[interview] Philippe Douillet : "Évaluer une démarche de prévention des RPS permet de relancer le dialogue social"

[interview] Philippe Douillet : "Évaluer une démarche de prévention des RPS permet de relancer le dialogue social"

14.05.2019

HSE

Les RPS sont des risques complexes, donc évaluer les démarches censées les prévenir est particulièrement délicat. Pourquoi, comment et à partir de quand s'y mettre ? Nous avons demandé conseil à Philippe Douillet, chargé de mission à l'Anact, qui cumule expérience de terrain et publications sur le sujet.

Employeurs et préventeurs sont amenés à s’interroger sur la validité de la démarche de prévention des RPS (risques psychosociaux) menée dans l'entreprise. Tout le monde n'y voit pas le même intérêt : la DRH veut connaître son retour sur investissement, le préventeur montrer que ce qu'il fait est utile. Les enjeux qui entourent une telle évaluation sont très forts, c'est un sujet politique. 

► Philippe Douillet, chargé de mission au département études capitalisation prospective de l'Anact, nous éclaire sur le sujet.  Il a accompagné et observé plusieurs évaluations de démarches de prévention des RPS, dans les secteurs public et privé. En 2015, en collaboration avec l'Université de Laval (Québec), il a conçu un modèle d'auto-évaluation collective des démarches de prévention des TMS. Avec le recul, aujourd'hui, il trouve quand même qu'il est plus facile de faire cette introspection avec l'aide d'un acteur extérieur.

 

Est-ce que l’Anact est beaucoup sollicitée sur le sujet de l’évaluation des démarches de prévention des RPS ?

Philippe Douillet : Oui, avant les entreprises nous demandaient surtout de les accompagner dans la mise en place de démarches de prévention des RPS. Depuis quelques années, assez logiquement, nous avons beaucoup moins de demandes dans ce sens et beaucoup plus de "nous avons construit des outils, pris des mesures, mais on ne sait pas ce que cela produit, voire ça se dégrade à nouveau ; aidez-nous". C’est aussi ce que l’on trouve à la base de beaucoup de demandes d'accompagnement pour des démarches de QVT. 

Quels sont les intérêts d’une telle évaluation ?

Philippe Douillet : Les demandes proviennent parfois des services RH ou financiers, qui veulent connaître leur retour sur investissement. On pourra rarement trouver un bénéfice économique évident. Les sujets soulevés par les RPS sont permanents. Les questions de tensions, de difficultés dans le travail, ressurgissent au moment d’une transformation par exemple, quand on cherche une augmentation de la productivité et donc l’engagement des salariés. L’entreprise à ce moment peut alors se demander si elle relance la démarche RPS et sous quelles formes nouvelles. Alors, l'évaluation de la démarche antérieure peut donner un nouveau souffle à la prévention. Mettre les acteurs autour de la table, regarder ce que l’on fait, remobilise et donne de nouvelles pistes. C’est l’effet performatif de l’évaluation, qui contribue en plus à relancer le dialogue social.

 

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En quoi les démarches de prévention des RPS sont-elles plus difficiles à évaluer que celles qui touchent aux risques physiques ?

Philippe Douillet : Les indicateurs de santé épidémiologique, seuls, ne sont pas pertinents. Les RPS sont ce qu’on appelle des risques complexes, multifactoriels. En plus, ils sont en lien avec le contexte donc ce qui a été acquis a pu ensuite être bouleversé. Une approche linéaire de cause à effet sous-estime le rôle de ce contexte organisationnel. Il faut donc rechercher d'autres indicateurs et plus qualitatifs.

Quels principaux conseils donneriez-vous ?

Philippe Douillet : D’abord, pour qu’il fonctionne, il faut valoriser l’intérêt de ce travail d’évaluation des démarches de prévention. Ensuite, il faut prendre le temps de regarder ce qui a été fait et notamment le processus emprunté : comment la démarche s'est construite ? comment les actions ont été mises en place ? quels processus participatifs pour le diagnostic et la construction du plan d'actions ?...

