Amiante : la Cour de cassation s'apprête à étendre le préjudice d'anxiété

Amiante : la Cour de cassation s'apprête à étendre le préjudice d'anxiété

28.03.2019

HSE

La Cour de cassation doit se prononcer sur le préjudice d'anxiété lié à une exposition à l'amiante. En assemblée plénière, le 22 mars, l'avocate générale a plaidé pour un assouplissement de la jurisprudence. Le délibéré est attendu le 5 avril.

Sous les dorures de la Cour de cassation, derrière les hermines des juges, deux rangées de cheveux blancs écoutent religieusement les plaidoiries ce 22 mars 2019. À l'extérieur, environ 200 salariés, retraités et syndicalistes manifestent. L'affaire concerne des salariés d'EDF, mais comporte un enjeu énorme. La Cour, réunie en assemblée plénière, sa forme la plus solennelle, se penche sur la question du préjudice d'anxiété reconnu aux salariés exposés à l'amiante, qui ne sont pas malades, mais qui s'inquiètent de le devenir. 

Jusqu'à présent, depuis une série d'arrêts de mars 2015, elle suit une interprétation très stricte : le préjudice d'anxiété pour une exposition à l'amiante n'est reconnu qu'à des salariés d'entreprises inscrites, par arrêté, sur la liste ouvrant à l'Acaata (allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante), dispositif de "préretraite amiante" instauré par l'article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.

Il s'agit d'entreprises de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante, de constructions et de réparations navales, et de dockers. Seules les expositions significatives sont concernées. Même exposés, les sous-traitants ou ceux travaillant sur d'autres postes se retrouvent exclus du système de réparation du préjudice d'anxiété. 

 

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L'an dernier, la cour d'appel de Paris a pris le contre-pied de cette position en accordant 10 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice d'anxiété à 108 salariés de centrales thermiques d'EDF qui ne sont pas classées sur la liste dite préretraite amiante.

La jurisprudence de la chambre sociale doit-elle être maintenue ? Sinon, comment définir les conditions d'indemnisation ? Demandant le rejet du pourvoi d'EDF, la première avocate générale s'est prononcée ce 22 mars en faveur d'un infléchissement de la jurisprudence. "Il n'est plus possible de neutraliser l’obligation de sécurité" des employeurs qui ne sont pas classés sur la liste Acaata, d'autant plus depuis que l'obligation s'est infléchie avec la jurisprudence de la Cour de cassation.

Autres produits toxiques

L'avocate générale distingue plusieurs cas. Elle suggère de suivre les règles actuelles pour les salariés dont l’établissement est classé. Pour les salariés hors Acaata qui ont travaillé pour une entreprise sous-traitante de société classée, elle préconise de suivre la même logique et de retenir la date de l'arrêté de classement comme date de début du préjudice. Même chose pour les salariés d'une entreprise classée mais à l'activité non listée.

 

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Pour les autres – complètement hors Acaata –, elle se dit favorable à l’application du droit commun de la responsabilité civile. Dans ce cas, aux salariés de démontrer une exposition significative en durée et en intensité et le préjudice. Le préjudice est présumé dès lors que le risque de contracter une pathologie grave est si élevé "qu'il ne peut générer qu'une angoisse". La date de prise de conscience du danger devra être établie "par tout moyen".

L'employeur devra quant à lui apporter les éléments justifiant des mesures prises pour préserver la santé du travailleur. Au juge du fond d'analyser les éléments de preuve. Ce mécanisme de reconnaissance pourrait s'appliquer à d'autres produits toxiques, mais alors, contrairement à l'amiante, la preuve du risque d'atteinte grave à la santé devrait en plus être apportée. Le délibéré est attendu le 5 avril 2019. 

"Peur de la mort en chacun de nous"

L'avocate générale est revenue sur la jurisprudence restrictive actuelle, justifiée par le caractère "subjectif" du préjudice d'anxiété et le souci de simplicité, avec "un mécanisme probatoire particulièrement favorable" (le manquement et le préjudice sont présumés). Autre raison : une définition trop ouverte conduirait à de nombreux contentieux, alors que les juridictions croulent sous les dossiers. Enfin, l'avocate générale a fait référence "aux sommes qui ajoutées les unes aux autres représentent des montants extrêmement importants". Le coût revient à l’AGS (association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés), puisque une partie des entreprises ont disparu. 

"L'anxiété est inhérente à la condition humaine. La peur de la mort, de la maladie, de la souffrance, est en chacun de nous. À chacun de faire ce qu'il peut pour vivre avec", a soutenu l'avocate d'EDF. Ce n'est pas pour autant qu'elle a défendu la jurisprudence actuelle, qui fixe un "lien incongru" entre Acaata et préjudice d'anxiété, remarquant qu'elle ne s'applique qu'à l'amiante, que dans le cadre du travail, et fait dépendre un mécanisme de responsabilité civile d'une décision administrative.

Obligation de sécurité

La position de la cour d'appel n'est, bien sûr, pas la bonne non plus pour l'avocate d'EDF, qui réclame qu'on s'intéresse aux mesures prises par l'employeur pour protéger la santé de ses salariés. "On ne peut pas ne pas regarder le respect de l'obligation de l'employeur. Pourquoi rendre comptables les employeurs de l'insuffisance de la réglementation ?" demande l'avocate qui distingue les industriels de l'amiante des autres entreprises. "Il faut se borner à la définition d'un préjudice d'anxiété claire [...] toutes les expositions à l'amiante ne se valent pas", plaide-t-elle. 

À l'inverse, l'avocate des salariés rappelle qu'il n'existe pas d'effet de seuil dans le cas de l'amiante. Et de réclamer le respect du principe d'égalité. "Parce que les autorités publiques ont failli les entreprises n'auraient pas à rendre compte ? Voilà une vision singulière de la responsabilité". Elle aussi se demande quelle définition de l'anxiété retenir. Elle réclame évidemment un changement de jurisprudence, mais que "cette rupture ne soit pas une nouvelle impasse qui méconnaisse l'obligation de sécurité et la spécificité de l'exposition à l'amiante".

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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