Avec des détecteurs de CO2 au bureau, "les consignes d'aération et de ventilation pourraient devenir beaucoup plus efficaces"

Avec des détecteurs de CO2 au bureau, "les consignes d'aération et de ventilation pourraient devenir beaucoup plus efficaces"

24.10.2021

HSE

Dans un article technique, des ingénieurs-chercheurs de l'INRS font le point sur la ventilation des locaux de travail du secteur tertiaire. Une question particulièrement prégnante avec le covid-19. Mais pas uniquement. Ils montrent que les valeurs de débit d'air neuf minimum du code du travail sont obsolètes.

Dans les bureaux, "l’usage de détecteurs de CO2 en temps réel représente un intérêt majeur pour la prévention", écrivent Romain Guichard et Fabien Gérardin, de l'INRS. C'est tout particulièrement important en période de pandémie pour limiter les risques de transmission d’une maladie infectieuse par aérosols. Mais c'est aussi vrai en temps normal, pour parvenir à une bonne qualité de l’air intérieur (QAI). Les deux chercheurs du département ingénierie des procédés de l’INRS viennent de publier un article technique dans la revue "Hygiène et sécurité du travail" de septembre 2021. Ils suggèrent de fixer un objectif de concentration en CO2 de 1000 ppm en temps normal, et 800 ppm pour la pandémie de covid-19.  

Les experts de l'INRS font le constat d’une ventilation insuffisante dans les bureaux et expliquent pourquoi "la concentration en CO2 est un bon indicateur du confinement". En cas de risque biologique lié aux aérosols émis par les occupants – comme en ce moment avec le Sars-Cov-2 –, surveiller la concentration en CO2 va améliorer l'évaluation, puis la prévention des risques.  

Valeur réglementaire sous-estimée et obsolète 

Le code du travail impose un débit d'air neuf minimum pour les locaux dits "sans source de pollution spécifique" – c'est-à-dire à l'inverse d'un local ouvert sur un atelier de réparation automobile, par exemple. Pour une activité de bureau (sans activité physique), ce débit est fixé à 25 m3 par heure et par occupant, selon une circulaire de 1985. Depuis près de 40 ans, cette valeur n'a pas été actualisée. 

En 1985, pour parvenir aux 25 m3/h/occupant, les pouvoirs publics s'étaient déjà appuyés sur la concentration en CO2. Ils avaient considéré qu'un objectif de 1000 ppm était gage d'une bonne qualité de l'air intérieur. Cette valeur est toujours communément admise pour des bureaux, même si certains travaux tablent plutôt sur un objectif de 800 ppm pour réduire le risque de développer des symptômes liés au syndrome du bâtiment malsain.

 

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Les calculs de 1985 péchaient surtout sur les débits respiratoires des travailleurs retenus, "largement sous-estimés", expliquent les chercheurs de l'INRS. "On sait aujourd'hui qu'un travailleur de bureau assis expire en moyenne 20,2 L/h de CO2, au lieu des 16,2 L/h retenus [en 1985]." Autre faiblesse justifiant une mise à jour : quelques décennies plus tard, la concentration en CO2 dans l'air extérieur est bien loin des 300 ppm alors retenues. On est plutôt sur un minimum de 400 ppm, voire davantage en milieu urbain. 

Les deux ingénieurs ont reposé l'équation, avec des valeurs actualisées, mais toujours avec l'objectif d'une concentration en CO2 de 1000 ppm. Ils obtiennent des débits minimaux d'air neuf de :

  • 34 m3/h/occupant pour un travail de bureau assis (contre les 25 m3/h/occupant dans la circulaire de 1985),  
  • 92 m3/h/occupant pour une activité physique modérée (contre 45 m3/h/occupant dans la circulaire de 1985), 
  • 220 m3/h/occupant pour une activité physique intense (contre 60 m3/h/occupant dans la circulaire de 1985).  

"Ces sous-estimations avaient finalement peu d'impact sur la qualité de l'air intérieur au moment de la parution de la circulaire, commentent-ils, car les bâtiments étaient peu étanches […]. Des taux d'infiltration d'air élevés complétaient ainsi naturellement la ventilation contrôlée." Mais aujourd'hui, avec des bâtiments moins passoires, notamment pour des questions énergétiques, Romain Guichard et Fabien Gérardin appellent à "revoir la réglementation".  

