Avantages conventionnels : la présomption de justification des différences de traitement  ne peut être générale

Avantages conventionnels : la présomption de justification des différences de traitement ne peut être générale

05.04.2019

Convention collective

La Cour de cassation vient d'apporter une précision de taille sur la présomption de justification des avantages conventionnels. Cette présomption, insistent les juges, ne peut être générale. Elle revient en effet à faire peser la charge de la preuve sur le seul salarié. Or, dans les matières régies par le droit européen, ce serait contraire au droit de la preuve européen qui en répartit la charge.

Alors que l'on pouvait penser que la jurisprudence de la Cour de cassation sur les inégalités de traitement issues de dispositions conventionnelles était stabilisée, la Cour de cassation modifie sa position, dans un arrêt du 3 avril 2019, en tenant compte du droit européen. Afin de bien comprendre cette nouvelle solution, il faut rappeler les différentes étapes de ce feuilleton sur les avantages conventionnels.

Les hésitations de la Cour de cassation

En 2009, la Cour de cassation frappe un grand coup en posant le principe selon lequel la différence de catégorie professionnelle ne peut pas - en soi - justifier une différence de traitement pour l'octroi d'un avantage. C'est un coup de tonnerre qui s'abat sur les partenaires sociaux qui estiment que c'est leur légitimité même à décider de la norme sociale qui est remise en cause par cette décision.

Le premier infléchissement de la Cour de cassation est opéré dans deux arrêts du 8 juin 2011. La Cour de cassation pose le principe de la légitimité des différences de traitement issues de dispositions conventionnelles, ou d'autres normes applicables dans l'entreprise, dès l'instant que la différence de traitement entre cadres et non cadres est justifiée par les conditions d'exercice des fonctions.

En 2015, la Cour de cassation affine un peu plus sa position au sujet des avantages issus de dispositions conventionnelles. Les avantages catégoriels institués par convention ou accord collectif sont présumés justifiés. Il appartient alors à celui qui les conteste de démontrer qu'ils sont étrangers à toute considération de nature professionnelle.

L'introduction du droit européen dans la jurisprudence

Depuis, cette solution avait été déclinée. Mais, mercredi, la Cour de cassation s'oppose à la reconnaissance d'une présomption générale de justification de toutes différences de traitement entre les salariés opérées par voie de conventions ou d'accords collectifs. En effet, explique-t-elle, une telle présomption entraîne l'obligation pour le salarié de démontrer que les différences instituées sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.

Or, cette charge de la preuve est contraire à celle retenue dans le droit européen en matière d'égalité de traitement. Elle distingue ainsi désormais deux catégories selon que les avantages en cause relèvent de domaines où est mis en oeuvre le droit de l'Union, ou non. Dans le premier cas, un partage de la charge de la preuve doit être établi, conformément au droit européen. "Lorsqu'un employé fait valoir que ce principe a été violé et établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu de violation du principe", souligne la Cour de cassation. Dans le second cas, la présomption de justification peut continuer à s'appliquer.

La Cour de cassation rappelle ainsi qu'elle a accepté la présomption de justification des avantages conventionnels dans plusieurs cas :

  • entre catégories professionnelles ;
  • entre des salariés exerçant des fonctions distinctes au sein d'une même catégorie professionnelle ;
  • entre des salariés appartenant à la même entreprise mais à des établissements distincts.

Toutefois, elle l'a rejetée s'agissant d'un accord qui établissait une différence de traitement en fonction du degré de participation à un mouvement de grève.

Il semble ainsi que la présomption de justification peut subsister en matière de distinction entre cadres et non cadres car il ne s'agit pas d'un thème couvert par un texte européen, mais d'une distinction nationale, comme l'a rappelé la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) le 7 juillet 2011.

Reste toutefois que cette décision interroge, car la notion d'égalité de traitement est en soi couverte par le droit européen. "Si comme principe général du droit de l'Union, l'égalité de traitement est un principe de droit positif qui irrigue l'ensemble de ce droit, y compris le droit primaire, elle est expressément déclinée dans de nombreux textes de droit dérivé afférents aux conditions d'emploi et de rémunération", explique le rapporteur général.

Il reste aujourd'hui difficile d'évaluer l'ensemble des conséquences d'une telle solution.

Les ordonnances ébranlées

Cet arrêt soulève d'autant plus d'interrogations que les ordonnances du 22 septembre 2017 ont en quelque sorte consacré cette présomption. L'article L. 2262-13 du code du travail prévoit en effet "qu'il appartient à celui qui conteste la légalité d'une convention ou d'un accord collectif de démontrer qu'il n'est pas conforme aux conditions légales qui le régissent".

La Cour de cassation ne fait d'ailleurs pas l'impasse sur cette disposition, sans expliquer toutefois comment elle compte concilier cette disposition légale avec sa nouvelle jurisprudence. Ainsi, écrit le rapporteur, "bien qu'une telle approche ait, à certains égards, été reprise par le législateur à l'article L.2262-13 (...) notre chambre n'a pas, à ce jour, retenu une présomption générale de justification des différences de traitement instituées par voie de conventions ou d'accords collectifs".

Est-ce à dire que cet arrêt porte un coup de canif à cette nouvelle règle ? A suivre...

 

Les faits

Dans l'affaire qui était soumise à la Cour de cassation, une salariée de la caisse régionale du Crédit agricole mutuel de la Manche avait saisi les prud'hommes s'estimant victime d'une différence de traitement par rapport à ses collègues après avoir été affectée sur le site de Saint-Lô en 2014. Elle reprochait à son employeur de ne pas avoir pu bénéficier des mesures d'accompagnement de la mobilité, l'accord prévoyant que ce dispositif ne s'appliquait qu'aux salariés présents sur le site au 1er juin 2011.

La cour d'appel de Caen fait droit à sa demande, constatant que les salariés du site de Saint-Lô sont placés dans une situation exactement identique au regard des avantages institués par l'accord dont l'objet est de prendre en compte les impacts professionnels, économiques et familiaux de la mobilité géographique impliqués par le transfert des services à Caen et d'accompagner les salariés pour préserver leurs conditions d'emploi et de vie familiale.

Une solution que confirme la Cour de cassation. L'accord qui opérait une différence de traitement entre salariés uniquement sur la date de présence sur un site désigné alors que les salariés sont placés dans une situation exactement identique au regard des avantages de l'accord ne saurait être présumée justifiée. Par ailleurs, aucune raison objective n'était avancée par l'employeur.

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Florence Mehrez
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