Par exemple, contre les RPS, beaucoup d’entreprises ont utilisé des outils et méthodes valables et pourtant, les indicateurs de santé ne se sont pas améliorés ; peut-être parce que d’autres événements sont survenus entre temps, comme une réorganisation par exemple. Il faut alors analyser comment la démarche de prévention a été percutée par cette réorganisation. Si on fait ce travail d'analyse, on aura davantage d’informations et on pourra peut être repenser une démarche de prévention qui prenne mieux en compte les changements. Autre exemple : la formation aux RPS à destination de l’encadrement. Regarder le pourcentage de managers formés, d’accord, mais il faut aller plus loin et interroger les concernés : la formation a-t-elle eu un impact sur leurs pratiques ?  Le formateur a-t-il adapté sa formation aux réalités des managers formés et à leur contexte ?

Enfin, il faut circonscrire la démarche. Si on avait une dizaine d’actions prévues, mieux vaut en analyser en détail deux ou trois. Se limiter facilite le dialogue.

 

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On s’éloigne des indicateurs de résultats définis au moment de la création de la démarche de prévention…

Philippe Douillet : Oui bien sûr, mais les indicateurs quantitatifs de départ tels que le taux d’absentéisme sont aussi importants. Ils n’empêchent pas le travail de retour d’expérience, avec des critères plus qualitatifs.

Quels sont les freins que vous avez repérés ?

Philippe Douillet : Le problème majeur est celui de la transformation permanente des entreprises et de la perte de mémoire. Deux ans après la mise en place de la démarche de prévention, les acteurs ont changé, des services ont disparu… Ce changement répété, très important dans la fonction publique en ce moment par exemple, complique le travail. Ensuite, on voit une difficulté d’ordre plus psychologique : les acteurs ont souvent intégré les améliorations et ils ne font plus le lien entre les actions passées et les résultats, ils ont oublié que ce n’était pas comme ça il y a trois ans.

Justement, quand conseillez-vous de démarrer l’évaluation ?

Philippe Douillet : Il n’y a pas de durée idéale. Soit on évalue très tôt, quelques mois après la mise en place. Dans ce cas, on évacue la difficulté liée à la perte de mémoire, mais on ne peut pas voir s’il s’agit de résultats durables. Soit on évalue deux ou trois ans après, pour davantage percevoir la pérennité de la prévention, et relancer la démarche. On peut choisir les deux : réaliser une évaluation rapide et quantitative à court terme puis une autre plus approfondie après, plus qualitative.

Des entreprises ayant conclu un accord se sont dotées de comités paritaires de suivi. Il leur revient cette charge, non ?

Philippe Douillet : Malheureusement nous nous sommes rendus compte que ces comités ne se réunissaient pas, et c’est justement pour cela que nous nous sommes dit qu’il fallait équiper ces acteurs. Même dans les grandes entreprises, s’ils se réunissent, ce n’est que de manière très formelle. La plupart du temps, rien n’est prévu quant aux méthodes pour évaluer les accords au-delà d’un simple bilan quantitatif des actions réalisées.

D’après vous il est plus simple de débattre avec un apport extérieur…

Philippe Douillet : Un apport externe est bien utile, mais ce n’est pas toujours possible. Nous pensons qu’il faut au moins une personne reconnue pour sa distance et son autorité dans l'entreprise capable de réunir des acteurs avec des points de vue divers. Dans les grandes entreprises, un chef de projet peut très bien faire le travail par exemple. Dans les petites entreprises qui n’ont pas beaucoup de moyens l’évaluation peut être confiée à un comité issu du CHSCT.

 

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N’y a-t-il pas un risque de manque d’objectivité lorsque le cabinet payé par l’entreprise pour instaurer la démarche de prévention revient pour l’évaluer ?  

Philippe Douillet : Si bien sûr, c’est pour cela que nous conseillons que ce soit, si c’est le même cabinet, au moins un consultant différent. La question se pose aussi pour le préventeur, qui peut vouloir, avec cette évaluation, démontrer l'utilité de son action. Il y a un problème s’il fait le travail tout seul, mais s’il s’entoure d’un petit groupe de personnes issues de fonctions diverses et avec des représentants du personnel et qu’il ne fait qu’animer le travail, alors, on diminue le risque qu’il soit juge et partie.

 

 

Guides de l'Anact sur l'évaluation des démarches de prévention RPS

► L'Anact et l'Université de Laval ont élaboré en 2014 un document qui aide à réaliser une autoévaluation paritaire en entreprise. 

► L'Anact et l'INRS ont publié un guide à destination des intervenants extérieurs (consultants, IPRP, médecins du travail...).

► Il y a quelques jours, l'Anact a publié le rapport de synthèse de son évaluation des démarches de prévention des RPS dans dix établissements publics de santé. 

 

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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