[interview] Intérimaires : "On pourrait imaginer des visites médicales collectives"

[interview] Intérimaires : "On pourrait imaginer des visites médicales collectives"

13.03.2020

HSE

Les entreprises de travail temporaire demandent un système de santé au travail propre et des visites médicales collectives. Leur organisation professionnelle aimerait que toutes soient dotées de préventeurs à temps plein.

Crédit : Olivier SeignetteLa sinistralité est plus importante chez les travailleurs intérimaires. C'est parce qu'ils occupent davantage des postes à risque, mais aussi parce qu'ils ne bénéficient pas toujours des mêmes mesures de prévention que les travailleurs permanents. De manière générale, entreprises de travail temporaire et utilisatrices se renvoient la balle de la responsabilité de cette situation. 

En vertu de l’article L.1251-21 du code du travail, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail relatives à la santé et la sécurité. Mais un arrêt de la Cour de cassation du 30 novembre 2010 rappelle le partage de la responsabilité de prévention des risques entre l’EU et l’entreprise d’intérim. L’accord relatif à la santé et la sécurité au travail dans le travail temporaire signé le 3 mars 2017 va aussi plutôt dans ce sens.

Cet accord est-il respecté ? Nous avons cherché la réponse auprès de Prism'emploi, l'organisation professionnelle du secteur. Il y a quelques jours, sa directrice générale, lors d'une table ronde, a esquissé les contours du système de santé au travail qu'elle appelle de ses voeux, alors qu'une réforme du système de santé au travail est annoncée pour bientôt. Nous l'avons aussi interrogée sur le sujet. 

Isabelle Eynaud-Chevalier est déléguée générale de Prism'emploi, qui regroupe 600 entreprises. Cette énarque a accompli la première partie de sa carrière dans l'administration. Elle y a occupé des fonctions dans les domaines de l'emploi, de la formation professionnelle et de la gestion des ressources humaines. Entre 2013 et 2018, elle était directrice générale adjointe du cabinet de conseil en ressources humaines LHH-Altedia.

 

Vous souhaitez que le fonds d’action sociale du travail temporaire "pilote la branche". De quoi serait-il chargé concrètement ?

Isabelle Eynaud Chevalier : Aujourd’hui, quand les entreprises de travail temporaire demandent des visites médicales de suivi aux services de santé au travail interentreprises, les délais sont fréquemment trop longs. Parfois les visites n’ont pas lieu du tout. Pour s’assurer qu’elles sont bien effectuées tous les deux ans, le fonds jouerait, entre autres, le rôle de centrale de réservation. Il aurait recours soit à un service autonome de branche, soit à des SSTI prestataires, cela reste encore à définir. Il redéfinirait aussi les contours de la visite. 

Qu’est-ce que vous reprochez à la visite actuelle ?

Isabelle Eynaud Chevalier : Aujourd’hui, le système traditionnel d’un médecin du travail face à une personne a un faible rendement. Il ne correspond pas à ce dont la plupart des personnes ont besoin. On pourrait imaginer des visites non pas individuelles mais collectives, organisées par métier ou par secteur par exemple, permettant de voir 10 ou 15 personnes en même temps. Cette démarche "en entonnoir" permettrait de mieux repérer les problèmes médicaux.

Comment les repérer si la visite est collective et donc que la confidentialité n'est pas assurée ? 

Isabelle Eynaud Chevalier : Cette visite serait couplée à un questionnaire, permettant au travailleur de décrire son état de santé, les postes qu’il occupe… Ce serait un matériau riche, qui pourrait même faire l’objet d’un traitement automatisé. Dans les cas qui le nécessitent, le travailleur serait reçu en entretien individuel. Nous ne serions plus dans une logique de visite mais plutôt de parcours.

 

Lire aussi : Passera-t-on bientôt sa visite médicale dans une capsule ?

 

Vous souhaitez aussi un serveur national d’aptitude. À quoi pensez-vous ?

Isabelle Eynaud Chevalier : L’initiative doit être étatique, la gestion du serveur ne nous reviendrait pas. Il dépendrait de l’interropérabilité des différents services de santé au travail, voire du futur France santé travail. Mais nous pourrions l’alimenter et nous y connecter. Ce serait une réponse simple à une question simple qui est de savoir si oui ou non un travailleur a bénéficié de sa visite médicale il y a moins de deux ans.

