"L'accord de performance collective doit répondre à un objectif temporaire"

"L'accord de performance collective doit répondre à un objectif temporaire"

23.09.2020

Convention collective

L'accord de performance collective marque une nouvelle étape dans la relation entre l'accord collectif et le contrat de travail. Le contrat de travail devient au fil du temps plus poreux à l'égard de la norme collective. Décryptage avec Michel Morand avocat associé du cabinet HDV Avocats.

Les relations entre le contrat de travail et l'accord collectif ont nourri d'abondantes analyses. Au fil du temps, l'accord collectif a pesé davantage sur le contrat de travail, l'accord de performance collective constituant l'acmé de cette étroite dépendance. Michel Morand, avocat associé du cabinet HDV Avocats, revient sur les différentes étapes, avant d'analyser ce que change l'accord de performance collective et les questions qui restent en suspens. 

Les accords Aubry, première brèche dans l'indépendance contractuelle

"L'accord d'entreprise est devenu un instrument de fabrication de la règle sociale. Il est donc difficile d'imaginer que le contrat de travail puisse y résister totalement. D'ailleurs, les capacités de résistance du contrat de travail sont de plus en plus limitées", observe Michel Morand. Le principe est pourtant l'indépendance des deux sources juridiques, comme le rappelle l'avocat. "L'accord collectif ne peut pas modifier le contrat de travail. Le contrat s'exécute aux conditions de l'accord collectif mais l'accord collectif ne s'intègre pas au contrat de travail ; il lui reste extérieur, sauf si l'employeur contractualise telle ou telle disposition de l'accord". 

Pourtant, au fil du temps, des brèches vont s'ouvrir, réduisant l'étanchéité entre les deux normes de droit du travail. "La loi du 19 janvier 2000 sur la réduction du temps de travail est la première loi à créer une relation directe entre l'accord collectif et le contrat de travail. Elle prévoyait expressément qu'un accord collectif de réduction du temps de travail ne modifiait pas le contrat de travail". Cette règle permettait ainsi de passer de 39 heures à 35 heures en matière de durée légale de travail sans que cela n'entraîne une modification du contrat de travail, ce qui sinon aurait alors nécessité l'accord exprès du salarié. 

Seconde intervention législative dans le même sens : la loi Warsmann du 22 mars 2012 dont l'objet était de contrer une jurisprudence de la Cour de cassation de septembre 2010 selon laquelle un accord de modulation ne peut pas s'imposer au salarié et constitue une modification du contrat de travail. "La loi a posé le principe qu'un accord d'aménagement du temps de travail ne modifiait pas le contrat de travail". 

Le contrat de travail verrouillé face aux accords de maintien dans l'emploi...

A compter de 2013, entrent en scène des accords visant à maintenir l'emploi en cas de difficultés économiques. Ces accords renouvellent la question de l'interdépendance de l'accord collectif et du contrat de travail. 

La loi du 14 juin 2013 de sécurisation de l'emploi reprend ainsi l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 qui a créé deux nouveaux types d'accords collectifs : les accords de maintien dans l'emploi et les accords de mobilité interne. "L'accord de mobilité interne permet de toucher deux éléments du contrat de travail : l'élément géographique et l'élément professionnel". L'accord du salarié restait toutefois nécessaire. "En cas de refus, la rupture du contrat de travail s'analysait en un licenciement individuel économique".

"L'accord de maintien dans l'emploi ciblait, lui, d'autres éléments du contrat de travail : la durée et l'aménagement du temps de travail et la rémunération. En cas de refus de la part du salarié, il s'agissait d'un licenciement économique individuel qui reposait sur une cause réelle et sérieuse".

La loi Travail de 2016 introduit ensuite les accords de développement et de préservation de l'emploi avec, à la clef en cas de refus, la même qualification de la rupture du contrat de travail. "Toutefois, ils n'auront pas eu le temps de s'appliquer car le décret d'application est paru un an après, et les ordonnances du 22 septembre 2017 sont arrivées, créant les accords de performance collective", observe Michel Morand. Les ordonnances abrogent l'ensemble de ces dispositifs, mais laisse subsister l'accord d'aménagement du temps de travail version loi Warsmann". 

... Jusqu'aux accords de performance collective

"Les accords de performance collective permettent de modifier quatre éléments considérés par nature contractuels : la rémunération, la durée et l'aménagement du temps de travail, la qualification et le lieu de travail". Le poids de l'accord collectif sur le contrat de travail se renforce. Preuve en est, la qualification de la rupture du contrat de travail en cas de refus du salarié. Le licenciement est alors considéré comme sui generis, le refus du salarié de se voir appliquer l'accord permettant de constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. 

 

Pourquoi maintenir les accords Warsmann ? 

La question de la cohabitation des accords de performance collective et des accords loi Warsmann se pose. Pourquoi ont-ils été maintenus alors que les deux types d'accord permettent de traiter de l'améngament du temps de travail ? Michel Morand avance plusieurs explications. "D'une part, l'objet de l'accord de performance collective est par nature conjoncturel ou structurel en vue de répondre à une situation ponctuelle, contrairement à l'accord loi Warsmann plus pérenne. D'autre part, l'accord de performance collective peut s'appliquer aux salariés à temps partiel à la différence des accords loi Warsmann". 

Enfin, il rappelle que la situation est différente en cas de refus du salarié de se voir appliquer l'accord. S'agissant des accords loi Warsmann, le refus du salarié entraine un licenciement  de type disciplinaire.  

 

Mais des questions restent en suspens. "L'accord opère une suspension des clauses du contrat de travail contraires et incompatibles avec l'accord collectif. Quelle que soit la durée de l'accord, une fois l'accord arrivé à échéance, les clauses contractuelles suspendues doivent donc redevenir applicables. Le contrat de travail va de nouveau s'exécuter en respectant la durée de travail précédemment prévue ou, le cas échéant, la durée légale. Le salarié devra percevoir sa rémunération antérieure si celle-ci qavait été réduite ou augmentée. Toutefois, des éléments perturbent cette solution, souligne Michel Morand. Il en est ainsi du lieu de travail, si ce dernier n'existe plus. Comment peut se faire le retour à la clause contractuelle d'origine ? La même question se pose pour la qualification si cette dernière a disparu". 

Selon l'avocat, ces interrogations renvoient à l'objet même de la nature de l'accord de performance collective qui doit - selon lui - répondre à un objectif temporaire. "La fermeture d'un site ne devrait pas entrer dans l'objet de l'accord de performance collective. En revanche, fermer temporairement un établissement pour effectuer des travaux peut rentrer dans l’objet d’un APC". 

Une autre question se pose, celle de la situation des salariés recrutés pendant la période d'application de l'accord. "Doivent-ils être recrutés aux conditions de l'accord de performance collective ou aux clauses habituelles temporairement suspendues ?", s'interroge Michel Morand. Pour celui-ci, ce devrait être aux clauses contractuelles suspendues. Ainsi, si l’APC a réduit le temps de travail à 32 heures, les salariés recrutés pendant la durée de l’accord devraient l’être à 35 heures, en prévoyant expressément lors de leur engagement qu’ils acceptent que la clause contraire (35 heures) soit suspendue pendant la durée d’application de l’accord.

Le débat sur le lien qui unit contrat de travail et accord collectif est donc loin d'être clos. 

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Florence Mehrez
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