 

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INRS

 

 

Tuberculose à l'université 

Et maintenant, quid du covid ? Rappelons que les aérosols contaminés, expirés par des personnes porteuses du virus, sont un des principaux vecteurs de propagation de la maladie. "La concentration ambiante en CO2 dans une pièce donne une indication directe sur le volume d'air expiré par les occupants sur une période donnée, font valoir les deux experts. Ainsi, si on parvient à réduire la concentration en CO2 dans un local, on réduit d'autant le risque biologique lié aux aérosols." Pour éviter une ambiance trop confinée, plusieurs leviers peuvent être activés : diminuer le nombre d'occupants, limiter leur temps de présence, réduire leur activité physique, augmenter le taux de renouvellement d'air de la pièce.  

Le lien ventilation-contamination n'est pas une découverte de la crise sanitaire. En 2003, des chercheurs de l'école de santé publique de Harvard étudient ce qu'il se passe lors d'une épidémie de tuberculose à l'université de Taipei. 

"Au sein de cette université, rapporte l'article de l'INRS, 27 cas initiaux de tuberculose ont contaminé 1665 cas contacts. Les salles étaient insuffisamment ventilées et les niveaux de CO2 dépassaient 3200 ppm. En travaillant sur la ventilation des locaux, les concentrations en CO2 ont ensuite été réduites à 600 ppm. Malgré une seconde vague de cas rapportés de tuberculose, aucune transmission n'a eu lieu au sein de l'université. Une analyse multifactorielle détaillée a montré que la ventilation avait contribué à 97% de l'absence de contamination, lors de la seconde vague."

Cette étude montre aussi que lorsque la concentration en CO2 est strictement inférieure à 1000 ppm, l'indicateur épidémiologique R0 est inférieur à 1, c'est-à-dire que l'épidémie de tuberculose diminue. Pour le covid-19, "ces valeurs ne sont pas encore connues", soulignent Romain Guichard et Fabien Gérardin.

Néanmoins, depuis plusieurs mois, l'objectif de ne pas dépasser un niveau de CO2 de 800 ppm revient régulièrement dans les directives de différentes autorités. C'est la valeur que retient notamment le HCSP (haut conseil de la santé publique) en avril 2021 pour les établissements recevant du public – pour les restaurants, notons qu'il préconise de descendre à 600 ppm. Quelques semaines auparavant, le Conseil supérieur de la santé de Belgique recommandait de "maintenir la concentration de CO2 aussi faible que possible, et certainement en dessous de 800 ppm".

L'œil sur le détecteur 

Avec des détecteurs de CO2 affichant la concentration en CO2 en temps réel, "les consignes d'aération et de ventilation […] pourraient devenir beaucoup plus efficaces", revendiquent les préventeurs de l'INRS. On entre dans une période épidémique ? Assurez-vous de ne pas dépasser les 800 ppm, au lieu des 1000 habituels. "Cela impliquerait d'office de réduire les sources de CO2 (nombre d'occupants dans le bureau, la salle de réunion, l'open-space), d'augmenter le renouvellement de l'air, de réduire les temps de présence continus", développe l'article.  

En outre, on se casserait moins la tête à essayer de savoir combien de temps il faut aérer, ce qui peut parfois être source de conflits dans l'open-space. Fabien Gérardin et Romain Guichard rappellent que, lorsqu'on ouvre la fenêtre, "de très nombreux paramètres […] peuvent impacter la durée nécessaire au renouvellement de l'air" : la taille de la fenêtre, sa forme, la présence ou non de courants d'air, l'écart de température entre l'intérieur et l'extérieur, le fait qu'il y ait du vent ou non… Parfois, 5 minutes suffisent, alors qu'il faudra une bonne demi-heure dans d'autres cas.  

Dans l'article paru il y a quelques jours, les experts détaillent une méthode pour "démocratiser l'estimation du taux de renouvellement d'air […] afin de vérifier que les apports d'air neuf sont conformes à ceux attendus". La méthode suppose de s'équiper d'au moins "un détecteur de CO2, calibré, ayant une précision de +/- 50 ppm ou mieux sur la plage allant de 400 ppm à 1000 ppm".

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret
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