"La vraie question pour les branches est de favoriser le CDD comme porte d'entrée vers un CDI"

"La vraie question pour les branches est de favoriser le CDD comme porte d'entrée vers un CDI"

29.01.2019

Convention collective

Alors que la négociation sur l'assurance chômage bute sur la question de la taxation des contrats courts, Hugues Lapalus, avocat associé au sein du cabinet Barthélémy Avocats, analyse, dans le cadre de notre partenariat avec le Club des branches, les propositions alternatives mises sur la table par le patronat, lors de la dernière séance de négociation.

La négociation sur l'assurance chômage va-t-elle définitivement achopper sur la question de la taxation des contrats courts ? La question se pose alors que les trois organisations patronales (le Medef, la CPME et l'U2P) viennent d'annoncer leur décision de suspendre leur participation aux discussions sur l'assurance chômage, après qu'Emmanuel Macron ait réaffirmé sa volonté de mettre en oeuvre un bonus-malus.

Rappelons que la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018 prévoit qu'un bonus-malus pourra être institué en tenant compte de nombre de fins de contrat de travail, de la nature du contrat de travail, de sa durée ou du motif de recours à un contrat d'une telle nature, de l'âge du salarié, de la taille de l'entreprise et du secteur d'activité.

 

Pendant ce temps, les branches, elles, peinent à conclure des accords sur les contrats courts. C'est un drôle de jeu qui semble se jouer entre les négociateurs de branche et ceux au niveau interprofessionnel, chacun semblant espérer que les autres dénouent la situation à leur place.

A ce jour, les accords de branche sur les contrats courts se comptent sur les doigts d’une main. Quelques grands secteurs comme la métallurgie, la propreté ou bien encore le commerce de détail à prédominance alimentaire ont réussi à signer un accord. Or, c’est en principe sur la base du nombre d’accord signés que le gouvernement doit décider – ou non – d’enclencher le bonus-malus prévu par la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018. Toutefois, avec la réouverture d'une négociation sur l'assurance chômage, les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel sont de nouveaux entrés dans la danse.

 Afin d'échapper à ce bonus-malus, le patronat se démène et a mis sur la table lors de la dernière séance 12 solutions alternatives. Selon Hugues Lapalus, avocat associé au sein du cabinet Barthélémy avocats, certaines de ces alternatives pourraient prospérer et répondre aux problèmes posés par le recours aux contrats courts ; d'autres apparaissent moins adaptées.

Expérimentation sur le multi-remplacement

La première n'est pas une nouveauté ; elle fait directement référence à l'expérimentation prévue par la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018 en matière de succession de CDD. La loi prévoit en effet que, dans certains secteurs qui seront déterminés par décret, il sera possible de conclure un seul contrat à durée déterminée ou un seul contrat de travail temporaire pour remplacer plusieurs salariés absents, successivement, ou sur deux mi-temps par exemple entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2020. Pour l'heure, le décret d'application se fait toujours attendre.

"Cette expérimentation risque de soulever plusieurs problèmes, met en garde Hugues Lapalus. D'une part, cette solution ne va pas permettre aux salariés concernés de sortir de la précarité lorsqu'ils remplacent successivement plusieurs salariés absents ; ces salariés enchaînaient déjà plusieurs contrats. Le fait de signer un contrat unique ne modifiera pas leur situation. D'autre part, lorsque le salarié cumule en même temps plusieurs remplacements (lorsqu'il remplace deux salariés à temps partiel par exemple), va se poser la question du sort de la durée du travail du salarié en CDD lorsque l’un des deux salariés, reprend son poste de travail. Son contrat de travail est-il modifié automatiquement ? Il me semble qu'un tel dispositif peut être utilisé si on connait avec précision les dates de départ et de retour des salariés, par exemple en cas de périodes successives de départ en congés payés de plusieurs salariés".

Revoir les secteurs concernés par les CDD d'usage

"Actuellement, les CDD d'usage sont régulés soit par un dispositif réglementaire soit par un dispositif conventionnel. Il semblerait que l'idée proposée par le patronat serait de réduire les secteurs d'activité visés dans le décret ; en quelque sorte de conventionnaliser les secteurs d'activité concernés. Les partenaires sociaux seraient ainsi habilités à identifier les secteurs concernés. Cela pourrait avoir du sens, mais il faudrait alors démontrer qu'il est d'usage constant de ne pas recourir au CDI".

