sécurité au travail.

Tout comme la Caisse nationale d'assurance maladie, l'INRS et les services prévention des Carsat, Eurogip est un organisme de la branche ATMP. Il a été créé en 1991, notamment pour coordonner le travail de normalisation des experts de ces différentes organisations. On parle souvent de normes. Certaines sont très techniques, d'autres moins. Certaines sont obligatoires, d'autres restent d'application volontaire. Comment s'y retrouver ?

► On fait le point avec Christèle Hubert-Putaux, responsable du pôle normalisation-certification d'Eurogip, qui en profite pour nous faire part de la politique française en la matière. 

 

En quoi les normes peuvent-elles être utiles à la santé sécurité au travail ?

Christèle Hubert-Putaux : Avec la création du marché intérieur européen, les produits peuvent circuler librement. Des directives européennes, comme celles relatives aux équipements de protection individuelle ou aux machines par exemple, fixent des exigences essentielles pour la mise sur le marché. Les professionnels peuvent s’aider de textes : des normes techniques volontaires. Leur respect confère une présomption de conformité aux exigences essentielles aux produits fabriqués. Ces normes fixent des prescriptions pour la conception de produits (machines ou équipements de protection) ou pour le mesurage et les méthodes d'essai, de produits ou d'ambiances physiques (vibrations, bruit...). Ce sont des sujets très techniques. Cette normalisation est une façon de faire passer des messages de prévention de longue portée, en s’adressant directement aux concepteurs. 

La normalisation en santé sécurité concerne aussi les pratiques organisationnelles, comme l'ISO 45001. Qu’en pensez-vous ?

Christèle Hubert-Putaux : Ces dernières années les systèmes de normalisation internationale ont poussé pour traiter des sujets moins techniques et plus organisationnels. La France a voté contre depuis 1999. Notre position est qu’en SST, on doit se contenter d’une normalisation technique volontaire. Le domaine organisationnel relève de la réglementation et du dialogue social.

Et l'ILO-OSH 2001 alors ?

Christèle Hubert-Putaux : En normalisation, Afnor par exemple, le tour de table n’a pas toujours l’équilibre du dialogue social, les représentants des salariés, par manque de disponibilités notamment, ont parfois du mal à venir. Nous avons une préférence pour les lignes directrices du BIT parce qu'elles sont définies de manière tripartite. Autre argument : elles sont des conseils, et tous les conseils sont bons à prendre. Le problème d’une norme comme l’ISO 45001 est qu’il s’agit aussi d’un référentiel de certification. Or, on ne peut pas certifier l’humain. Le risque est qu’une entreprise certifiée se dise "je suis ok en SST". La prévention est affaire de personnes impliquées et convaincues, pas à la recherche de certification. Certains pays souhaitaient cette norme parce qu’ils ne sont pas suffisamment dotés de règlementation en la matière.

 

Lire aussi : ISO 45001 : "Le système ne fait pas la maîtrise du risque"

 

L’augmentation du nombre de normes techniques revient à créer des avantages concurrentiels. Cela ne dévoie-t-il pas le principe originel de la normalisation ?

Christèle Hubert-Putaux : Même si le concepteur suit la norme parce que le marché l'y contraint, le résultat va dans le bon sens, alors tant mieux. Notre conviction est que ces normes techniques apportent des résultats concrets, c’est l’essentiel.

Seules les normes obligatoires doivent être gratuites. Certaines sont recommandées par les textes de loi, comment expliquer qu’elles sont toujours payantes ?

Christèle Hubert-Putaux : Ce n'est pas le sujet de notre activité puisque nous travaillons sur les normes d'application volontaire. C'est au ministère de répondre à cette question. 

 

Gratuité des normes
Normalement, les normes rendues obligatoires par la réglementation doivent être rendues accessibles gratuitement par l'Afnor. Mais le Sénat fait remarquer dans un rapport de 2017 que ce n'est pas forcément le cas. "Votre rapporteur juge cette situation inacceptable tant au regard de l’article 17 du décret du 16 juin 2009 que de l’objectif constitutionnel d’accessibilité au droit. Dans la mesure où ces normes font l’objet d’une incorporation dans la réglementation, elles doivent, comme l’ensemble des autres règles législatives ou réglementaires, pouvoir être disponibles à tout moment de manière gratuite à l’ensemble des citoyens. Dès lors que les pouvoirs publics imposent aux citoyens – en ce compris les entreprises – d’appliquer ces normes, ils ont la responsabilité d’en garantir l’accès gratuit", peut-on lire dans le rapport. Dans une décision de 2016, le Conseil d’Etat a annulé pour cette raison l’arrêté qui rendait obligatoire la norme NF C18-510 sur le risque électrique. Elle est désormais "recommandée" par le code du travail.

 

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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