L’OPPBTP propose un remède au manque de traçabilité des intérimaires aussi, mais en matière de formation à la prévention. C’est le Pasi (passeport sécurité intérim). Qu’en pensez-vous ?

Isabelle Eynaud Chevalier : Le dispositif, pas inintéressant, a été mis en place de manière assez unilatérale par le secteur du BTP. Ses conditions de mises en œuvre sont éloignées des contraintes et réalités du terrain. Par exemple, la maîtrise du français est un prérequis à la formation. Or, beaucoup de travailleurs temporaires ne maîtrisent pas totalement la langue. Ensuite, il existe encore peu de centres de formation, les travailleurs sont donc parfois contraints à de longs déplacements.

 

Lire aussi : BTP : qu’est-ce que le passeport sécurité intérim ?

 

Cela peut-il faire baisser le taux de sinistralité d'après vous ?

Isabelle Eynaud Chevalier : C’est seulement une réponse en termes de formation alors que souvent les accidents ont lieu au moment de l’intégration ou de la remise du chantier (c’est-à-dire quand il y a une accélération de l’activité). Or, dans ces cas, ce n’est pas la formation mais bien l’encadrement des travailleurs et l’organisation du travail par les entreprises utilisatrices qui sont en cause. Si vous prenez le tragique accident mortel d’un homme de 54 ans l’été dernier : il n’était missionné que pour des travaux au sol et on l’a fait monter sur un échafaudage. Il a fait un malaise, puis a chuté. Être détenteur du Pasi ne l’aurait absolument pas prémuni de l’accident. Ce dispositif peut même avoir des effets pervers s’il devient l’alpha et l’omega de la prévention et déresponsabilise certaines entreprises utilisatrices.

Le Pasi repose sur une formation à la charge des entreprises de travail temporaire. Certaines financent donc ces formations ?

Isabelle Eynaud Chevalier : Oui bien sûr, quand cela nous est imposé. C’est une obligation de nature commerciale qui se transforme malheureusement en standard. Pourtant, ce n’est pas le levier le plus important pour prévenir des accidents mortels. Selon moi, un sujet qui n’a pas de sanction financière n’est pas un sujet qui peut être traité. Sans sanction, il ne peut y avoir de logique de prévention. Or, le fait que la cotisation repose largement sur les ETT a fait oublier que c’est bien à l’entreprise utilisatrice de s’assurer que le travailleur a bien reçu les bonnes informations sur son lieu de travail pour y être en sécurité.

 

Lire aussi : Faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice en cas d'absence de formation renforcée

 

Vous militez pour une modification du taux de cotisation AT-MP...

Isabelle Eynaud Chevalier : Nous demandons une répartition 50-50 pour tous les accidents du travail [contre aujourd'hui deux tiers pour l'ETT en cas d'incapacité permanente d'au moins 10 % et 100 % si l'IP est supérieure à 10 %, ndlr]. L’argent récupéré par la modification du taux de cotisation ne servirait pas à améliorer les marges des entreprises de travail temporaire mais pourrait être totalement intégré dans des actions de prévention. Nous pouvons imaginer des conventions signées avec des branches (ou même tripartites avec l’État) qui fixeraient des objectifs en matière de prévention et de sinistralité.

L’accord santé sécurité au travail dans l’intérim de 2017 prévoit la formation des salariés permanents des ETT à la sécurité des intérimaires. Est-ce bien respecté ?

Isabelle Eynaud Chevalier : C’est fait, mais c’est intégré dans la formation globale des salariés permanents. Il faut aller plus loin. Les TPE et PME de travail temporaire n’ont pas de préventeur à temps plein. Je suis convaincue que les ETT doivent avoir des personnes expertes de la prévention en capacité de travailler avec leurs homologues des entreprises utilisatrices. Il ne faut pas que ces questions soient noyées dans le reste de leurs tâches quotidiennes. Cela nécessite une vraie démarche commando ! Le problème c’est que tout le monde finit par être habitué à ces accidents.

 

Lire aussi : La Cour des comptes veut que les cotisations ATMP incitent davantage à la prévention

 

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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