Plus généralement, Hugues Lapalus estime que les branches pourraient aller au-delà de la réglementation en usant des opportunités offertes par les ordonnances du 22 septembre 2017, notamment sur le délai de carence et le renouvellement des contrats courts. "La branche pourrait décider de plus d'un ou deux renouvellements. Le secteur de la grande distribution en a ainsi augmenté le nombre". S'agissant du délai de carence qui ne s'applique pas aux CDD d'usage et aux CDD de remplacement, l'assouplissement des règles serait limité aux CDD pour surcroît d'activité. "Le délai de carence peut favoriser les contrats courts, souligne Hugues Lapalus. Une mesure intéressante pourrait consister à prévoir que plus le contrat est court, plus le délai de carence est long et donc inciter l'entreprise à prévoir, ab initio, des durées de contrats plus longues".

Faciliter la priorité de réembauche

Le patronat propose également de prévoir une priorité de réembauche en CDI pour les salariés qui sont en contrat court. "Cette mesure est plutôt rare dans les accords de branche, constate Hugues Lapalus. Il n’est pas certain toutefois que les organisations patronales souhaitent la mettre en œuvre. En revanche, la solution intermédiaire consistant à informer les salariés en CDD des emplois disponibles, comme le propose également le patronat, existe déjà dans de nombreuses conventions collectives nationales", constate-t-il.

Permettre d'accroître les heures complémentaires

Augmenter les heures complémentaires des salariés en CDD à temps partiel est une autre des pistes que le patronat a mises sur la table. "L'augmentation des heures complémentaires des salariés à temps partiel peut être un volant pour faire face au surcroît d’activité. La main-d’œuvre présente est déjà formée ; cela peut permettre de réduire les CDD pour surcroît d’activité". Toutefois, l'avocat constate que le patronat n'a pas mis en avant un autre outil, la possibilité pour les branches de prévoir le recours aux avenants complément d'heures issus des dispositions de la loi du 14 juin 2013. Il est vrai, reconnait-il, que les branches s’en sont peu emparées. Certaines l’ont toutefois prévu : commerce de détail à prédominance alimentaire, hospitalisation privée à but lucratif, Unifed,… Il faudrait peut-être ouvrir ce dispositif  à la négociation d’entreprise et ne pas le réserver aux seules branches".

► A noter que le secteur de la propreté, dans son accord récemment signé, prévoit des dispositions permettant "une montée en charge du dispositif conventionnel des compléments d'heures dans les entreprises de propreté".

La loi de sécurisation de l'emploi permet aux entreprises de signer un avenant au contrat de travail du salarié afin d'augmenter temporairement la durée du travail du salarié à temps partiel. Seules les heures effectuées au-delà de la durée définie par l'avenant sont des heures complémentaires et sont majorées de 25 %. Mais cela suppose qu'un accord de branche étendu le prévoit. Cet accord doit définir le nombre maximal d'avenants par an et par salarié, prévoir la majoration salariale des heures effectuées dans le cadre de l'avenant et déterminer les modalités selon lesquelles les salariés peuvent prioritairement bénéficier de ces compléments d'heure.

 

Renforcer la formation des salariés précaires

D'autres propositions patronales pourraient être creusées, comme la prise en compte des contrats courts dans le calcul de l'ancienneté. "Il s'agit d'une mesure simple qui pourrait faciliter la vie des RH. Par exemple lorsque la relation de travail est uniquement interrompue par la fermeture d'entreprise l'été", estime Hugues Lapalus. Même chose pour le renforcement de la formation et de l'accompagnement des salariés en CDD courts. "Sur le principe c'est une bonne idée car cela permettrait de cibler les salariés les moins formés et les moins qualifiés. Mais quelles mesure et pour quel coût ?", s'interroge-t-il.

Sortir de l'injonction paradoxale

Au final, Hugues Lapalus se demande si l'on ne se trompe pas d'objectif en matière de régulation des CDD. "Les entreprises et les branches sont face à une injonction paradoxale ; il y a une réglementation leur permettant d'utiliser les contrats courts mais on leur demande d'éviter d'y recourir".  Selon lui, s'il y a abus, c'est alors au juge d'intervenir. "Par exemple, le non-respect du délai de carence est automatiquement requalifié par les juges. Or, une partie du volume des contrats courts est générée par des situations abusives, pour reprendre les termes employés par les partenaires sociaux dans l'ANI du 22 février, issues de « logiques d'optimisation tant de la part des employeurs que des salariés »".

C'est pour cela que l'enjeu pour les branches professionnelles se situe ailleurs selon lui. Pas dans l'encadrement du recours au CDD, mais dans la construction de l'employabilité des salariés en contrat précaire.  "La vraie question pour les branches est plutôt de savoir comment elles peuvent définir des règles pour favoriser le CDD comme porte d'entrée vers un CDI". Et que la négociation sur l'assurance chômage échoue ou non, la question restera posée...

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Florence Mehrez
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