"En l'état actuel, le burn-out ne peut pas être une constatation médicale"

"En l'état actuel, le burn-out ne peut pas être une constatation médicale"

17.02.2016

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L'Académie de médecine a choisi de se positionner sur la question de l'épuisement professionnel. Mais au risque de décevoir, la position n'apporte pas de réponse aux nombreuses questions, tant épidémiologiques que cliniques, que pose l'épuisement professionnel.

Jean-Pierre Olié le martèle : "en l'état actuel, le burn-out ne peut pas être une constatation médicale". Pour ce psychiatre, membre de l'Académie de médecine, il ne s'agit pas de contester la réalité du burn-out. Encore moins "son polymorphisme", remarque-t-il, mais "le terme tel qu'il est employé aujourd'hui est extensif et désigne quelque chose qui est trop imprécis". Hier, mardi 16 février 2016, au bout d'un peu plus d'un an de travail, l'Académie a dévoilé son premier rapport sur le burn-out. Et c'est avant tout un appel à la recherche, à une meilleure connaissance du phénomène. Car on ne semble pas avoir beaucoup avancé depuis qu'en 1959, comme le souligne Jean-Pierre Olié, "le psychiatre français Claude Veil introduit le concept d’épuisement professionnel dans l’histoire médicale".

"La rencontre d'un individu avec un environnement de travail dégradé"

Il décrivait alors cet état comme "le fruit de la rencontre d’un individu et d’une situation. L’un et l’autre sont complexes, et l’on doit se garder des simplifications abusives. Ce n’est pas simplement la faute à telle ou telle condition de milieu, pas plus que ce n’est la faute du sujet". Aujourd'hui, dans son rapport, l'Académie écrit que "le burn-out ou épuisement professionnel s’expliquerait donc par la rencontre d’un individu avec un environnement de travail dégradé. Sa survenue dépendrait à la fois de caractéristiques liées au travail et de caractéristiques propres à l’individu".

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Invisible dans le radar des nosographies

La médecine bute sur "cette nébuleuse qui n'est pas une nouveauté", selon les mots de Jean-Pierre Olié. Même les nosographies internationales, qui décrivent et classent méthodiquement les maladies, "ne cachent pas leur embarras". Que cela soit du côté du DSM-V (5e édition du "manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux" élaboré par l'American Psychiatric Association) ou de la CIM-10 (10e révision de la classification internationale des maladies, faite par l'OMS), le burn-out est invisible ; et il n'est a priori pas prévu que cela change prochainement. On peut cependant le voir apparaître entre les lignes : trouble de l'adaptation dû au travail, état de stress post-traumatique, état dépressif… "Il peut aussi désigner un tableau de désarroi psychologique d’intensité infra clinique à celle qui est requise pour désigner une pathologie caractérisée", expose l'Académie de médecine.

"L'entité burn-out est née d'un instrument de mesure"

Il y a bien les travaux de la psychologue américaine Christina Maslach, qui "a le mieux étudié et analysé l’épuisement survenant en milieu professionnel", souligne le rapport. Mais, outre que ses travaux remontent au début des années 1980, son échelle de mesure "ne peut être considérée comme un outil diagnostique". Elle définit le burn-out à travers trois dimensions – épuisement émotionnel, déshumanisation, réduction du sentiment d’accomplissement de soi – expliquant que c'est "un état psychologique et physiologique résultant de l’accumulation de facteurs de stress professionnels". Autrement dit, le burn-out serait la conséquence "de stress quotidiens ayant usé l’individu". Le problème, soulignent les médecins français, est que "la démarche pour définir l’entité burn-out est née d’un instrument de mesure, et non pas l’inverse comme c’est habituellement le cas".

Pas de recommandations pour la reconnaissance en CRRMP

"Mais pourtant, cette déflagration existe bel et bien et est due au travail !", interpelle une représentante de l'association France Burn-out, demandant à ce que des "malades" participent à la réflexion, soient "entendus". Jean-Pierre Olié répète ne pas contester la réalité du phénomène : "il faut mener des recherches pour définir des critères et borner cette réalité", plaide-t-il. Et la reconnaissance comme maladie professionnelle ? La loi Rebsamen a prévu de la faciliter via une voie qui n'a rien de nouveau : les CRRMP (comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles) (voir notre article). Les psychiatres sont censés avoir un rôle à jouer dans cette facilitation puisque, même si le texte d'application se fait toujours attendre, il est prévu qu'ils soient davantage présents dans les comités. Des recommandations scientifiques seraient les bienvenues pour une harmonisation entre les pratiques des différents CRRMP, lesquelles pouvant difficilement venir du Coct (conseil d'orientation sur les conditions de travail), trop aux prises sur cette questions avec des enjeux de négociations syndicales. Mais sur ce point, l'Académie botte en touche. "La reconnaissance se fera avec le diagnostic de la dépression, comme c'est actuellement le cas, rien de nouveau", répond Patrick Légeron, psychiatre fondateur du cabinet de prévention des risques psychosociaux Stimulus et co-rapporteur. "Il faut faire davantage connaître aux médecins, à leurs patients et aux partenaires sociaux les modes simples de recours devant les CRRMP", écrit néanmoins le rapport.

Des chiffres "pas sérieux"

Lors des débats sur la loi Rebsamen – et à nouveau ces derniers jours, le député Benoît Hamon ayant déposé une proposition de loi pour supprimer le seuil d'incapacité de 25% nécessaire pour une reconnaissance devant les CRRMP – les chiffres du burn-out ont fusé de tous côtés. Le cabinet Technologia annonçait ainsi début 2014 que 3 millions de personnes seraient concernées en France, quand l'extrapolation d'une étude belge parlait de 100 000 personnes, et l'INVS de 7 % des 480 000 salariés en souffrance psychologique liée au travail, soit un peu plus de 30 000 personnes. Pour le professeur de biostatistique Bruno Falissard, membre de l'Académie de médecine, c'est sans appel, ces chiffres ne sont "pas sérieux". "On ne sait absolument pas aujourd'hui quelle est l'ampleur du phénomène, et personne n'est capable de la donner", renchérit Patrick Légeron. Une autre bonne raison de développer "de toute urgence" la recherche sur la question. Et pour cela, demande l'Académie, le ministère de la Santé, lui qui "paraît avoir délaissé cette question de santé publique" quand "l'Inserm ne s'en est pas non plus saisi", doit reprendre la main sur le ministère du Travail et la DGT. Les médecins proposent de créer une instance qui réunisse les deux ministères, comme c'est par exemple le cas sur les toxicomanies avec la Mildeca. 

Élodie Touret
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